Vous mourez en héros, ou vous vivez suffisamment longtemps pour devenir le vilain. Cet adage, emprunté à un expert de son sujet, semble être devenu le mantra entrepreneurial de l'entreprise Netflix - non content d'avoir augmenté ses prix, de refuser le partage des mots de passe qui aura permis la démocratisation du service, de renoncer à poursuivre la série Mindhunter de David Fincher au prétexte du retour sur investissement, la plateforme a aussi décidé d'annuler le projet de film d'animation consacré au groupe Gorillaz. Comme si Netflix avait décidé de devenir la bête noire de pas mal de gens en l'espace de douze mois. Et la série One Piece en images réelles n'est même pas encore sortie - imaginez le pauvre CM qui hésitait encore à poser un arrêt maladie.
Hallelujah Money
S'il ne rentrait pas dans la catégorie des adaptations de comics au sens strict, le film d'animation
Gorillaz aurait été l'occasion de débloquer, après des années de patience, une oeuvre complète de l'artiste
Jamie Hewlett. Le cofondateur du groupe, responsable des visuels, des clips et d'une partie du merchandising, est aussi le créateur de
Tank Girl. Ancien dessinateur vedette de la scène britannique,
Hewlett a promené son crayon sur les titres
Hewligan's Haircut et
Sooner or Later en compagnie de
Peter Milligan,
Judge Dredd,
Doom Patrol et Get the Freepies, avant de se consacrer exclusivement à son travail pour le groupe fictif cocréé par
Damon Albarn.
Si l'univers de Gorillaz s'est déjà largement développé sur la base de clips généreux, forts d'une identité propre et d'un imaginaire en mouvement perpétuel, Hewlett et Albarn repoussaient depuis plusieurs dizaines d'années le fantasme d'un long-métrage. Celui-ci aura longuement été évoqué en interne, quémandé par une armée de fans qui rêvaient, sans oser le dire, d'un équivalent moderne du cultissime Interstella 5555 né de l'association entre les Daft Punk et le désormais regretté Leiji Matsumoto. L'annonce du film Netflix était l'occasion de rouvrir cette boîte à rêves - qui s'est, selon Damon Albarn, cruellement refermée d'un coup sec. Le chanteur évoquait récemment cette situation lors d'une entrevue accordée à la rédaction belge de UMHO (pour présenter le prochain album de Gorillaz, Cracker Island).
"Ce nouveau disque a pu se faire parce que Jamie et moi avions passé beaucoup de temps ensemble, à Los Angeles. Pour travailler sur un film Gorillaz qui ne verra jamais le jour.
C'est à dire que, sans nommer qui que ce soit, parce que l'ensemble de ce qui s'est passé n'est pas encore très clair : la plateforme de streaming avec qui nous devions travailler sur le film a décidé de se retirer. Ils ont commencé à paniquer, parce qu'ils produisaient trop de contenu, et ont décidé de couper dans les offres faites au département longs-métrages. Et, comme d'habitude à Hollywood depuis des décennies, le gars avec qui on travaillait a démissionné pour aller vers une autre compagnie."
Les prédictions de déflation dans la bulle du streaming se poursuivent, donc, jusqu'à toucher des marques aussi populaires que le groupe Gorillaz. Pendant que Netflix continue à produire à la pelle des actionners jetables pour des acteur(ice)s de quarante ans en mal de sensations fortes, ou les indispensables adaptations de manga annulées au bout d'une saison, on devrait probablement s'estimer heureux que le géant de la vidéo-à-la-demande n'ait pas encore décidé de couper dans le gras et d'annuler The Sandman au sempiternel prétexte de la rentabilité à long-terme. Mais hey, rassurez vous, Red Notice, lui, aura bel et bien droit à une suite. Osons le dire : le monde est sauvé.