Le feuilleton de la gestion des propriétés intellectuelles DC Comics par le studio Warner Bros. a tout d'une sorte de série télé' en bout de course. Un peu comme Riverdale, quand les gars ont décidé de ramener les rituels, la magie et les voyages dans le temps au coeur de l'équation : l'imprévisible est toujours garanti. Prenez la situation récente. Après la sortie de The Batman, la mise en route de nouveaux projets peu ou prou inédits et la poursuite des franchises établies au fil des cinq dernières années, le public pouvait résolument se dire que certains tics de comportement (au hasard, "venez on coupe dans le montage") avaient été mis en boîte. Et pourtant. Les habitudes ont la vie dure. Tenez, prenez Batgirl.
On aurait aimé vous dire "prenez des pincettes", mais...
Et pas n'importe quelles pincettes. Celles qui servent à retourner la viande sans se brûler les pattes. L'information était assez surprenante pour mériter une tonne de précautions (gants de cuisine, Nivea), attendu que celle-ci émanait au départ d'un article du relativement peu fiable
New York Post, mais, en cours de rédaction, les sources concordantes ont fini par s'enchaîner pour valider un fait dur et concret. L'organe de presse (spéculative) a effectivement commencé par expliquer que
le film Batgirl de Bilal Fallah et Adil El Arbi, duo de réalisateurs pourtant auréolé d'un certain succès public pour leur travail sur la série
Ms. Marvel, aurait été mis à la poubelle par les nouvelles têtes pensantes de
Warner Bros.. A savoir, les patrons, voire le patron, de
Discovery Inc.,
David Zaslav. Les producteurs, après avoir récupéré le groupe des mains d'
AT&T sans avoir décidé eux-mêmes de valider ce projet consacré à
Barbara Gordon, un temps prévu pour la plateforme
HBO Max, n'étaient pas forcément satisfaits du résultat : c'est à dire, un film pas forcément fait pour correspondre aux codes du blockbuster traditionnel des super-héros sur grand écran.
Telle quelle, l'information aurait pu passer pour un scoop sans importance pour tuer l'ennui, dans le creux de la vague médiatique qui suit généralement la San Diego Comic Con et son cortège d'actualités tonitruantes. Mais, la rédaction de TheWrap a de son côté décidé de reprendre la nouvelle, en citant (visiblement) des sources internes, qui corroborent. Par la suite, le Hollywood Reporter, institution bien plus fiable et installée dans le milieu, a également confirmé le rapport. Les équipes de Discovery s'abriteraient derrière l'idée que les films DC Comics auraient vocation à produire "de grandes expériences de cinéma" de divertissement, en accord avec le modèle qui enferme le narratif super-héros dans un seul et même genre de production depuis quinze ans, et Batgirl ne correspondrait pas (ou plutôt, plus) à cette pensée unique et totalitaire. Un argument incompréhensible, à l'échelle des réalités modernes à Hollywood.
Parce que :
Batgirl a bel et bien été tourné. Le film aurait même coûté autour de 90 millions de dollars, et on n'a que très rarement vu des projets de cette taille finir à la poubelle sans même une sortie discrète pour sauver les meubles. Le
New York Post parle de projections test catastrophiques - un argument qu'on ne peut plus prendre au sérieux, depuis que l'outil des séances publiques a été transformé en levier de producteurs pour tuer dans l'oeuf certains montages ambitieux au mépris des visions artistiques, voire, justement, à priver des films de sorties au cinéma pour mieux les bazarder sur des plateformes de SVOD. L'argument de "la place dans le catalogue" est donc la plus logique, attendu que
David Zaslav a effectivement parlé de faire du tri dans l'organigramme de
DC Films, un point rappelé par le
Hollywood Reporter. L'idée serait de recentrer la priorité sur le cinéma, et que les films à budget élevé pensés pour le
streaming n'auraient plus grand sens vis-à-vis des nouvelles politiques mises en place depuis. Sauf que... Pourquoi ne pas sortir le film sur grand écran dans ce cas ?
A la simple rédaction de ces lignes, il est difficile de cacher l'agacement du rédacteur spécialiste qui se demande bien comment une telle actualité pourrait seulement avoir quoi que ce soit de sensé au présent, de la part d'un studio qui prétend aussi vouloir rationnaliser les budgets
en annulant à tour de bras d'autres commandes de séries ou de films pas encore tournées. Comment, comment se passer du moindre centime que pourrait, par accident, rapporter un long-métrage
Batgirl porté par quelques vedettes, même avec une sortie discrète sur
HBO Max ? Quelle anomalie se terrerait dans cette adaptation prise sans le moindre contexte qui suffirait d'être bloquée à l'entrée ? Cette décision semble n'avoir aucun sens (sinon d'un pur point de vue sportif : la noblesse chorégraphique du jeté de mallette de fric au feu ? La chorégraphie, le rebond, le crachat des flammes, plus qu'une discipline, une passion), et ne témoigne pas d'un signal rassurant, à la moindre échelle, au sujet du statut de
DC Films ou de
Warner Bros. sous la future égide de
Discovery.
Or, tout le problème est là. C'est bien de Warner Bros. dont il s'agit, un studio à qui l'on doit déjà la version raccourcie de Batman V Superman, la Suicide Squad fragmentée de David Ayer, la Justice League de Joss Whedon, et la poursuite d'un modèle "à la Marvel Studios" sur Aquaman, Wonder Woman ou Shazam pour continuer d'interdire la nuance dans le répertoire fermé des héros costumés au cinéma. Force est de le dire, avec une certaine amertume : après toutes ces années, rien ne paraît plus impossible au terme de cette invraisemblable zumba.
A la petite échelle de l'industrie des films de commandes, l'annulation de Batgirl est en tout cas un aveu d'échec désespérant. Et la fin, déjà, d'une promesse de renouveau amorcée avec Joker ou The Batman. Merci pour les travaux.