Et le temps passe et passe et passe, et beaucoup de choses ont changé. Si DC Comics renâclait encore jusqu'à récemment à canoniser la relation amoureuse entre les personnages de Poison Ivy et de Harley Quinn, il n'aura fallu que quelques années pour que cette idylle, un temps confinée à des projets de l'ordre du hors série, devienne l'une des principales représentations ouvertes et assumées de l'amour LGBT+ dans les comics de super-héros. Au point d'abandonner pour de bon toute l'ancienne matrice - désormais, le couple Harley & Ivy représente une évidence plus nette et plus cimentée que l'ancienne relation qui liait l'héroïne thérapeute à son ex le Joker. Dans le cas de la méchante éco-terroriste, une nouvelle ligne de fuite (plus neutre) commence peu à peu à prendre racine.
Green Tea
La cérémonie des
GLAAD Media Awards, qui récompense les oeuvres de fiction engagées sur le terrain la représentation LGBT+ aux Etats-Unis à intervalles annuels,
s'était déjà penchée sur la relation Harley & Ivy. Lors des éditions précédentes, la clownette de
Gotham City avait effectivement empoché à plusieurs reprises les statuettes prévues pour l'industrie des comics. Un secteur d'activité que les
GLAAD Media Awards ne sous-estiment pas du tout, en allant régulièrement chercher les oeuvres et équipes créatives qui participent à cet effort général de mise en avant des sexualités externes au spectre de la norme hétérosexuelle. Les prix remis par le
GLAAD récompensent à la fois la méthode choisie pour traiter de ces sujets, les sujets en eux-mêmes, et la réussite de l'exercice.
En l'occurrence, cette année,
la série Poison Ivy de G. Willow Wilson et Marcio Takara a été nommée dans la catégorie "meilleur comics", une belle victoire pour une série de très bonne qualité. Le titre suit une
Pamela Isley séparée de l'énergie vitale du "
Green", sorte de fluide qui relie les différents individus du monde végétal dans l'univers
DC, repartie sur les routes à la recherche de pouvoirs nouveaux - et en reprenant au passage sa lutte écoterroriste en allant s'attaquer à différentes formes d'exploitation de la nature.
Wilson s'intéresse de près à la personnalité complexe de
Poison Ivy, souvent représentée dans des formes contraires en fonction de la politique éditoriale du moment. Parfois, celle-ci joue le rôle de tueuse illuminée, de femme fatale ou de super-méchante. A d'autres moments,
Ivy a pu être montrée comme une héroïne valeureuse cherchant à sauver le monde des dangers causés par l'espèce humaine. Plus récemment, celle-ci aura toutefois surtout servi de faire-valoir amoureux à
Harley Quinn dans les séries de ces dernières années.
Le titre de
Wilson et
Takara permet donc d'avoir (enfin) le point de vue de
Pamela sur leur relation. L'autrice aura au passage opté pour une sorte de rapprochement de toutes les différentes incarnations de
Poison Ivy, pour aboutir à une série solide, avec un personnage complet et des inspirations flirtant avec l'épouvante, le road trip et le drame romantique. Succès d'édition aux Etats-Unis, le projet était au départ prévu en mini-série
avant d'obtenir une rallonge de numéros supplémentaires, et d'être finalement validée
comme une série régulière sans limitation de durée.
Le titre Poison Ivy a obtenu la statuette de cette année dans la catégorie comics face à d'autres projets dignes d'intérêt : I Hate This Place, Immortal X-Men, The Nice House on the Lake, New Mutants, Sins of the Black Flamingo, Star Wars : Doctor Aphra, Superman : Son of Kal-El, Tim Drake : Robin et Wynd : The Throne in the Sky, sélection assez complète qui couvre à la fois le marché indépendant, les franchises et l'inépuisable usine des super-héros. Preuve d'une industrie en mouvement, où la représentation LGBT+ aura su s'imposer malgré les protestations du lectorat conservateur.
Du côté de la catégorie des romans graphiques et des anthologies, le titre Young Men in Love (publié chez la petite enseigne A Wave Blue World) de Sina Grace, Chris Shehan, Charles Pulliam-Moore, David Booher, Anthony Olivera, Terry Blas et différent(e)s autres contributeurs(ices) a emporté la timbale. Il s'agit d'une anthologie de plusieurs histoires courtes sorties directement au format album, en reprenant le principe et les mécaniques des grands comics sur le thème de la romance en vogue lors de l'après-guerre en Amérique du Nord (Young Romance, Teen-Age Romances). Evidemment, dans le cas présent, les intrigues s'intéressaient majoritairement à de jeunes hommes gays.
L'anthologie aura triomphé dans cette catégorie face aux romans graphiques ou numéros spéciaux Chef's Kiss, Coven, DC Pride 2022, Doughnuts and Doom, Fine : A Comics About Gender, Galaxy : The Prettiest Star, Hearstopper, Magical Boy et Marvel's Voices : Pride #1. La liste complète des titres sélectionnés est accessible via le lien ci-dessous.
