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Mister Miracle : dépression, rédemption, évasion, illusions

Mister Miracle : dépression, rédemption, évasion, illusions

ReviewUrban
On a aimé• Un essai de style quasi-biographique passionnant
• Les dessins de Mitch Gerads, incroyables
• De superbes hommages aux comics
• Souvent drôle ou décalé
• Qu'est-ce qu'un bon comics qui parle de dépression ?
On a moins aimé• Éventuellement complexe, les pistes de lecture arrivent plus bas
Notre note

A-t-on besoin, pour comprendre précisément le sens d'une oeuvre de fiction, d'en apprendre plus sur celui qui en est responsable ? Ou bien, laisse-t-on notre regard s'influencer de ce que nous pensons savoir d'un auteur, de ses intentions et de sa personnalité, parfois intime ? Ces questionnements, responsables de débats sans fin chez les scolastiques ou dans les cercles de premières années en lettres avec trop de temps libre et pas assez de matchs Tinder, reviennent périodiquement sur la table quand arrive le moment de décrire une oeuvre volontairement obscure. 

Un bouquin qui repousserait l'analyse en défiant les règles conventionnelles de construction des récits, à l'image du Mister Miracle de Tom King et Mitch Gerads. Disserter dessus ? Facile. Prétendre pouvoir traduire ce que la maxi-série raconte ? Plus compliqué. En revanche, on peut vous conseiller de l'acheter dans les deux cas. Il serait préférable que vous l'ayez d'ailleurs lu avant d'aller plus loin (dans le pire des cas, il vous est exceptionnellement accordé de vous baser sur la note comme point de référence).
 

 
Au moment de décrire son volume sur Scott Free et les personnages inventés par Jack Kirby, Tom King évoquera une sorte de besoin, de rétablir la vérité sur un héros trop longtemps vu comme positif ou, éventuellement, optimiste sur le déroulement de sa propre existence. Mister Miracle, le roi de l'évasion, un postulat fascinant pour un scénariste qui aurait cherché une bonne partie de sa vie à s'échapper, à travers la fiction, de tourments particuliers et difficiles à cerner pour le lecteur occidental, relativement peu habitué à trouver autant de réel dans une oeuvre de super-héros. Revenons en arrière. Avant d'être devenu scénariste de comics, Tom King aura participé, comme des millions d'américains patriotes après les attentats du 11 septembre, à l'invasion du moyen-orient. Sept années de sa vie passées, entre autres, à Bagdad, en tant qu'agent du contre-terrorisme pour la CIA. Il décrira plus tard ce moment particulier de son existence comme une série d'événements bizarres, violents, tristes ou incroyables.
 
Et s'il n'est pas utile de rappeler ce passé militaire à chaque incartade critique dans un recueil de King, les cas de Sheriff of Babylon et Mister Miracle sont plus particuliers, tant l'un répond à l'autre comme une sorte de suite directe et involontaire. Deux passages biographiques : l'un pendant la guerre, et l'autre après. A l'instar de milliers d'autres soldats, officiels ou mercenaires engagés pour régler l'éventuelle question terroriste à l'est de nos latitudes, Tom King a ramené avec lui une batterie de mauvais souvenirs, traduits sur le plan psychologique par ce que certains ont choisi d'appeler "PTSD" - le stress post-traumatique des vétérans et des anxieux, une route vers la dépression nerveuse et toute une batterie de psychoses telles que la paranoïa ou les hallucinations. Voyez Taxi Driver ou L'Echelle de Jacob pour d'autres illustrations fictionnelles de ce concept.
 
Aussi, si l'on garde en tête cet élément isolé de la vie de ce scénariste, difficile de ne pas poser un regard orienté sur des oeuvres comme Mister Miracle, ou évidemment, Heroes in Crisis. En interviews ou sur les réseaux, King évoque fréquemment son rapport à sa femme, ses enfants (ou son chien), mais aussi dans son rapport à la fiction, une forme de thérapie par l'invention pour coucher en deux dimensions ses angoisses - la catharsis du créateur, un éternel chemin vers l'acceptation de certains mauvais penchants. Mister Miracle est un vétéran. Mister Miracle est un dépressif. Mister Miracle est suicidaire. Mais Mister Miracle va s'en sortir. Mister Miracle a une femme qu'il aime, un enfant qu'il aime et apprend peu à peu à vivre avec son passé. Mister Miracle s'invente un petit monde avec les héros de Kirby dont il ne sait plus s'il est réel ou non. Il est possible que cette piste de lecture ne soit pas la bonne, comme il est possible que ce bouquin soit une biographie fantasmée d'un auteur à travers des figures de héros costumés, qui se bagarrent pour le contrôle de planètes lointaines et inventées. A savoir l'un des bouquins les plus personnels de ces dernières années chez DC Comics, un énorme travail d'écriture, de mise en abyme, d'humour, de références, et de splendides dessins. Rien que ça.
 

 
Pour proposer une critique plus technique, cela étant, l'histoire de Mister Miracle reprend entre Orion et Scott Free le fameux dilemme de deux pères ennemis, prêts à mettre fin à une longue guerre en s'échangeant leurs fils respectifs comme otages. Le bouquin sera une série d'allées et venues entre différents moments et différents styles - certains passages joueront par exemple la carte de l'humour, en désacralisant la grandeur biblique des oeuvres de Kirby pour approcher un rapport au réel sensible, du quotidien normal de tout un chacun. Un super-héros qui achète des couches pour son fils, une Female Fury qui prépare sa fête d'anniversaire. Parsemé de t-shirts référentiels aux oeuvres de DC Comics (et de celles de King plus directement, avec un vêtement à l'effigie de Sheriff of Babylon) ou de blagues méta' sur "Batman, tueur de bébé", le bouquin cavale entre réalité et fiction, le quotidien d'un auteur-père-de-famille nerdy fanatique de posters et de mugs imprimés aux couleurs des héros de BDs et celle, parodique ou prosaïque, d'un personnage de comics dans le monde bariolé et fou du Fourth World.
 
Avec sa science habituelle des dialogues, King brouille les pistes entre la simplicité de son message, l'humanité de ses héros dans des échanges très plats et banals, ou sur la répétition de répliques qui forme sa signature depuis quelques années. Les "Darkseid Est" apparaissent de façon récurrente, comme un motif de répétition dans la vie des personnages. On peut choisir de le voir comme un simple cri de guerre sur la fatalité d'un grand vilain et de ce qu'il représente - l'équation d'anti-vie, que l'on peut comprendre comme une allégorie du suicide - ou un questionnement existentialiste ou cartésien sur notre rapport à l'identité ou à la réalité. Qu'est-ce qui est réel, et qui suis-je dans ce réel. 
 
Passé la masturbation intellectuelle qui aurait de quoi vous rebuter, ces questions se posent réellement au fil du bouquin, en particulier dans les derniers numéros compilés dans cette édition reliée. Prenez l'exemple de Funky, une mise en abyme de King qui crée ce personnage avec la personnalité et les dialogues d'un Stan Lee fantasmé, le Stan des comics des débuts qui présentait les personnages dans des encarts narratifs enjoués et enthousiastes, gorgés de bons messages sur le rôle des vrais super-héros. D'autres éléments épars, comme un effet de couleurs décalées ou un motif de bande VHS parasite viennent poser la question de ce qui est vrai ou faux dans l'histoire proposée par le scénariste et son illustrateur - façon Vanilla Sky, une sorte de simulation de vie rêvée après une mort plus que probable. La question est, malheureusement ou heureusement, laissée en suspens.
 

 
Du côté des dessins, l'ensemble est magnifique et on retrouve évidemment les gaufriers à neuf cases chers à l'auteur et superbement rendus par un Mitch Gerads en immense forme. Les visages, les expressions, les restitutions des costumes étranges du Fourth World, les plans fixes ou les scènes figées découpées en plusieurs cases, Mister Miracle invente énormément de façons de poser ou de casser son propre rythme, au point de perdre parfois un lecteur inattentif. Le fait d'avoir fait de Big Barda une femme musculeuse et imposante, loin de la simple imagerie de nana sexy qui n'aurait que sa taille pour se différencier, est aussi un réel plaisir. Les couleurs sont magnifiques, et le bouquin mérite au moins votre attention sur sa partie graphique, l'un des plus beaux projets de ces dernières années chez DC Comics et, une fois encore, une continuation directe des réussites de Sheriff of Babylon.
 
A partir de là, il serait facile de vous assommer avec une parabole sur le Discours de la Méthode ou les thèses de Sainte-Beuve - mais restons entre gens de bonne éducation. Mister Miracle est une oeuvre fondatrice, dans ce qu'elle dit de la façon dont nous approchons la fiction, les scénaristes et les super-héros. Un moment de bravoure dans le rapport auteur-fiction trop souvent fui par des salariés plus besogneux qui ne cherchent souvent qu'à produire le nouveau super-vilain à la mode, au lieu de profiter des symboles que nous offrent au quotidien les personnages costumés dans notre propre approche de la création, de la façon dont ces héros nous accompagnent et sur la façon dont des gens que nous ne connaissons pas tentent de nous communiquer un message à travers une série de cases figées.
 
A travers Mister Miracle, Tom King évoque ses angoisses, ses cauchemars, l'impression d'être un perdu dans un monde sans repères où les mauvais souvenirs hantent chaque recoin. A travers la fiction, à travers ces personnages qu'il affectionne, à travers l'amour, à travers la parentalité, l'auteur parle aussi de sa recherche du bonheur et de l'équilibre après la guerre, après une éducation difficile ou qui lui aura tout du moins laissé quelques cicatrices. La récurrence de ses tourments, tel Orion et Darkseid, revenant le hanter, l'auteur parle aussi du besoin de se créer un monde imaginaire où s'évader loin des problèmes complexes, d'une approbation parentale qui refuse de se pointer ou de l'envie de se réinsérer à travers les histoires que nous emmenons avec nous. Ce qui laisse parfois d'excellents bouquins en route, et parfois non. Celui-ci est dans la première catégorie.
 

 
Mister Miracle est une oeuvre très particulière, à aborder différemment de votre relié traditionnel de héros musclé déjouant complots, machinations et obstacles posés sur sa route par un super-méchant ou une secte secrète aléatoire. On pourrait rapprocher le récit du travail de Matt Fraction sur Hawkeye, dans l'inventivité de sa façon de raconter son histoire, ou dans l'intention générale de faire quelque chose de différent, voire de personnel, avec un héros codifié et traînant avec lui un lourd passé des âges ancestraux où les comics étaient les guerriers antiques ou grecs réinventés par les plumes de l'imaginaire américain. Désacralisé, remis à plat, humanisé, l'oeuvre traite plus du parcours d'un homme qui cherche à s'évader, à la fois de ces codes conventionnels mais aussi, ou surtout, d'un mal-être plus profond. Dépression nerveuse et rédemption par l'amour et la construction d'un foyer, illusions réelles ou sans danger, des thématiques qui suivront King sur son Batman cherchant après la femme-chat un sentiment d'équilibre ou, dans ses rêves, la catharsis de longs traumatismes jamais résolus. On peut ne pas accrocher. Après tout, il en faut pour le monde. 
Corentin
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