Avec quelques jours de retard, et la perspective de commenter la série en prenant le temps de la réflexion, d'écouter l'avis de James Gunn sur cette conclusion ouverte (et passablement frustrante) ou de recueillir quelques vagues données sur l'audimat du produit, quel constat dresser de la seconde saison de la série Peacemaker ? Lancée presque par hasard pour alimenter la plateforme HBO Max, ce curieux objet, situé quelque part entre deux continuités, interroge encore sur la tessiture réelle de l'univers DC Studios, une saga qui paraît coincée dans un éternel état de démarrage permanent. Christopher Smith est de retour, et pour un James Gunn qui sort tout juste de l'expérience de Superman, la série opère dans une agréable zone de confort.
Animaux, bagarres, musique, rédemption : le chef de l'état major DC Studios peut dérouler tranquillement sa grille thématique habituelle, sans devoir se poser la question de brouiller ou de maquiller sa panoplie pour la perméabilité d'un grand public composé de familles et d'enfants. Pourtant, le Gunn a encore quelques cartouches d'inattendu dans le barillet. Sur le papier, la série se répète, ou répète pas mal de ce qu'elle avait déjà dit, mais l'appareil narratif paraît toutefois plus mature, plus composite, plus adroit que celui de la première fois. En définitive, si cette seconde saison n'a pas forcément fait grand bruit (et aura même pu décevoir sur sa construction globale), difficile de ne pas convenir d'un fait : avec Peacemaker, James Gunn termine d'affûter ses outils, comme un auteur désormais capable d'aller au fond des choses. Bang bang, cri d'aigle alpha. Musique ?
Au moment de la campagne de promo', de nombreux fans (et la rédaction s'inclut volontairement dans le groupe) pensaient que les nouvelles aventures du Peacemaker allaient fonctionner comme une sorte de fausse "Crisis" localisée. A savoir ? Une histoire pensée pour corriger certains points de continuité. De fait, Chris et ses copains sont tout de même originaires d'une continuité disparue - celle du DC Films de Walter Hamada - et avec des bandes-annonces qui semblaient vouloir pointer dans la direction du multivers, d'aucuns estimaient que James Gunn allait en profiter pour élucider ce conflit de réalités parallèles. Sauf que, comme le film The Flash nous l'a prouvé avec la pertinence des plus grands, les productions articulées dans cette optique ne sont pas connues pour être particulièrement... digestes.
En définitive, tout le monde ou presque s'était trompé : il est bien question de multivers dans cette seconde saison, et l'on pourrait même dire que, en un sens, James Gunn se sert de cette mécanique pour raccrocher les wagons au reste de sa grande tapisserie, mais pour ce qui concerne le canon utile ou concret... il n'était pas nécessaire de s'arracher les cheveux. Grosso modo, Peacemaker est canonique, voilà, les retcons fonctionnent aussi dans les adaptations, c'est formidable les copains. Mais alors, de quoi s'agit-il cette fois ?
Avec la première saison, le grand patron de DC Studios s'était permis de poser la question sempiternelle de son cinéma, une fois encore, en proposant au public la réflexion suivante : est-ce qu'on peut-être un héros... quand on est aussi un gros nul ? Obsessionnel de cette perspective depuis ses débuts au cinéma, James Gunn se projette généralement dans les gueules cassées qui composent l'essentiel de son oeuvre. De grands enfants solitaires, d'un premier abord antipathiques, des traumatisés, des marginaux, une collection de personnages que l'on ne peut pas décemment comprendre comme des modèles salutaires. Et dans cette perspective, Peacemaker coche toutes les cases des possible: un assassin, presque cruel, risible depuis son design jusqu'aux motivations qui animent sa quête de justice ("tuer pour la paix", le principe paraît, de base, foncièrement incohérent). Avec la première saison, Gunn assumait de vouloir densifier un personnage qu'il avait d'abord pensé comme un vilain de circonstance... en acceptant de voir plus loin.
Sauf que, cette rédemption temporaire devait mécaniquement trouver ses limites. Et avec le grand retour du héros (puisque : c'est désormais un héros, la caméra adopte son point de vue et mise sur l'affect du spectateur envers ses sentiments personnels), le réalisateur avait manifestement envie de complexifier l'équation. En l'occurrence, sous trois perspectives distinctes : en se confrontant avec Rick Flag Sr., père d'un fils assassiné par le Peacemaker dans le film The Suicide Squad ; dans sa relation avec Harcourt, qui propose un renversement de perspective cette fois, avec un héros apaisé amoureux d'une femme encore pétrie de colère et d'autodestruction ; et sous l'angle du rapport comparatif, en déplaçant Christopher dans une réalité où il est un héros populaire, apprécié par le public, et où sa famille fonctionne correctement. En somme, toutes les idées développées auparavant vont être maximisées, poussées dans d'autres recoins, voire inversées proprement et simplement, pour offrir une étude de personnage complète et aboutie.
Particulièrement bien servi par la caméra de James Gunn, John Cena livre une performance impeccable, tant dans les moments comiques (quand il râle sur un alien qui refuse de le saluer en sortant ses poubelles) que dans ses interactions avec le reste de son petit groupe (avec Danielle Brooks et Jennifer Holland notamment). L'idée qui sous-tend l'essentiel de la saison repose sur un principe célèbre ancré dans la grille de morale conventionnelle des Etats-Unis : "prenez garde aux souhaits que vous faites". En France, une autre maxime complète cette formule consacrée : "l'herbe n'est pas forcément plus verte dans le pré d'à côté".
En venant se heurter aux limites de cette version (faussement) améliorée de sa propre vie, dans un monde où il n'est pas un loser, où il est enfin réuni avec la femme qu'il aime et où il n'a pas eu besoin de tuer Rick Flag ou son propre frère Keith, Christopher envisage finalement la possibilité de vivre heureux. Or, la leçon de Gunn se pose en face du spectateur et de ses propres personnages : on ne peut pas être heureux en abandonnant son passé, en faisant comme si les erreurs n'avaient pas existé. Les failles de son justicier font partie de son identité, de son apprentissage en tant qu'individu... et accessoirement, cette exigence de perfection peut aussi se retourner contre soi lorsque le monde idéal et propret que l'on se construit pour soi-même se retrouve occupé par l'armée nazie. Mais ceci n'est peut-être qu'un petit détail ?
Autre grille de réflexion possible : pour représenter cet ailleurs enviable, James Gunn a choisi de poser ses valises sur la Terre-X, une zone du multivers DC dans laquelle les nazis ont gagné la guerre en annexant du même coup les Etats-Unis. Forcément, ce choix particulier se comprend dans le cadre du message plus général de James Gunn sur la situation politique du présent. De la même façon que Superman comprenait son propre message politique, le réalisateur insiste cette fois sur l'apparence de perfection d'un monde ouvertement intolérant, comme pour appuyer sur l'idée que son cinéma, bizarre, déroutant, guignol, et ses personnages de grands enfants solitaires, représentait finalement une sorte de liberté contre un impératif uniforme. En l'occurrence, celui-ci vient s'associer aux codes des fictions sur les nazis, et si on peut (automatiquement) comprendre cette lecture comme un commentaire d'alerte sur l'avenir des Etats-Unis, ce motif est loin d'être une nouveauté dans le cinéma de James Gunn.
On peut repenser aux événements décrits dans la première saison, avec des aliens qui prenaient le contrôle de nombreux êtres humains, façon L'Invasion des Profanateurs. Ou même aux créatures "parfaites" du Maître de l'Evolution dans les Gardiens de la Galaxie vol. 3, au plan d'Ego pour assimiler toutes les planètes du cosmos dans le vol. 2. Ou encore plus récemment, aux métahumains raflés par Lex Luthor dans sa prison dimensionnelle.
Cette peur de l'assimilation, de l'extinction des créatures de la périphérie, des marginaux, des monstres, des êtres vivans que le système refuse de considérer comme conformes aux exigences sociétales, se retrouve dans l'essentiel de son oeuvre sous une forme ou une autre. Or, quoi de mieux dans le multivers DC pour incarner cette logique que la Terre-X, un monde naturellement taillé sur les codes de l'exigence d'épuration ethnique théorisée par Adolf Hitler ? En prenant cette même logique en sens inverse, on se souvient aussi du dictateur (beau, musclé, bien habillé) de The Suicide Squad.
Celui-ci n'avait rien d'un nazi, et portait tout de même une logique relativement similaire : le combat contre l'autoritarisme fait désormais partie intégrante du cinéma de James Gunn, un homme longtemps mis sur le banc de touche par les grands studios d'Hollywood, et qui se pense lui-même comme un marginal aux moeurs étranges, aux goûts bizarres. Dans ce sens, avant Peacemaker, comment oublier Creature Commandos, où une cohorte de monstres (au sens propre) devait se frictionner avec une princesse parfaite dans un château de conte de fées façon Disneyland ?
Encore une fois, les thématiques ne bougent pas. Le cinéaste se contente de les affiner, en aglomérant de nouvelles idées plus proches du présent politique... mais aussi, de sa propre situation personnelle. Ainsi, si Christopher Smith est devenu un héros entre les deux premières saisons, comme James Gunn lui-même en tant que réalisateur courtisé (et même en tant que patron de studio désormais), cela ne veut pas dire que tout a été réglé pour l'un comme pour l'autre, ou que le monde qui les entoure a nécessairement envie de tolérer leur présence.
Derrière le discours, le réalisateur assume de présenter une sitcom qui tourne essentiellement autour des interactions de son petit groupe, entre les anciens et les nouveaux. Rick Flag (Frank Grillo) endosse la posture de l'antagoniste par défaut, même si la série doit tout de même taper un sprint de dernière minute pour transformer le personnage (d'abord simple papa endeuillé) en un militaire hautement sécuritariste, proche des idées de Lex Luthor, dans les derniers épisodes. Une transformation qui ne fonctionne pas forcément, surtout en comparaison de la façon dont le héros avait été introduit dans Creature Commandos. En parallèle, la série accueille également l'excellent Fleury (Tim Meadows), un génie de la comédie et de l'improvisation qui fonctionne parfaitement dans le rythme saccadé des sketchs de James Gunn. De son côté, Bordeaux (Sol Rodriguez) occupe une figure plus en retrait.
Reste donc l'armement de pointe : un Steve Agee comme seul représentant de la normalité bonhomme et circonspecte devant cet alignement de personnages hauts en couleurs (le comédien est, comme d'hab', brillant dans ses moments de comédie), une Danielle Brooks excellente dans sa posture d'héroïne adulte et complète, une Jennifer Holland qui doit composer avec les nuances de deux rôles différents, et surtout, un Michael Rooker qui persiste et signe dans son éternelle figure de mascotte absurde dans le cinéma de James Gunn. Grimmé en Elmer Fudd de contrefaçon, natif américain autodiagnostiqué, chasseur ridicule sur les pistes d'un Eagly de dessin animé, le personnage permet de développer l'habituel angle animalier présent dans toutes les productions du réalisateur avec énormément d'humour (et un certain esprit de vengeance).
Au global, un casting complet où personne ne dénote réellement, et qui véhicule comme d'habitude l'impression d'une belle petite bande de potes heureuse de se retrouver pour une nouvelle session de travail en commun. Et puis, surtout, Freddie Stroma. Quand même. Est-ce que quelqu'un lui a seulement proposé le rôle de Ben Reilly pour une version parodique de la saga du clone ? Hollywood, on attend.
Dans la liste des défauts potentiels, on pourra regretter que l'action ne soit pas forcément aussi présente que dans la première saison, que ces moments de pure caméra solitaire (comme celles du Peacemaker dans sa caravane) ou d'explosions musclées ne trouvent pas forcément leur place dans cette saison qui cherche plutôt le sentiment d'une paix retrouvée au milieu du désordre. L'utilité de Luthor n'est pas forcément démontrée, on comprend que la fin appelle une suite que l'on peine encore à identifier (aucune des productions annoncées actuellement ne semblant correspondre au plan de bataille posé dans le dernier épisode ?), et sur le plan des décors ou de la variété des scènes, Gunn a tout de même préféré miser sur l'économie de moyens, dans l'idée de sublimer ses personnages, au point de rester sur un constat relativement quadrillé au sortir de ces huit épisodes. Encore une fois, tout est une question de dosage, et pour une saison qui s'assume peut-être comme plus mature... les gamineries et les détonations sont apparemment passées au second plan.
Mais pas de quoi bouder le plaisir de ces nouvelles aventures une fois franchie la ligne d'arrivée. Avec Peacemaker, la tonalité globale de DC Studios peut s'apprécier pleinement : une série animée furibarde, un premier film qui misait sur l'optimisme et l'équilibre entre sincérité, commentaire politique et loufoquerie déguingandée, et désormais, une sorte d'entre-deux, digestion assumée des épisodes précédents et nouvelles expériences sur les thématiques traditionnelles. Avec cette rampe de lancement, la saga assume aussi une certaine variété (ce qui est paradoxal lorsque l'on sait que tout a été monté par le même homme), entre des productions plus familiales (Superman) ou plus grasses (Creature Commandos) et un univers qui peut passer du PG-13 au Rated-R avec suffisamment de souplesse. Ceci étant, pour toutes les réussites de cette seconde saison, James Gunn témoigne tout de même d'une certaine limite dans la gestion de son plan, et le dernier épisode passe pour un exemple cruel de ce constat. Il est peut-être temps que d'autres visions viennent enfin consteller la cosmogonie de l'univers DC Studios. Conçu comme une sorte de virgule de maturité, Peacemaker reste un signal prometteur pour la suite, à la fois pour James Gunn et pour le reste du canon. On attend maintenant Man of Tomorrow pour voir comment le réalisateur pourra rebondir, maintenant que tout a été dit sur le héros au casque rigolo.
Vous pouvez également poursuivre la discussion sur Peacemaker saison 2 en écoutant le long podcast réalisé via First Print !