Récemment, la rédaction de Rolling Stone a eu l'occasion de s'entretenir avec Grant Morrison, pour un échange plutôt chouette. Une interview sans autre objectif que de laisser Morrison s'exprimer sur différents sujets, depuis son rapport à Ezra Miller jusqu'à sa reconversion en scénariste pour l'industrie de la télévision, son opinion sur le cas de Superman chez Warner Bros. et son identité de genre. Au point d'à peine évoquer le Substack du/de la scénariste, "Xanaduum", une tribune en forme de blog qui ne propose pas (encore) de bandes-dessinées originales.
Projets Invisibles
Morrison en a profité pour évoquer son bref passage par les locaux de Marvel Studios il y a fort fort lointain, sans donner de détails précis quant à l'année de cette rencontre avec les pontes du studio. A ceci près que Kevin Feige n'était pas encore président, ce qui signifie donc que le/la scénariste a dû avoir affaire à Avi Arad, fondateur de Marvel Studios et producteur sur l'ensemble des différentes franchises Spider-Man.
Déjà une vedette de la bande-dessinée à cette époque, et pour avoir inspiré plus ou moins ouvertement le scénario des films Matrix des soeurs Wachowski, Morrison aurait ainsi proposé deux projets distincts à un producteur anonyme, Doctor Strange d'un côté et Moon Knight de l'autre. Deux héros capables de tomber très vite dans le psychédélique ou la folie, en accord avec les obsessions de l'auteurice. Il aurait été d'autant plus intéressant de voir le Sorcier Suprême échouer entre ses mains, compte tenu de son rapport à la magie du chaos, aux rituels et aux visions hallucinées qui avaient déjà motivées l'écriture des Invisibles chez Vertigo.
"Longtemps en amont, avant que ça ne commence vraiment, avant que Kevin Feige ne soit impliqué, je connaissais les gars aux commandes et je leur ai pitché Dr. Strange, puis je leur ai pitché Moon Knight. Mais ils ne nous ont simplement jamais pris au sérieux, parce que nous venions du monde des comics. Leur réponse était quelque chose comme 'nous devons faire ces projets avec nos propres équipes.' Aujourd'hui, ils ont trouvé leur formule et ça marche très bien, mais à l'époque le ton était plutôt 'c'est aux gens d'Hollywood de travailler sur ces films, pas vous les mecs bizarres des comics.' Mais bon, vous savez que ça ne les a jamais empêchés de nous voler nos idées (rires). Ils sont très heureux de vous faire les poches dès lors qu'ils ont besoin de quelque chose. J'avais un pitch superbe pour Doctor Strange, mais bien évidemment, ils ont pris une autre direction."
Plus loin,
"Il y a de très bons films de super-héros. Je suis même très enthousiaste au sujet de Thor : Love & Thunder. J'aime cette partie de leur production, plus colorée, les films qui ressemblent davantage aux comics Marvel. Je ne suis pas aussi emballé(e) par ceux qui abordent les choses sur un plan street-level. Mais c'était évidemment ce qui allait se passer. L'idée du futur optimiste et utopique s'est amoindrie, nous nous sommes persuadés que nous vivons dans un monde où l'avenir est déjà perdu d'avance. Donc je pense que les gens s'accrochent à cette dernière branche - 'qui sait, peut-être que nous deviendrons surhumains, peut-être que nous parviendrons à surmonter tout ça.' Mais la vérité, c'est que ces images qu'on nous propose sont très infantiles, et que notre peur du futur nous pousse à revenir vers le passé. Tout le monde recycle des histoires, recycle des personnages qui ont atteint leur firmament il y a déjà longtemps. Ce qui est la définition d'une stagnation culturelle.
Cela étant dit, je pense que c'est aussi la dernière étincelle de lumière pour plusieurs raisons au milieu d'une culture populaire qui continue à aller vers la noirceur et l'obscurité. Mais il nous faut quelque chose de neuf."
Dans la même entrevue, Morrison évoque également le cas d'Ezra Miller, avec qui iel avait développé une proposition pour un film Flash à l'époque où le projet semblait s'enliser dans les phases de réécriture. Là-encore, Warner Bros. aura fini par rejeter les idées mises en avant par cette ébauche de script, qui risque bien de finir comme les pitchs de Doctor Strange et Moon Knight : à la corbeille de ces adaptations qui auraient pu, pour peu que les studios s'appuient sur des lectures moins guindées de la culture des héros en costume.
