Fait étonnant, à l'aune des rachats estimés à plusieurs millions, centaines de millions ou milliards de dollars qui font les choux gras de la spirale boursière depuis un peu plus de dix ans : pour acquérir les actifs, propriétés et circuits de la chaîne CW, le groupe Nexstar n'a pas à eu à débourser le moindre centime. La rédaction du Hollywood Reporter publie une analyse (posthume) de l'ancien modèle économique de cette antenne de télévision tournée vers la jeunesse, ancienne propriété à parts égales des groupes Warner Bros. et Paramount (75% des actions de la société répartis entre les deux sphères). L'occasion de répéter ce qui avait déjà été dit lors de la transaction originale : sans l'afflux de capitaux nés du contrat avec Netflix, la CW fonctionnait sur un modèle à perte.
La Source Pas Vraiment Vive
L'article de THR livre quelques données chiffrées : pour résumer, le gros de l'activité de la chaîne reposait essentiellement sur la production de contenu original. Ce qui n'a rien d'une surprise pour les fans de comics, habitués depuis les premiers flèches décochées par Stephen Amell dans la série Arrow à voir déferler toute une batterie de dérivations nées des propriétés intellectuelles de DC Comics. Warner Bros. et Paramount avaient pour habitude d'alimenter la grille des programmes de la CW en produisant ou coproduisant différents feuilletons télévisés scripts, à flux tendu. S'ajoutait à cet équilibre différents programmes non-scriptés (comprendre, hors fiction), et quelques petites productions venues du Canada, à bas prix.
Le montant de ce flot de créations originales nécessitait d'alimenter une chaîne d'assemblage conséquente, à budget conséquent. A l'année, la CW parvenait à générer un chiffre d'affaire compris entre 350 et 400 millions par an... qui se traduisait, une fois les coûts de production mis dans la balance, par une perte sèche de 300 à 400 millions par an. La chaîne n'a jamais rapporté le moindre bénéfice depuis sa création en 2006. Le seul intérêt de maintenir cette usine à produits, pour Warner Bros. et Paramount, était à situer dans la revente de droits de diffusion à l'international. Là-encore, la donnée avait déjà été évoquée et était même d'ordre public : Netflix, premier client de la CW, achetait à prix d'or les productions de la maison en dehors des Etats-Unis, à hauteur d'un milliard de dollars par an, un montant conséquent et suffisant pour justifier le maintien de l'activité.
Suite à la logique de concentration qui occupe actuellement les groupes des industries culturels de part et d'autres, l'apparition de plateformes propriétaires et la nécessité de doper le catalogue interne pour faire concurrence à Netflix ou Disney+, Warner Bros. et Paramount ont dû renoncer à cet accord avantageux. Le beau carrosse à tunes de la CW s'est donc retransformé en citrouille, et les deux groupes se sont mis d'accord pour se débarrasser de la chaîne avant que celle-ci ne commence à leur coûter de l'argent.
Aussitôt dit, aussitôt fait : le groupe Nexstar s'est immédiatement proposé, en vue de capitaliser sur cette antenne à l'abandon, récupérant ainsi le parc des téléspectateurs fidèles de la CW pour les intégrer à son immense réseau de spots télé' et de publicités répartis sur les nombreuses, nombreuses chaînes du groupe. Warner Bros. et Paramount étaient visiblement si impatient de se débarrasser de leur ancien bébé - ou simplement conscients de la difficulté que pourrait représenter la monétisation d'une compagnie largement déficitaire aux yeux du moindre repreneur potentiel - que le portefeuille de 75% d'actions a été cédé à Nexstar... gratuitement. Et sans frais. Mieux encore, selon le Hollywood Reporter, une fois la magie boursière des transitions de capitaux effectuée, et suite aux bizarreries traditionnelles du système, le nouvel acquéreur se serait même retrouvé avec un bénéfice net de 54 millions de dollars après avoir intégré la chaîne dans son organigramme. C'est fou.
Bien sûr, cela n'a rien de franchement étonnant une fois mis en face des chiffres, du challenge que représentera la mise à profit de la
CW sur le long terme sans l'accord avec
Netflix, ou le maintient de l'activité d'une chaîne qui reposait en grande majorité sur la production de contenu original coûteux. Il n'est pas dit que
Nexstar parviendra à contenter les anciens téléspectateurs sans avoir sous la main un "
Arrowverse" à mettre en avant, et on doit sans doute s'attendre
à de nouvelles vagues de licenciements à terme pour cette jeune coquille vide privée de ses propriétés intellectuelles, de son contenu et de son flux d'autrefois. Reste que la chaîne a été lâchée pour 0 dollars, voire même avec un bénéfice, ce qui est à la fois rare et amusant pour cette usine à contenu qui aura, longtemps, produit de réelles séries télévisées destinées aux fans de comics ou au très grand public.