
Un rachat ? Non, pas plus qu'une mise en gérance. Sur le papier, l'opération ne paraît même plus spécialement incongrue, compte tenu des réalités modernes du secteur de l'édition aux Etats-Unis et du retour progressif des logiques de sous-traitance. Néanmoins, de la part d'une institution aussi ancestrale que les éditions Archie Comics, la nouvelle a tout de même quelque chose de surprenant. Dans un communiqué de presse, les représentants de la compagnie ont effectivement annoncé la validation d'un partenariat avec Oni Press pour l'édition et la diffusion de nouveaux produits.
Dès l'an prochain, cette petite structure, pilotée par le tacticien Hunter Gorinson, pourra imprimer ses propres séries Archie Comics en utilisant le riche catalogue des personnages de Riverdale et Greendale. Un coup de semonce inattendu pendant cette période des fêtes de fin d'année, mais qui confirme pourtant cette tendance moderne de satellisation des catalogues : depuis l'effondrement progressif de la période faste observée sur le marché indépendant (après l'onde de choc provoquée par la grande migration des talents vers Image Comics, autrefois), certaines enseignes décident finalement de baisser les bras, en se retranchant vers d'autres maisons, en meilleure santé, pour gérer les flux de production. Valiant Comics s'était déjà tourné vers Alien Books... et Archie Comics suit le mouvement.
Les deux compagnies ont communiqué dans les grandes lignes sur les termes de l'accord conclu. Pour commencer, cette migration du catalogue ne veut pas dire que les éditions Archie Comics vont abandonner leur activité d'éditeur : de nouveaux albums seront publiés, avec la cadence habituelle, mais l'essentiel de la production devrait se concentrer sur l'exploitation du catalogue historique de l'enseigne. Autrement dit, sur les réimpressions des grands classiques. Archie Comics repose effectivement sur une base cumulée de plus de quatre-vingt années de gags et de strips, régulièrement rééditées sous la forme de collections peu ou prou intemporelles et destinées au lectorat des plus jeunes.
De ce point de vue, l'entreprise ne change pas son fusil d'épaule, dans la mesure où l'exploitation (en numérique, notamment) de cet énorme catalogue de fond servait encore d'axe dominant pour les productions de la maison d'édition depuis ces dernières années.

En revanche, Oni Press obtient de son côté les droits des single issues. De nouvelles séries basées sur les personnages de Riverdale pourront être publiés, sous la supervision d'Hunter Gorinson, pour viser le lectorat des adultes et des fans de comics de genre. De ce point de vue, l'ancien gradé des éditions Valiant et Bad Idea connaît son sujet. Les premiers projets annoncés dans le cadre de ce partenariat évoquent naturellement le savoir-faire de celui qui aura sorti Oni Press de la banqueroute, en misant sur la qualité des équipes créatives. A savoir :

Dans le même temps, Oni Press et Archie Comics se sont aussi entendus pour exploiter la marque sous l'angle des romans graphiques jeunesse (pour les jeunes adultes cette fois). En somme, si la maison mère se chargera des plus petits, son partenaire pourra miser sur les deux autres tableaux, avec des projets pour adolescent. C'est naturel : les codes de Riverdale sont mécaniquement taillés pour épouser le format des romances, des triangles amoureux, de la tranche-de-vie adulescentes et des intrigues basées en dehors des grandes villes, canons dominants de la fiction standardisée "young adult". Les preuves ne manquent pas, du côté des adaptations (la série Riverdale, Katy Keene) ou même dans l'industrie des webtoons, avec quelques expériences préalables pour valider la formule.
Pour l'heure, les équipes créatives de cette branche précise n'ont pas été évoquées, mais Oni Press a tout de même pu confirmer qu'il s'agirait bien de séries en plusieurs tomes opérant au sein de leur propres continuités. Dans le communiqué de presse publié pour annoncer cette association, les équipes des deux entreprises se félicitent de cette signature, et revendiquement fièrement leur intention de relancer la marque Archie Comics pour ces différentes démographies d'ici les prochaines années.
Maintenant, au premier abord, cette floppée de projets confirme surtout quelques réalités : d'une part, l'édifice principal des comics de Riverdale a définitivement abandonné toute volonté de produire ses propres BDs en interne pour le marché des fans de genre. Ce qui n'est pas une surprise. Depuis quelques années, les fans ont pu s'apercevoir (en suivant les articles publiés dans nos colonnes, notamment) que les éditions Archie Comics avaient globalement abandonné le navire, se contentant seulement de quelques numéros spéciaux sans lendemain, au coup par coup, comme pour occuper le terrain en attendant de trouver de meilleures idées.

Or, si le président de la compagnie, Jon Goldwater, avait assuré que certains projets laissés en friche (Afterlife with Archie, Chilling Adventures of Sabrina) allaient bien finir par reprendre leur publication... depuis bientôt dix ans, cette promesse ne s'était toujours pas concrétisée. Dans le même temps, l'absence de nouvelles adaptations pour motiver les troupes n'était pas nécessairement un franc signal d'espoir. Si bien que, finalement, Archie Comics a préféré confier son département comics aux mains d'une équipe qui avait... envie de publier des comics ? Ce constat, un peu amer, forcément, servira de justificatif pour le passage de flambeau. Au passage, la piste d'une relance tardive d'Afterlife with Archie n'est pas forcément condamnée pour de bon maintenant qu'une série télévisée a été commandée autour de cet univers.
Or, justement, qui de mieux que le bon Hunter Gorinson pour reprendre l'affaire en mains le moment venu ? Gardons espoir. Et dans le même temps, le fait d'avoir récupéré deux champions de l'horreur moderne (Prince et Horvath) n'augure que du meilleur pour les amateurs des anciens comics de la trouille basés dans les rues de Riverdale.
D'un point de vue industriel, en revanche, si l'on veut prendre pour exemple le cas de Dynamite Entertainment (qui centralise désormais les propriétés des catalogues Walt Disney Pictures, Terminator et Hanna-Barbera/Cartoon Network), Alien Books (Valiant) et Oni Press (EC Comics, Archie Comics), une nouvelle réalité s'est manifestement installée dans l'équilibre des puissances traditionnelles. Par le passé, les petites compagnies s'en sortaient généralement sur l'exploitation de licences précises (chez Dark Horse et IDW notamment) pendant que l'essentiel des enseignes basées sur le marché indépendant misaient sur les créations originales pour se démarquer. Cette réalité ne va plus forcément de soi aujourd'hui, dans la mesure où la sous-traitance et les gestions de franchises ont largement pris en importance, pendnat que d'autres entités (AWA, TKO, ou même AfterShock dans une moindre mesure...) n'ont pas su transformer l'essai. La topographie des petites enseignes se réorganise sous de nouvelles couleurs... rousses, en l'occurrence.
Dans le même temps, l'extraordinaire travail d'Hunter Gorinson au commandement de la maison Oni Press (en juxtaposition de l'effondrement progressif des éditions Valiant depuis le départ de l'ancienne équipe éditoriale) nous rappelle que, encore une fois, la bande à Dinesh Shamdasani mérite amplement sa réputation de faiseurs-de-miracles dans le présent.