Dans le grand capharnaüm des annulations, déprogrammations ou réductions des coûts divers et variés qu'auront représentés les premiers mois de la présidence de David Zaslav à la tête de Warner Bros. Discovery, une décision pas si inintéressante avait émergé, au milieu de la mêlée. Quoi que celle-ci a eu pour effet de pousser vers l'annulation du film Batgirl, la logique du bonhomme avait au moins eu le mérite d'aller à contre-courant.
Zaslav, dès les premiers mois de son mandat, s'était en effet exprimé publiquement contre la méthode du tout-streaming - une philosophie en vogue à Hollywood, qui voudrait que l'exploitation traditionnelle dans les salles de cinéma soit condamnée à s'éteindre au profit du divertissement domestique, par plateformes interposées. Et ce pour les séries télévisées comme pour les longs-métrages. Netflix avait amorcé le mouvement, avant que Disney n'épouse cette doctrine après le lancement de Disney+, en particulier pendant la période du COVID-19. Le groupe Warner Bros., sous l'égide d'Ann Sarnoff et de Jason Kilar, avait ensuite pris une série de décisions comparables pour accompagner la plateforme HBO Max.
Streaming Wars No More
Le schéma s'était donc jusqu'ici résumé
à une sorte de chasse à cours rationalisée à l'extrême : trop de plateformes de
streaming sur le marché, donc une concurrence accrue, des salles de cinéma fermées pour cause de pandémie, et un besoin d'engranger le plus d'abonnés possibles à coups d'exclusivités coûteuses.
Disney,
Prime et
HBO Max s'étaient alors endettées pour financer à grands frais des séries télévisées au budgets imposants, mais aussi pour acheter ou produire des longs-métrages qui n'étaient rentabilisés, dans les faits, que par le prisme concurrentiel. Dans cette conquête de la quantité d'abonnements mensuels utiles sur le très long terme (et pour pousser les adversaires à abandonner la partie). Une façon de s'adapter trop vite aux modalités (temporaires) du COVID, de nourrir les consommateurs et de trahir le modèle de distribution traditionnel, qui accouchera de nombreuses aberrations.
Disney aura par exemple dû verser à
Scarlett Johansson plusieurs dizaines de millions de dollars pour avoir mis en ligne le film
Black Widow sur
Disney+ en parallèle de sa sortie en salles, tandis que
Warner Bros. aurait fini par accepter de céder à
Legendary Pictures plusieurs centaines de millions pour garder
Godzilla vs Kong à la maison (et éviter que ce-dernier ne soit vendu à
Netflix), en optant là-encore pour une sortie simultanée salles et plateformes.
Jason Kilar, chez
Warner, avait même mis en marche une curieuse opération stratégique, dont le but avoué était de favoriser
HBO Max au détriment du réseau de cinémas, tandis que
David Zaslav, ancien président du groupe
Disney, dépensera sans compter pour les besoins de sa plateforme. Jusqu'à finir par agacer les actionnaires, soucieux de ne pas constater de retour réel sur investissement.
Entre temps, le succès de certains films
Marvel, de
Top Gun : Maverick, de
Mario, et de quelques autres épiphénomènes, semble avoir amorcé une sorte de grand rétropédalage à Hollywood - en somme, parce que certaines sorties ont prouvé qu'il restait de l'argent à faire via les salles de cinéma,
ceux qui n'avaient pas encore été foutus à la porte de leurs conglomérats respectifs ont bien été obligés de revoir leur copie. Au passage,
Kilar et
Zaslav eux mêmes ont même fini par être offerts en sacrifice au dieu-rentabilité pour pardonner des offenses précédentes - dégagés pour avoir parié sur le mauvais cheval, ou sur une tactique qui n'offrait pas les mêmes courbes de rentrées financières à court terme sur un marché en crise. L'immédiateté d'un
Mario, capable de glaner un milliard de dollars au box office en l'espace de quelques semaines, a pu rappeler à tout le monde que le streaming et le total des abonnements mensuels était plus à voir comme un revenu fixe, mais sans surprises. Une sorte de revenu perpétuel, certes stable, mais qui interdit mécaniquement la possibilité d'une plus-value spectaculaire.
Or justement, David Zaslav avait tenu un discours peu ou prou équivalent au cours de l'été dernier. Le président de Warner Bros. Discovery estimait de son côté que Hollywood était en train de se ruiner à produire des exclusivités coûteuses... et dont les studios ne revoyaient plus la couleur une fois que les objets en question étaient mis en ligne sur telle ou telle plateforme. Là où les séries télévisées ont l'intérêt de fidéliser dans la durée, le long-métrage, de son point de vue, ne représentait aucun intérêt économique réel en tant que produit pensé pour le streaming. Aussi, on ne s'étonnera pas que Zaslav constate et valide sa propre opinion quelques mois plus loin, lors des présentations de la CinemaCon de la nuit dernière.
"Nous ne croyons pas à l'idée de films de plateformes. Les films qui sortent au cinéma fonctionnent même mieux lorsque nous les mettons à disposition sur HBO Max que les films qui sont directement disponibles en direct-to-streaming. Nous l'avons dit il y a neuf mois et nous l'avons répété il y a six mois. Notre opinion n'a absolument pas changé à ce sujet. Il n'existe pas de forme plus pure que le long-métrage pour raconter une histoire. Warner Bros. Discovery n'est pas un commerce, nous ne sommes pas des opérateurs du câble, nous ne sommes pas des fournisseurs internet, nous ne sommes pas une compagnie téléphonique. Nous sommes des raconteurs."
On passera sur le discours valeureux, de la part d'un président de groupe qui aura tout de même accouché de décisions préjudiciables depuis sa prise de poste, mais le constat semble en tout cas affirmé une fois pour toute. Le plan original de WarnerMedia, lors de la période AT&T, de proposer de plus petites productions consacrées à de plus "petits" personnages du catalogue DC Comics, n'aura tout simplement pas lieu. Et de ce point de vue, les annonces de James Gunn pour les prochaines années de DC Studios étaient déjà suffisamment éloquentes : aucun film en tant que tel ne passera par "Max", il faudra donc compter sur les salles de cinéma.