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Disney et Universal attaquent en justice le service Midjourney pour violation de copyright

Disney et Universal attaquent en justice le service Midjourney pour violation de copyright

NewsCinéma

Depuis les États-Unis, une partie importante des conflits qui secouent périodiquement les industries créatives repose essentiellement sur la question des dépots de brevets. Les textes de loi ont généralement été pensés pour protéger les détenteurs des propriétés intellectuelles, et de ce point de vue, les codifications ne manquent pas : contrats salariés extrêmement clairs pour l'industrie des comics (Copyright Act 1976), liberté totale de faire sauter les contenus d'une plateforme (comme Twitch ou Youtube) en cas d'utilisation non-consentie d'une marque déposée (vous connaissez les quatre lettres magiques : "DMCA"), etc. En revanche, la législation n'a pas encore eu le temps de s'adapter face à l'apparition d'un phénomène nouveau : l'intelligence artificielle.

La technologie des algorithmes génératifs pour les textes, les vidéos et les images, un temps attendue comme une solution utile, voire messianique, pour les géants du secteur de la culture aux Etats-Unis (en témoignent les négociations autour de la grève des scénaristes, des comédiennes et des comédiens de 2023), est finalement passée dans le viseur de deux des plus grands studios d'Hollywood. Les groupes Disney et Universal ont effectivement décidé d'attaquer en justice l'un des principaux fournisseurs pour la création artificielle d'images, Midjourney Inc., via son programme Midjourney. La plainte a officiellement été déposée devant les tribunaux américains cette semaine.

Goliah contre GolIAth

A la base de cette action, une problématique qui vient se cogner aux provisions du DMCA : la création (et l'utilisation) illicite d'images basées sur une propriété intellectuelle précise sur internet. En l'occurrence, Disney et Universal reprochent aux équipes à l'origine du programme Midjourney d'avoir autorisé à titre frauduleux la génération d'objets virtuels utilisant certaines créations protégées par brevet. Exemple tout bête : si vous demandez au logiciel de vous pondre un Dark Vador à la plage, un Shrek chef kébabier, une bande de Minions en pleine zumba au Carnaval de Rio, l'intelligence artificielle de Midjourney Inc. sera capable d'exécuter ces différentes requêtes. Les deux géants du cinéma estiment que c'est un problème. Et surtout, une entorse aux lois qui régissent la protection des brevets aux Etats-Unis. Avec preuves à l'appui : c'est simple, une simple recherche Google suffit.

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Disney et Universal ont donc attaqué Midjourney Inc. pour dommages et intérêts, sans exiger de somme précise. De la même façon, maintenant que l'intelligence artificielle générative au sens large s'oriente vers le domaine de la vidéo, les deux groupes espèrent pouvoir obtenir de la justice une protection susceptible d'empêcher les géants du secteur de pouvoir reproduire impunément les films, séries et séries animées de leurs catalogues. Or, pour rappel, aux Etats-Unis, les décisions de justice font office de loi. L'application du pouvoir judiciaire (et les cas de jurisprudence) ont généralement pour effet d'entraîner l'apparition de nouvelles règles universelles à échelle régionale ou fédérale.

Ou pour le dire simplement : si l'affaire devait effectivement s'ouvrir sur un procès en bonne et due forme (ce qui n'est pas garanti pour le moment), et éventuellement, vers un jugement, il s'agirait alors potentiellement de la première mesure officielle de contestation actée du dogme qui régit actuellement la technologie de l'intelligence artificielle. Laquelle repose, pour rappel, sur une logique de pillage général des contenus. Notamment sur les principales plateformes de réseaux sociaux. Les géants du secteur de la technologie aux Etats-Unis se sont récemment rapprochés de la présidence (au début de cette année) dans l'espoir d'obtenir un soutien officiel sur les sujets qui entourent ces problématiques éthiques, sociales et économiques, dans la mesure où la bulle de l'IA représente un enjeu conséquent pour ces grands groupes de l'informatique et des réseaux.

En somme, l'action en justice de Disney et d'Universal passe pour un secours inespéré, du point de vue des nombreux corps de métier actuellement menacés par la démocratisation de l'intelligence artificielle générative. Et pourtant, on aurait tort de croire que ces deux entités agissent par pur altruisme. Au contraire : les grandes enseignes du cinéma américain ne sont pas hostiles à l'utilisation de l'IA générative pour la réduction des coûts, ou pour trancher dans la masse salariale. Mais, pour reprendre les propos de l'avocat chargé de représenter les intérêts du groupe DisneyHoracio Gutierrez : si on peut se faire de l'argent avec, c'est oui. Par contre, si commence à en perdre, c'est non.

"Nous sommes enthousiastes quant à la promesse de l'intelligence artificielle, et optimiste sur l'idée que, si l'outil est utilisé d'une manière responsable, celui-ci pourrait nous permettre d'accroître le potentiel de la créativité humaine. Seulement, un piratage reste un piratage. Et le fait que ce piratage passe par un logiciel d'IA générative ne rend pas la pratique plus légale pour autant."

Du côté des représentants du groupe Universal, on opte pour un commentaire un rien moins nihiliste. Kim Harris, l'avocate du studio, préfère présenter les choses sur un angle plus humain :

"Nous lancons cette action en justice pour protéger le dur labeur de tous les artistes dont le travail nous divertit et nous inspire, et l'investissement significatif que nous plaçons dans nos contenus."

Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Selon le New York Times, les deux groupes ont bien tenté de contacter Midjourney Inc. l'an dernier sous la menace d'une injonction restrictive ("cease and desist") dans l'espoir d'amorcer un dialogue, ou au moins, de prévenir l'enseigne que celle-ci opérait en dehors des lois en vigueur. Visiblement, les équipes de Midjourney Inc. ont simplement décidé d'ignorer cette requête de la part des deux studios. On se passera bien de tout commentaire sur le sujet, dans la mesure où les géants de l'IA générative n'ont jamais caché leur mépris global des normes légales ou éthiques depuis le premier boom de cette nouvelle technologie sur les réseaux sociaux.

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Du côté des professionnels concernés, on ironise. L'une des présidentes de la Writers Guild of America (le principal syndicat des scénaristes aux Etats-Unis, qui avait mené la charge contre les studios sur cet exact même sujet) s'interroge sur le temps de réaction. De fait, les images de Dark Vador ou des Simpsons générées par intelligence artificielle sont apparues depuis déjà plusieurs années, et les grands groupes n'avaient jamais protesté officiellement ou ouvertement jusqu'ici. Au point de laisser les vannes s'ouvrir sans la moindre contestation officielle. La question se pose déjà du point de non retour, dans la mesure où la culture ne pèse pas aussi lourd que la tech', et que les outils du numérique ont déjà tous intégré un département consacré à cette technologie, depuis les réseaux sociaux jusqu'aux applications de communication.

Maintenant, qu'est-ce qui va donc bien pouvoir se passer ? Difficile à dire. En théorie, si la loi s'applique convenablement, les propriétaires Midjourney Inc. (et les nombreuses autres sociétés installées sur ce marché en croissance, Dall-E, Stable Diffusion, les outils de Meta, Google, Twitter, etc, qui ne sont pas cités dans cette action en justice) devrait logiquement être reconnu coupable d'avoir effectivement pillé le catalogue de création protégées par le droit sans l'accord des entreprises concernées. En revanche, compte tenu de la réalité des procès de cette envergure, la piste d'une entente en dehors des tribunaux (et donc forcément localisée aux conditions fixées par ces protagonistes précis) est encore possible. Par exemple, si Midjourney Inc. acceptait de censurer les requêtes d'images relatives aux propriétés intellectuelles de Disney et Universal.

Dans ce cas de figure, en revanche, rien n'aura changé pour les autres. Les artistes de plus petite taille, toutes celles et ceux qui n'ont pas le budget des géants du cinéma pour attaquer en justice (et soutenir sur le temps long un procès extrêmement coûteux) une enseigne de la taille de Midjourney Inc., ne profiteront d'aucune nouvelle protection dans le cas d'un accord à l'amiable. De leur point de vue, le seul espoir reste la jurisprudence. Un espoir mince... dans un monde où l'emprise totalitaire des géants de la tech' ne propose pas réellement d'alternative aux pillages des IAs.

Affaire à suivre.

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Corentin
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