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Skulldigger & Skeleton Boy : le Robin Year One d'une nouvelle génération

Skulldigger & Skeleton Boy : le Robin Year One d'une nouvelle génération

ReviewUrban
On a aimé• A mi-chemin entre l'hommage et la critique
• Une déclaration d'amour à Frank Miller
• Perméable aux nouveaux entrants
• Tonci Zonjic, énième génie de la famille Black Hammer
On a moins aimé• Une très bonne histoire, mais pas le firmament de cet univers
Notre note

L'arborescence des séries Black Hammer s'étend encore à d'autres genres, chaque fois plus variés. Après s'être déjà amusé à tordre l'héritage de Starman, avec la mini-série Doctor Star, Jeff Lemire s'intéresse à un autre décalque de personnages populaires dans l'histoire de la bande-dessinée aux Etats-Unis, Batman et le Punisher. Skulldigger & Skeleton Boy se cale dans l'escarcelle des séries récréatives de la famille Black Hammer, pas forcément utiles dans le grand plan de cet univers pour le moment, mais pensées pour commenter, analyser ou parodier un poncif du genre des comics de super-héros. 
 
L'imagerie de l'acolyte prend une certaine place dans cette BD, illustrée par le talentueux Tonci Zonjic, qui regarde en direction de Robin : Year One ou de Batman : Year One, des comics des années quatre-vingt dix et du rapport à la violence dans l'imaginaire de l'enfance. Un thème fréquent dans la bibliographie de Jeff Lemire, qui joue à domicile et propose une histoire impeccable, accessible et perméable aux nouveaux entrants. Dans la famille de ces déconstructions intelligentes de Batman, le Skulldigger est là pour présenter les forces et faiblesses du modèle de justicier urbain, en insérant une dynamique plus intime ou plus inhabituelle à quelques encâblures de Créature de la Nuit.

La série se base dans la ville fictive de Spiral City, sorte de grand mélange des grandes cités de la mythologie des super-héros, Metropolis, New York, Gotham City, etc. Dès les premières pages, Jeff Lemire mimique l'origine de Bruce Wayne dans l'imaginaire de Frank Miller et Darwyn Cooke, un gamin exposé à la violence pour avoir été capricieux, et qui porte le poids du meurtre de ses parents, assassinés au détour d'une ruelle sombre par un malfaiteur anonyme. Sauf que, cette fois ci le garçon n'est pas à proprement parler le premier traumatisé de son genre : immédiatement après le meurtre de son père et de sa mère, un super-héros apparaît dans l'ombre pour punir le meurtrier. Le petit équivalent de Bruce Wayne arrive après la bataille, dans un monde de justiciers où les criminels existent déjà pour punir les victimes du genre de ses parents. L'histoire démarre donc comme Batman : Year One, mais s'oriente vite vers l'inattendu de cet axe qui cible le thème des acolytes, des sidekicks, des gamins emmenés à la guerre par un Bruce Wayne qui reconnaît en eux le traumatisme qui avait engendré sa propre croisade de vengeur masqué. En résumé, plus Dick Grayson ou Jason Todd, si Frank Miller s'était intéressé au cas de ces deux loustics en collants.
 
Plus tard, Jeff Lemire poussera plus loin cette métaphore filée sur le thème de la violence imposée aux enfants, et des jeunes bras droits de super-héros : le Skulldigger a lui-même été le sidekick d'un autre justicier, et perpétue une sorte de cycle destructeur qui ne laisse pas aux gosses le temps de grandir et de faire leurs propres choix. Un propos cohérent dans la bibliographie d'un auteur qui cherche généralement à interroger les dynamiques familiales dans les histoires installées aux carrefours de certains genres figés : l'angle du père de famille dans Animal Man, du père de famille dans Killer Smile, ou encore du père de famille dans la trame principale de la première série Black Hammer. Amateur d'orphelins en déroute, le bonhomme aime ses histoires moroses et ses enfants perdus, passé par Sweet Tooth ou le récent Snow Angels. Cette fois, en revanche, Lemire fait un effort pour coller aux codes de Batman et du Punisher, avec une écriture plus dépouillée dans son format d'action et de super-héros à échelle humaine, moins mélancolique, et plus accordée au style taiseux de Frank Miller sur Year One. Le bonhomme revendique l'inspiration, en citant Batman et Daredevil comme les motivateurs de son Skulldigger.

La série suit le point de vue de plusieurs personnages, pour la plupart hantés par ce relationnel parental souvent assez compliqué. Le scénariste place une élection municipale à Spiral City comme toile de fond de ce curieux règlement de compte familial, avec le super-méchant Grimjim, un Joker qui serait passé par les enfers pour se transformer en démon immortel sans renoncer à ses codes de truand blagueur, en jogging et ouvertement inspiré par le clown de Gotham City. Le thème du politique, la parodie de ces vilains de série B matérialisés comme des êtres plus violents, plus sadiques, et qui revendiquent une relation plus personnelle avec le héros, évoquent le Dark Knight Returns et cette transformation de comics plus légers et colorés vers l'imaginaire plus dur et violent du Dark Age. Situé quelque part entre The Wrong Earth (L'Autre Terre) et Robin : Year One, Skulldigger & Skeleton Boy est une superbe réinterprétation de grandes tendances dans la bande-dessinée des surhommes, où Jeff Lemire paraît une fois de plus s'amuser à commenter, disserter sur l'histoire des comics en profitant de cet espace de liberté pour s'autoriser à tirer des conclusions inhabituelles.

Au hasard, le fait est que DC Comics n'a jamais cherché à remettre en question l'enrôlement systématique de nouveaux acolytes par Batman, dans une ville où des gamins ou des adolescents risquent la mort au quotidien. A l'inverse, l'hommage à Frank Miller, grand critique de cette habitude des Robin dans DKR, où le bonhomme avait anticipé la mort de Jason Todd à sa façon, ou DKSA avec le Jokerobin, passe aussi par cette envie de montrer la possibilité d'une autre voie, ou de tirer des parallèles entre l'embrigadement des jeunes et les violences domestiques. Si Skulldigger n'est pas forcément le plus abouti des travaux de Jeff Lemire sur cette parabole vers l'enfance, l'histoire au global marche diablement bien dans son format de pastiche des super-héros de l'âge noir, avec une patine colorée et élégante qui donnent à la série une allure de petit immanquable dans une collection de super-héros hors continuité.



Sans chercher à coller au diktat posé par David Mazzucchelli sur les séries de la famille Year OneTonci Zonjic suit une charte graphique intelligente, faite de couleurs pleines, de contours vifs et appuyés, de personnages à la stature imposante et de scènes d'action dynamiques. La colorisation utilise souvent le noir et blanc pour appuyer ses effets, dans un ensemble pop qui cherche là-encore à digérer les grandes transformations du dessin de BD de deux grandes périodes : Zonjic fait du cartoon dans les allures et les situations, tout en appuyant sur la violence ou le réalisme dans les moments plus intimes, plus humains. Des personnages expressifs aux regards très appuyés, une habileté à manier la violence sans complaisance ou envie d'impressionner la rétine à coups de gerbes de sang, un super entre-deux qui cherche à la fois à coller à la critique de Jeff Lemire sur les us et coutumes des séries de super-héros et à rendre hommage à cet imaginaire importé de l'âge d'argent, avec des costumes tendant vers le ridicule de ces BDs pour enfants ou adolescents.

Skulldigger & Skeleton Boy utilise toute la palette d'expression de l'univers Black Hammer, en jouant bien avec cet univers où les super-héros sont à la fois des parodies et des réponses métafictionnelles à la tradition officielle du genre, en mélangeant des idées empruntées à Batman, au Punisher ou à Ghost Rider, tout en cherchant un sens personnel et authentique dans ces héros d'appropriation. La parabole sur les acolytes est réussie, le dessin est superbe, le rythme impeccable, et Jeff Lemire s'empêche de virer dans le morose en épousant les contours de son propre exercice de style : rendre hommage à ses propres lectures de jeunesse de la fin des années quatre-vingt. En résumé, la "formule" Black Hammer appliquée à la lettre. Au-delà de l'aventure de la Ferme, les séries basées dans cet univers ont surtout l'intérêt de réfléchir et de réagir à des décennies de traditions et de tics pour la bande-dessinée mainstream, généralement intelligemment et en s'adressant directement aux passionnés de ces histoires. En l'occurrence, la série peut même se lire telle quelle, déconnectée de toute lecture préalable, et fonctionnera comme une sympathique aventure de super-héros pop', colorée, et avec une dose de violence suffisamment tolérable pour rester dans le champ du grand public.



La saga Black Hammer est donc forcément passionnante pour les amateurs de super-héros : imaginez, un auteur passionné embarqué dans sa trajectoire de créateur indépendant qui refuse d'abandonner cette fascination pour les figures costumées et décide de construire un monument dédié à leurs forces comme à leurs principales faiblesses. A se demander s'il sera encore possible d'écrire des justiciers masqués demain, sans tomber dans la redite ou se cogner contre les conclusions pertinentes de ces différents projets, qui flirtent avec le post-moderne dans leur interprétation du medium. Loin de simples délires intello' ou de critiques faciles à la The Boys, les justiciers de Black Hammer sont surtout des oeuvres qui s'adressent aux passionnés, une respiration authentique qui intègre des critères de réalisme ou de générosité artistique parfois plus rares dans les maisons d'éditions plus conventionnelles. A la fois fanfiction et pastiche, Skulldigger et son Skeleton Boy sont autant les héritiers des Year One que des Batman : Ego, Batman : Beyond ou des mauvais moments de la décennie 1990 repensés sous des angles plus favorables. Ne reste qu'à militer pour que cet univers prenne davantage de place sur la scène du comics moderne. C'est là que vous intervenez.

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Corentin
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