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Adlivun : exploration fantastique et onirique des profondeurs marines, avec Vincenzo Balzano et son éditrice Charlotte Raimond

Adlivun : exploration fantastique et onirique des profondeurs marines, avec Vincenzo Balzano et son éditrice Charlotte Raimond

InterviewAnkama

Sorti en ce début d'année aux éditions Ankama, le roman graphique de l'artiste auteur Vincenzo Balzano, qui a auparavant travaillé pour les grandes maisons américaines (Marvel, Boom! Studios) avant de livrer un premier album solo (Clinton Road), impressionne. On s'intéresse à l'histoire d'un navire, le Mary Céleste, parti en expédition à la recherche de deux autres bateaux portés disparus, l'Erebus et le Terror. Mais l'expédition menée par le Capitaine Briggs va l'amener, lui et son équipage, dans une aventure qui frise avec l'horreur et plonge (sans jeu de mots) avec le fantastique. 

Plus tôt dans l'année, nous avons pu rencontrer Vincenzo Balzano en compagnie de son éditrice chez Ankama, Charlotte Raimond, à la Galerie Achetez de l'Art où les aquarelles du dessinateur sur Adlivun étaient exposées. L'occasion parfaite pour poser quelques questions et plonger (toujours sans jeu de mots) dans les coulisses de la création de cet album !


Bonjour Vincenzo, j'ai une première question pour toi, très triviale. Tu peux un peu m'expliquer ton parcours ? 

Vicenzo Balzano : Oui bien sûr. Je suis auteur italien, je viens de Bologne, mais je n'ai pas beaucoup travaillé en Italie, j'ai principalement travaillé pour des éditeurs américains tels que Marvel ou Boom! Studios. C'est au festival de Luca en Toscagne que j'ai rencontré Charlotte Raimond -- 

Charlotte Raimond : -- et c'est là qu'il m'a montré les planches de Clinton Road, la première bande dessinée qu'il a publié chez nous chez Ankama, et qui est sorti malheureusement en 2020 juste avant le confinement. On devait déjà faire une exposition à la Galerie Achetez de l'Art puisque Ludovic [Monnier] avait déjà repéré tout le potentiel de cet artiste. 

Et justement, Clinton Road avait déjà été publié ailleurs quand vous vous êtes rencontrés ? 

C.R. : Pas du tout. Sans vouloir incriminer nos collègues italiens, c'est très compliqué d'être auteur de BD dans ce pays car les auteurs/autrices sont très mal payés.

Encore moins qu'en France ? :D

C.R. : C'est à dire que parfois ils publient sans être rémunérés. Ils ne touchent que des droits d'auteur, mais il n'y a pas d'avance. C'est pour ça que la plupart préfère travailler avec les Etats-Unis et avec la France, comme pas mal de dessinateurs espagnols. Du côté de la promotion, du travail éditorial, ils préfèrent aussi que ce soit fait avec un éditeur français. 

Et qu'est-ce qui t'as attirée dans le travail de Vincenzo Balzano ?

C.R. : C'est à la fois son travail à l'aquarelle, mais surtout le côté onirique qui se dégage de ses planches. C'est vraiment ce qui m'a tout de suite plu ; j'aime le côté poétique, onirique, et pour moi l'aquarelle fait qu'on est à la croisée de la bande dessinée et de la peinture, on peut juste passer son temps à admirer les planches sans faire attention aux dialogues.


Vincenzo, ce style à l'aquarelle c'est quelque chose que tu pratiques depuis longtemps ? 

V.B : J'ai toujours utilisé ce style, et j'utilisais cette technique aussi lors de mes travaux pour des éditeurs comme Marvel. Ca vient d'une part de mon parcours artistique, puisque je viens des Beaux-Arts et que c'est ce que j'ai pu apprendre là-bas, avec la peinture à l'huile ou la gouache. Et même si ça me prend plus de temps, lorsque je scanne pour faire des retouches sur Photoshop, j'ai beaucoup plus de possibilités en termes de nuances pour les retravailler avec le numérique. Ca m'ouvre plus de portes. 

Quelle était la base d'inspiration d'Adlivun, qui reprend en gros la légende du bâteau fantôme du Mary Céleste, tout en la revisitant ? 

V.B. : Au départ je me suis basé sur le roman de Jules Verne Les Aventures du Capitaine Hatteras, qui relate déjà ces expéditions parties au Pôle Nord, dont a fait partie le voyage de l'Erebus. Ces faits ont beaucoup inspiré le reste de la culture, notamment des pièces de théâtre, car c'était un évènement très mystérieux, et les pièces ont permis de bâtir la légende. C'est aussi la série The Terror qui a servi de source d'inspiration pour le côté horrifique. Les fonds marins et tout ce qui est éloigné forme un beau terreau pour le fantastique et l'imaginaire. 


C'est quelque chose qui te parle le fantastique, car on le voyait déjà beaucoup utilisé dans ton précédent ouvrage, Clinton Road ? 

V.B. : Ce qui m'intéresse vraiment à la base, c'est le mystère plus que l'épouvante. Je n'ai pas la volonté de faire peur aux premiers abords. Je me suis aussi amusé à m'intéresser à cette époque là, j'ai dû faire des recherches avec le navire Mary Céleste, pour que ça colle avec les dates des expéditions de l'Erebus et du Terror, pour voir si je pouvais mélanger ces histoires. Il y a un côté extrêmement flippant et bizarre dans ce récit, qui a fini par m'obséder : qu'est-ce qui était arrivé à l'équipage ? Qu'est ce qui a pu se passer ? 

D'un point de vue purement technique, c'est compliqué de dessiner des vieux navires, tu as dû prendre des nouvelles ? Et comment tu gères le travail sur le rendu de l'eau en aquarelle ? 

V.B. : Pour ce qui est des navires, c'est la première fois que j'en dessinais. C'était amusant au départ, puis ça a fini par être contraignant, tant parce qu'il faut être hyper précis, mais parce qu'il faut aussi trouver des angles à chaque fois intéressant pour les nombreuses scènes qui font intervenir un (ou plusieurs) navires. En fait j'ai acheté un modèle réduit de bateau, puis j'ai fait des modélisations 3D pour m'aider dans mon travail. En ce qui concerne la mer, il y a beaucoup de lecteurs qui m'ont dit que les profondeurs c'est comme l'espace, et que le scaphandrier pourrait très bien être une sorte d'astronaute. C'est pour ça que j'utilise beaucoup le noir, comme pour montrer une forme d'infini dans les profondeurs.


Et quelles sont tes inspirations pour les designs des masques inuits, qui s'imprègnent d'une mythologie qu'on ne connaît pas forcément par chez nous ? Il y a même des masques qui ont un air vénisien...

V.B. : Alors évidemment je suis allé me documenter dans beaucoup de livres, et j'ai aussi profité de l'aide d'un ami historien. Bologne, où je vis, est une ville très universitaire, avec bibliothèques et ressources auxquelles on peut facilement accéder. Notamment à des ouvrages anciens que j'ai utilisés pour faire mes recherches sur cette mythologie. Les masques sont faits en bois et étaient utilisés par les shamans inuits, surtout pour des rites funéraires, comme pour se protéger, à la façon des totems que l'on voit dans l'ouvrage, des étrangers. Comme on le voit dans le récit ou The Terror, le peuple inuit qui voit arriver les énormes navires l'ont perçu comme un danger. Cette mythologie de la protection, de la communauté, dont le masque est un élément fort, c'est ce que j'ai voulu illustrer. Il y a un personnage qui porte aussi ces fameux masques que les médecins portaient lors des épidémies de peste, et j'ai eu beaucoup d'autres influences, jusqu'au jeu vidéo Bloodborne

Est-ce que tu pourrais définir avec tes propres mots c'est qu'est l'Adlivun, qui donne son titre au livre ? 

V.B. : Alors l'Adlivun c'est tout simplement comme le purgatoire chrétien, c'est le lieu de passage entre la vie et la mort pour la mythologie inuit. Chaque personne qui va mourir verra son âme tomber au fin fond de l'océan, et il faudra que l'espace de l'Adlivun soit traversé pour aller au "paradis" ou en "enfer". Dans cette mythologie, il n'y a pas que les êtres humains qui ont une vie après la mort, mais tous les objets. C'est pour ça qu'on voit dans la sirène une représentation métaphorique de l'âme du navire Mary Céleste.


Et pourquoi as-tu choisi dans la conclusion de faire un lien direct avec un personnage très sinistre de l'histoire anglaise ? 

V.B. : C'est parce que dans le récit de Jules Verne qui m'a inspiré, il y avait déjà un capitaine qui, revenant de l'expédition, sombre dans la folie. J'imagine qu'après avoir vu bien des choses terribles, la folie paraît une bonne solution plutôt que de devoir se confronter à la réalité. C'est en référence à ce personnage que j'ai créé celui de Jack, qui évoque forcément une autre figure historique... A mon sens, personne ne pouvait rentrer de ces expéditions en étant indemne et sain d'esprit. 

Charlotte, en tant qu'éditrice, quelle a été ta fonction sur la vie de cet ouvrage ? 

C.R. : Avec Vincenzo, ce n'est pas comme avec une auteur français, dans le sens où j'agis pas mal sur le texte. J'avais traduit Clinton Road mais c'est difficile d'être traductrice et éditrice sur le même livre donc pour Adlivun j'ai fait appel à une traductrice, même si j'ai pas mal bossé sur les textes. Vincenzo est quelqu'un d'assez autonome, qui a déjà beacoup travaillé ailleurs, donc mon rôle a été de superviser l'univers et la mythologie pour que tout fonctionne bien, pour qu'il n'y ait pas de pertes lors du passage d'une langue à une autre dans les dialogues. Ce n'est pas comme si on faisait une simple adaptation de droits pour un titre qui aurait déjà été publié en Italie. Il y avait une part de création là dedans. C'était aussi un ouvrage auquel il pensait depuis plusieurs années. J'aime beaucoup l'imaginaire développé dedans, et je connaissais de base le livre de Dan Simmons qui a inspiré la série The Terror et j'ai retrouvé une même ambiance dans ce projet. Mon travail a donc été à la fois de travailler sur le texte, puis sur l'accompagnement, sur la promotion.

Il y avait des aller-retours qui se faisaient entre vous au cours de la création du bouquin ? 

C.R. : Vincenzo fait un storyboard très succinct vu qu'il travaille à l'aquarelle. Je lui laissais donc une grande liberté sur ses planches, alors que j'avais fait plus de retour sur Clinton Road. Là j'étais simplement bluffée par les pages qu'il me montrait. En somme, on a validé notre storyboard ensemble, puis il m'envoyait des lots de planches, on a tout fait à distance. Concernant la pagination, on était partis sur 120 pages alors qu'au final on en a 168, parce que la pagination initiale était trop faible pour pouvoir tout raconter. Il y a aussi une question de temporalité qui est importante, qui nécessite d'avoir besoin d'espace pour pouvoir être correctement retransmise, pour montrer que sur un bateau, et dans cette région nordique, le temps est long. 

Merci beaucoup à vous deux pour votre temps et vos réponses !

Arno Kikoo
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