Avant-propos : la présente critique s'intéresse à l'ensemble de la saison 2 d'Invincible. L'embargo critique étant levé pour la seconde partie de cette saison, qui arrivera sur Prime Video le 14 mars, il n'y aura aucun spoiler sur les épisodes 5 à 8, mais il sera considéré que certains éléments des épisodes 1 à 4 puissent être abordés plus librement. Votre rédacteur a eu le plaisir de travailler sur la VF de la série en tant que consultant "comics" pour que ladite VF soit fidèle au travail de traduction effectué par Edmond Tourriol sur les comics publiés chez Delcourt (et prendre des décisions dans le cas d'éléments nouveaux qui ne sont pas présents dans la bande dessinée). Il s'agit d'une mission en freelance sans intéressement, et la critique porte de toute façon sur la série en VO.
La modalité de diffusion d'Invincible saison 2 sur Prime Video s'est montrée quelque peu frustrante. Il s'était en effet passé deux ans et demi entre la conclusion de la première saison et le démarrage de la saison 2, qui s'est retrouvée découpée en deux blocs de quatre épisodes. Une façon comme une autre d'étaler la diffusion sur le temps long et de limiter l'écart déjà conséquent entre ces deux saisons - au final trois ans complets, déjà.
Cette frustration logistique mise à part, Invincible avait marqué dès ses débuts avec un adaptation à la fois fidèle aux comics de Robert Kirkman (qui est scénariste et showrunner de la série, ça aide) tout en se permettant quelques réinventions ou rajouts pour coller à l'époque, puisqu'une vingtaine d'années s'est écoulée entre les débuts des comics et ceux de la série animée. Au sortir de cette seconde saison, et en relisant notre papier sur la saison 1, difficile de ne pas être tenté par une forme de copié/collé car Invincible saison 2 a les mêmes (grandes) qualités et les mêmes (rares) défauts que la précédente. Autrement dit : c'est du très bon, les fans comme les profanes seront ravis. Essayons toutefois d'étayer un peu.
Après avoir découvert ses pouvoirs dans toute leur étendue, l'heure est aux responsabilités pour Mark Grayson. Son père Nolan, Omni-Man, a quitté la Terre après s'être montré incapable de tuer son fils, et Invincible doit gérer beaucoup de choses. Son travail de super-héros, sa vie d'étudiant qui intègre la fac, sa dynamique familiale avec sa mère - qui prend ensuite une autre dimension au moment où Mark a le droit à de curieuses retrouvailles avec son paternel. Au sortir de la première saison, le jeune héros était à nouveau séparé de son père, et la menace de l'empire Viltrumite vis-à-vis de la Terre n'avait jamais été aussi forte.
Tout au long de ces huit épisodes, Robert Kirkman s'amuse à réagencer les différentes intrigues qui ont fait la force d'Invincible en comics pour que l'on ait droit à deux menaces principales : l'Empire de Viltrum d'un côté, et le super-vilain Angström Levy de l'autre. Ce dernier est introduit dès le premier épisode, ce qui permet aussi à la série d'explorer plus librement le Multivers d'Invincible, une composante qui a toute son importance, bien au-delà des gimmicks des majors de l'industrie du divertissement, et dont l'importance ne fera que grandir (les lecteurs le savent) dans le futur. Ces deux menaces sont employées en alternance tandis que d'autres super-vilains font leur apparition de façon plus ponctuelle, Invincible saison 2 adoptant par certains aspects un format en freak of the week.
Le modèle n'est pas déconnant compte tenu de l'historique des adaptations de comics de super-héros à la télévision, et le modèle de publication même des aventures de vengeurs masqués en général. Il permet aussi à Kirkman et ses équipes de voir la série animée comme une sorte de puzzle à réagencer en partant du point d'origine. Pour les fans, l'appréciation d'Invincible est forcément liée à une bonne connaissance de la BD, et la regarder permet surtout de s'amuser à reconstituer ce puzzle, à voir où se trouvent les différentes intrigues, quelles sont les différences, ce qui a été enlevé, ce qui a été rajouté, et parfois, à noter aussi comment la série tire parti de son format pour transposer des séquences spécifiques aux comics. Exemple concret : vous vous rappelez du moment où Mark Grayson rencontre à une convention de comics Filip Schaff, le créateur de Science Dog, dans cette séquence de cases en copié-collé où Kirkman se moque justement de ce procédé fait pour aller plus vite dans les phases de dialogue ? Et bien la même chose est appliquée ici, mais pour l'animation, dans une séquence très maline, mais qui va aussi mettre le doigt sur les défauts qui sont effectivement présents dans la série au regard des économies qui sont faites parfois (ou souvent) pour faire des économies.
Du reste, il n'y a pas vraiment le temps de s'ennuyer : entre les Kalmars, la Ligue des Lézards et autres super-vilains repris des comics, Invincible adopte un rythme où l'action et les moments plus calmes s'enchaînent avec un équilibre assez bien trouvé, et le format sériel permet d'accorder plus de temps à certains personnages (pas si) secondaires. On s'intéresse davantage à Debbie, la mère de Mark, qui doit composer avec le choc qu'a constitué la découverte de la réelle identité de son mari - et puis, le second choc lorsqu'elle découvre que sa famille s'est agrandie malgré elle. L'évolution de la relation entre Amber et Mark occupe une place centrale et met en exergue le poids sur les épaules du héros, mais aussi tous les inconvénients pour Amber de sortir avec un surhomme.
Il est agréable de côtoyer ce point de vue terre-à-terre, qui permet un déroulé plus naturel dans leur dynamique de couple. Même des héros comme Rex Splode ou d'autres membres des Gardiens du Globe ont le droit à des scènes qui leur sont consacrées et qui font vivre l'univers d'Invincible avec des personnages complets, dont on comprend les personnalités et les motivations. Invincible tire vraiment parti de ce que le format série peut faire - et on se demande d'ailleurs vraiment comment et pourquoi Kirkman assure encore qu'un projet de film en live action est toujours en développement, tant ce qui est proposé ici est clairement la meilleure façon d'adapter ce comics bien particulier.
Du point de vue de l'action, le résultat souffle comme d'habitude le chaud et le froid. Invincible reste aussi fidèle aux comics, avec des explosions de violence et des gerbes de sang qui interviennent dans des combats qui risquent de faire tourner de l'oeil quelques spectacteurs par leur brutalité, quand bien même tout ceci n'est qu'un dessin animé. Il faut dire que certains bruitages sont particulièrement réussis - lorsque les os craquent, ils craquent.
Mais du point de vue de la technique, il faut bien reconnaître que tout cela pourrait être encore mieux fait. D'une façon générale, la caméra se montre assez statique et n'accompagne que peu les personnages lors de leurs mouvements, se contenant de les faire passer d'un bord à l'autre de l'écran (ou de l'arrière plan au premier plan), sans tourner autour des héros, sans exploiter toutes les dimensions possibles. Quiconque regarde les grosses productions de l'animation vous dira que le rendu reste ici assez pauvre. Cet écueil est heureusement compensé, et ce depuis le début, par la direction artistique menée par Cory Walker, co-créateur des comics Invincible, et dont on reconnaît la patte derrière tous les personnages.
Les autres défauts d'Invincible sur l'animation sont mis littéralement en exergue lors de la rencontre de Mark avec Filip Schaff. Difficile de ne pas voir toutes les astuces utilisées par les équipes pour faire le plus d'économies possibles sur les séquences plus calmes (avec des personnages vus de dos, ou sur des plans de paysage complètement fixes), sur l'emploi de décors assez vides, et parfois même dans des passages en mouvement ou le personnage se déplace simplement en ligne droite comme un simple cargo, sans que ses membres ne bougent d'un centimètre.
Pinaillage, peut-être, mais le fait demeure : l'animation de studio à l'américaine a encore une grande marge de progression à passer sur le plan technique, et c'est ce qui empêche Invincible de tomber dans la case du chef d'œuvre complet. La bande-son conserve aussi les mêmes défauts qu'auparavant, c'est à dire qu'à part le thème du générique, on ne se souviendra pas des compositions. Il n'y a rien à redire non plus sur le casting en version originale, qui reste toujours d'excellente facture. Mention spéciale pour Angström Levy à qui Sterling K. Brown donne une certaine personnalité, ou aux différents Viltrumites qui font irruption et dont on sent toute la puissance sortir à pleine voix.
Au sortir de la seconde saison, seul le rythme anticlimatique du dernier épisode pourra surprendre un peu, et tend à confirmer que le vrai climax aura lieu dans la saison trois, puisque ces deux nouvelles fournées été commandées et produites simultanément. Comme pour les comics de Robert Kirkman, cette saison 2 fait en quelque sorte office d'entre deux, en mettant en place un paquet d'éléments qui seront très importants pour la suite, et pour le prochain gros nœud narratif d'envergure. Encore une fois, un constat pas franchement surprenant pour les aficionados, qui, de leur côté, vont certainement s'amuser à deviner comment les futurs éléments des comics seront amenés par la suite.
Pas besoin d'en faire des caisses pour répéter ce qui a déjà été dit. Invincible saison 2 reste toujours une excellente proposition, tant pour les fans des comics de Robert Kirkman que ceux qui ne les auraient pas encore découverts (à ceux-là nous disons : qu'attendez-vous ?). La série fonctionne vraiment comme un animé japonais vis-à-vis de son manga de référence : une très grande fidélité au global, mais les spectateurs déjà connaisseurs pourront jouer à leur jeu des sept différences pour voir comment la série diffère de son support originel pour être, au final, une autre façon de raconter la même histoire. Laissant plus de temps aux personnages secondaires, cette seconde saison a toutes les qualités de la première (la fidélité, les clins d'oeils, les vannes de la BD malignement transposées en animation, une violence assumée) mais conserve aussi ses défauts, surtout sur le pur plan technique. Un peu dommage compte tenu des attentes et des espoirs d'avoir un budget de production plus élevé, mais dans les faits, rien qui ne puisse gâcher le plaisir. Car Invincible en animation est aussi ce qu'il est en comics : l'une des meilleures séries de super-héros.