Les amateurs des Jeunes Titans sont plutôt gâtés cet été. Après un premier trailer pour l'improbable crossover Teen Titans Go! vs Teen Titans et en attendant l'arrivée en France des New Teen Titans par Marv Wolfman et George Pérez le mois prochain, ils peuvent mettre la main sur le premier numéro d'une série de romans graphiques dédiée à l'équipe des adolescents casse-cous. Réalisé par Kami Garcia et Gabriel Picolo, le titre est à découvrir dans le label DC Ink, qui sera intégré dans DC Kids par la suite. Celui-ci se concentre sur le personnage de Raven, dont l'origin story amorce une future formation de l'équipe.
Suite à un accident qui lui a fait perdre sa mère adoptive et sa mémoire, la jeune Rachel Roth (que l'on surnomme bien sûr Raven) se voit confiée à sa tante et tente de reprendre une vie normale à la Nouvelle-Orléans. En proie à des cauchemars qui n'augurent rien de bon mais aidée par Max, sa nouvelle soeur par adoption, elle va chercher à comprendre les évènements pour le moins mystérieux qui se produisent autour d'elle et tenter d'échapper à ses démons.
En ouvrant l'album, le travail de Picolo (accompagné au dessin par Jon Sommariva et Emma Kubert) flatte la rétine et fonctionne parfaitement bien avec celui de David Calderon, à la colorisation. Certains jugeront sans doute le trait trop épuré, mais ne pourront pas nier le fait qu'il sait s'adresser à un public young adult sans être aseptisé. Les tons aquarelle sont utilisés avec parcimonie (certaines pages sont presque en noir et blanc), faisant ainsi ressortir leur présence. Chacun a une symbolique qui, même si elle est facilement compréhensible, est pour autant bienvenue. Le rouge et le jaune sont sans surprise associés à la menace. D'autres teintes font preuve de plus de subtilité, comme le bleu marine dont la signification -qu'il est possible de deviner en y prêtant attention- finira par se révéler au moment voulu. Mention spéciale au violet, à la fois angoissant et protecteur, représentatif de la situation délicate dans laquelle se trouve Raven. Cet exercice visuel atteint son plus haut niveau vers la fin du récit où, dans une double page muette ; il parvient à illustrer la nature de la relation entre deux personnages et les sentiments de la protagoniste principale à l'aide d'une inhabituelle effervescence de couleurs.
Un point qui semblera peut-être anecdotique à certains mais qui est loin de l'être, particulièrement lorsque l'on s'adresse à un jeune public : aucun des (nombreux) personnages féminins n'est sexualisé. Même lorsque l'adolescente gothique fait elle-même le choix d'une tenue qualifiée de "sexy" pour se rendre au bal de promo, celle-ci n'a rien de vulgaire ni de suggestif. Une démarche que l'on ne peut que saluer à l'heure où des femmes en petites tenues et aux formes n'ayant aucune logique -si ce n'est celle d'essayer de faire vendre- continuent d'emplir les pages d'une pléthore de titres. On notera un vrai changement sur ce point vis-à-vis d'Icarus and the Sun, l'album auto-édité de Picolo qui, s'il demeurait très beau, présentait une personnification du Soleil bien plus sexualisée que ne l'était son amant ailé. En dehors des évidentes normes éditoriales intrinsèques à une publication jeunesse (qui laissent parfois passer quelques aberrations), on peut supposer que ces physiques ordinaires sont avant tout un souhait de la scénariste, en accord avec le reste du propos qu'elle porte dans son oeuvre.
Pour ce qui est justement du propos, on y retrouve des thèmes très classiques sur le passage à l'âge adulte, sans pour autant que ceux-ci ne soient trop lourds. Le roman graphique est un récit sur l'adolescence avant d'être un récit de super-héros, une approche rafraîchissante qui a le mérite de se démarquer d'une bonne partie du reste de la production. Pas vraiment donc de combat dantesque à l'horizon, mais cela est pour le mieux. Plus que le fil rouge, l'enjeu ici est surtout de savoir si Raven parviendra à retrouver une vie normale. Bien que le ressort scénaristique usé jusqu'à l'os du personne amnésique puisse faire peur à la lecture des premières pages, on se rassure un peu en voyant que son utilisation -métaphore du questionnement identitaire traversé à cet âge- n'est pas hors-sujet à défaut d'être très original.
Si une Rachel de marbre devant les affaires de son "ancienne vie" représente bien la rupture qui s'opère entre l'enfance et l'âge adulte, on n'échappera malheureusement pas aux génériques "Je ne sais même pas qui je suis". En-dehors de cela, Kami Garcia utilise le cadre scolaire pour parler des normes sociales, des situations familiales délicates, des minorités ou encore du mal-être parfois rencontré durant les jeunes années. En bref : tout un tas de raisons pour lesquelles certains partiront organiser de grands autodafés, arguant que les comics, "c'est pas censé être comme ça".
L'histoire intrigue avant tout grâce à sa galerie de personnages, dont une partie a été créée pour l'occasion. Raven est attachante, fait rire lorsqu'elle arbore un pyjama à motif de narvals mais nous inquiète lorsque des pulsions sadiques lui font mordre la ligne rouge. Sa relation avec Max fonctionne bien, au point de se faire parfois voler la vedette. Récit young adult oblige, les aventures sentimentales sont de sortie et, bien qu'elles soient assez prévisibles, il s'en dégage de temps à autre une certaine candeur plutôt sympathique. Du côté obscur de la Force, l'ennemi le plus intriguant ne se révèle pas être celui annoncé comme la grande menace. Celle-ci fait presque l'effet d'un pétard mouillé, ne réussissant pas à relever le niveau qu'elle s'était elle-même imposé au travers de planches de cauchemars particulièrement bien réussies.
Le volume comporte un chapitre de preview pour le prochain tome, cette fois axé sur Beast Boy. Ne dévoilant pas grand chose sur cette histoire à venir, il est surtout l'occasion de constater qu'un léger changement dans la colorisation a été opéré, et pas de manière bénéfique. Rendez-vous à l'été 2020 pour voir si cette mauvaise impression se révèle être erronée ou non.
Destiné aux adolescents, Teen Titans : Raven ne plaira pas à tout le monde. Peut-être avez-vous passé l'âge de lire ce que vous voyez maintenant comme des romances d'ados mal dans leur peau ; ce qui s'entend parfaitement. Mais si vous avez gardé votre âme d'enfant et dégustez toujours vos céréales devant un dessin animé le matin, le titre pourrait susciter votre curiosité. Plutôt léger dans l'ensemble, il s'apprécie avec une pointe de nostalgie. On attend de voir ce que donnera la suite, et comment fonctionnera l'équipe une fois tous ses membres assemblés. D'ici-là, on se dira qu'on n'est peut-être pas trop vieux pour regarder à nouveau la série qui passait à la télé quand on était petit.
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