Si la technologie de l'IA générative commence à faire son chemin dans les activités liées à la création de textes dans un cadre professionnel, le segment de la génération d'images reste l'un des facteurs d'inquiétude les plus immédiats, pour les corps de métiers associés aux arts visuels. Sur la toile, le sujet suscite le débat. De nombreux internautes se déclarent défavorables à la possibilité de voir certains créateurs recourir aux "tricheries" de l'intelligence artificielles - tandis que les pouvoirs publics, notoirement lents à mettre la machine législative en route, n'ont pas encore défini de cadre formel au recours à ces technologies dans un contexte de "création" officielle.
Le secteur privé, de son côté, s'est positionné plus rapidement. Les géants de la tech' se déclarent globalement favorables, voire enthousiastes, à l'intégration de l'IA à grande échelle, dans les conglomérats les plus importants. Dans le monde des arts, Hollywood s'est récemment transformé en un vaste champ de bataille opposant les producteurs, diffuseurs et promoteurs du cinéma et de la télévision à leurs propres fournisseurs, scénaristes et comédiens, mis en danger par la possibilité d'un "grand remplacement" par la robotique. A une toute autre échelle, Kickstarter, colosse du secteur financement participatif, tente également de s'adapter à la potentialité de cette évolution massive des pratiques, en se situant quelque part entre les deux positions à la mode sur internet.
"Oui, mais prévenez avant"
Très concrètement, l'entreprise de crowdfunding avait annoncé une prochaine mise à jour de ses conditions de validation, pour répondre à l'affluence croissante de projets peu ou prou artistiques utilisant l'intelligence artificielle pour la génération d'images. Le site explique que cette première mouture, annoncée pour la fin de cet été, fera partie d'un processus itératif susceptible d'évoluer en fonction de la situation. De fait, le progrès rapide des IA a tendance à poser des difficultés au moment de figer des règles sur le long terme - ou pour être plus pragmatique encore, l'appréciation du public (et la peur légitime de certains internautes devant cette transition de société) peut elle aussi évoluer dans le temps.
Kickstarter doit donc se soucier de maintenir son image "conventionnelle" pour les artistes opposés à l'intelligence artificielle, et qui utilisent massivement la plateforme pour faire financer leurs projets (en comics, notamment), tout en gardant à l'esprit l'idée que cette technologie a tout d'une mine d'or potentielle pour les marchands du financement participatif.
En somme, l'entreprise opte pour la voie du milieu. La plateforme annonce qu'elle ne censurera pas les projets qui auront recours à l'IA, mais qu'elle obligera en revanche les créateurs à annoncer clairement, dans leur descriptif et sur la page de chaque campagne, la mise en application de logiciels de type Midjourney, ChatGPT, etc.
"Ceci inclut une information claire sur la façon dont le créateur compte utiliser l'IA au sein de son projet, ainsi qu'un détail compréhensible des éléments qui seront générés par un processus de création original et de ceux qui seront générés via l'intelligence artificielle."
En somme, dans le cas d'un comics, par exemple, le créateur ou la créatrice devra obligatoirement indiquer la nature des images utilisées, du scénario utilisé, du processus de mise en couleurs utilisé, etc. De quoi éviter à celles et ceux qui se déclarent hostiles à l'intelligence artificielle de financer des productions qui seraient contraire à leurs valeurs. Dans le même temps, Kickstarter établit une seconde règle, cette fois à destination des programmeurs et des informaticiens qui voudraient faire financer une nouvelle technologie dans le champ de l'IA : dans le cas présent, les projets devront indiquer quelles bases de données ont été utilisées, quelles données brutes ont été utilisées, et si les ayant droits des bases de données ont donné leur accord pour alimenter tel ou tel nouveau logiciel.
"Si les bases de données utilisées n'ont pas donné leur accord, ou si celles-ci ne comprennent pas de programmes de sécurité visant à protéger leur contenu ou à permettre aux utilisateurs à l'origine de ces données d'accepter que celles-ci soient utilisées pour des rendus sous IA, alors Kickstarter sera en mesure de déclarer le projet invalide."
Là-encore, pour être plus clair : s'il vous vient l'idée de générer une sorte de clone de Midjourney sur la base de votre propre algorithme, il faudra alors indiquer à Kickstarter la provenance des images qui serviront à votre futur logiciel. Si les images en question proviennent de bases de données externes non-sécurisées, ou qui ne s'appuient pas sur le consentement clair des utilisateurs quant à leurs droits à l'image, alors la plateforme devra invalider votre demande de financement participatif.
L'entreprise compte ouvrir un département consacré au contrôle des futurs projets menés par les aspirants entrepreneurs intéressés par l'utilisation des IAs. A voir maintenant si ces règles seront suivies, et si l'attitude de Kickstarter fera tâche d'huile sur le reste du secteur.
