Au sortir de la crise, les jeunes sociétés parées à se lancer (Bad Idea, AWA Studios), ou les éditeurs entrés sur le marché depuis peu de temps, risquent bien d'être les premiers à payer le prix fort des fermetures de boutiques. Tandis que certains cherchent des alternatives, dans le numérique ou l'offre à la demande, BleedingCool nous apprend qu'un imprint tout entier a déjà été sacrifié sur l'autel Coronavirus - en l'occurrence, celui-ci n'avait pas eu le temps de voir le jour, s'épargnant donc les annonces de suppressions de postes et de nouveaux chômeurs qui vont généralement avec les morts de projets. C'est déjà ça.
Dans son bilan de newsletter habituel, le scénariste Warren Ellis explique qu'il était sur le point de lancer sa propre enseigne avant la crise sanitaire, dans les colonnes d'un éditeur anonyme. BleedingCool, abonné à la parole du barbu, a eu la sympathie de transcrire le texte pour ceux qui ne reçoivent pas directement la parole de ce géant de la BD.
"Et bien, il me faut à présent repenser les deux prochaines années de ma vie. J'étais en train de construire mon propre imprint au sein d'une société d'édition, mais les fermetures et la connerie générale du système qui veut qu'on ait fait confiance à une seule entité pour la distribution exclusive aux comic shops, qui annonçait immédiatement après les fermetures qu'elle n'allait plus payer personne, tout ça a mis fin au projet et à l'ensemble du marché des comics sur papier."
Sans annoncer de retraite prématurée de l'écriture de comics pour autant, le bonhomme, amer, aurait encore quelques idées dans les tuyaux. Mais, à ceux qui rêvaient de voir Ellis à la tête de sa propre enseigne comme Alan Moore à l'époque des America's Best Comics, cette perspective semble pour le moment morte et enterrée.
"Je donne un coup de main à un autre éditeur pour une autre initiative, qu'on appelle PROJECT GENEVA, et les contrats ont été signés - mais ce dont je rêvais, alterner entre mon travail en télévision et alimenter un canal de nouvelles BDs originales pendant quelques années, ça ne se fera pas.
Je visualisais ce projet comme ma dernière chance d'avoir le moindre impact sur le médium des comics, après une carrière que je pense pouvoir qualifier de médiocre, au mieux. Mais il faut aussi être capable de lâcher prise. Parfois, les événements se mettent à conspirer contre vous, vous vous prenez une tempête et tout se met d'un seul coup à vous barrer la route. Et vous pouvez essayer de vous battre, mais en définitive, vous allez juste vous retrouver avec dix huit tonnes de débris à pousser au sommet d'une colline."
Étonnamment, l'invention de Transmetropolitan, The Authority, Planetary, Trees, Injection, Desolation Jones ou la trilogie des surhommes chez Avatar Press laisserait espérer à un scénariste un bilan de carrière au-dessus du grade "médiocre" - la déception parle certainement à la place de l'homme au chapeau, qui avait sans doute déjà plusieurs projets de prêts pour accompagner l'annonce de cet imprint inédit.
Reste à voir si Ellis aura envie de proposer ces séries à un autre endroit, ou retenter l'expérience plus tard, une fois la situation stabilisée. On observera les prochains mois en espérant que d'autres tentatives de ce genre survivront au Coronavirus, dont les ravages sur le secteur culturel risquent bien de durer un certain temps.
