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Les Eternels - Seule la Mort est Eternelle : Live, Die, Repeat

Les Eternels - Seule la Mort est Eternelle : Live, Die, Repeat

ReviewPanini
On a aimé• Les peintures d'Esad Ribic
• Un propos intelligent et pertinent
• Le renversement de perspective
• Un vilain qui envoie du bois
• Parfois drôle
On a moins aimé• Kieron Gillen pêche par excès de confiance
• Désamorcer le gravitas, péniblement
• Des visages en dessous de la moyenne
Notre note

Comme chaque fois, la mise en production d'une adaptation commande à Marvel Comics de produire un effort de qualité sur un personnage ou une équipe précise. Pour le premier film Venom de Sony Pictures, l'éditeur avait par exemple eu la bonne idée de confier le destin du symbiote à Donny Cates et Ryan Stegman. Comme quoi, la fameuse loi de l'équilibre universel n'a pas été découverte au pif. En l'occurrence, le différentiel qualitatif entre les Eternels de Marvel Studios et ceux de Kieron Gillen et Esad Ribic, mandatés pour formuler la nouvelle itération de ces justiciers complexes, n'est peut-être pas aussi important cette fois ci. Les deux projets ont même suffisamment de ressemblances pour s'autoriser une comparaison de format à format.


Les Eternels - Seule la Mort est Eternelle, édité par Panini Comics en France, comprend en deux versions les six premiers numéros de la série de Gillen et Ribic. Comme dans le cas du film de Chloe Zhao (ou de l'autre film de Kevin Feige, sorte d'excroissance gênante accrochée au montage final), les personnages fondateurs vont se retrouver confrontés à la mort de certains membres de leur groupe. Une mort qui paraît, pour une fois, définitive. Paradoxe pour ces êtres censés, de par leur seul nom, survivre à la fatalité sous toutes ses formes. Kieron Gillen fomente un scénario en forme d'enquête policière, imbriqué dans une sorte de croisement entre introduction perméable et long rabattage de continuité - si la série se veut facile d'accès, en essayant de placer et de replacer plusieurs concepts en parodiant les fameux schémas explicatifs de Jonathan Hickman, il n'est pas dit qu'un lecteur ou une lectrice novice ne se paume pas rapidement dans cet enchevêtrement de personnages, de private jokes pour passionnés, et d'allées et venues dans l'historique local.

Suite à leur énième résurrection (au sein de "La Machine", une infrastructure divine connectée à la Terre, et qui permet aux Eternels de survivre à la mort, de se déplacer à travers le temps et l'espace, ainsi que deux trois autres trucs plutôt pratiques), les héros se reconnectent à la réalité du moment. Les Avengers sont encore les défenseurs de la Terre, la civilisation Eternelle poursuit son habituel ronronnement oisif, et Sprite a enfin mérité d'être libérée de sa prison. Le personnage est cette fois présenté sous des traits féminins, ce qui marche dans une sorte de grande mise à jour générale des pouvoirs que Gillen confie aux personnages, en extrapolant sur les idées de Kirby. En résumé, dorénavant, tout le monde sait un peu tout faire (de la télépathie à la manipulation de la matière), et les Eternels ne sont plus de simples projections de super-héros immortels mais bien des dieux, ou encore mieux, des machines divines programmées par d'autres dieux pour servir un dessein aujourd'hui assez peu clair.


Le volume est traversé de réflexions intéressantes sur le rôle de ces personnages, voire à un niveau plus métafictionnel, de leur place au sein de l'univers Marvel. Comme beaucoup de créations de Kirby, les Eternels ont en effet été enfermés dans une sorte de vase clos. De par leur nature, incapables d'évoluer, de par leur immortalité, impossible de disparaître totalement, ce qui aura pu poser des problèmes à la Maison des Idées au moment de décider du sort de ces entités difficiles à comprendre. Les Inhumans auront été plus utiles, plus rapidement intégrés au reste de l'univers, présents dans la toile cosmique des grands runs, tandis que les Eternels auront de leur côté perdu en importance au fil des générations de scénaristes. Gillen aborde ces données très frontalement, en mêlant leur allégorie à celle du genre humain - l'humanité qui vieillit, meurt et transitionne d'un état vers un autre, face à ces entités bloquées dans un cycle permanent et qui finissent même parfois par s'amuser de l'ironie de leur situation.

D'une manière générale, l'auteur écrit avec énormément de second degré, malgré la parure antique et glorieuse des dessins de Ribic : la Machine se charge de la narration, sur une sorte de tonalité amusée et qui aime commenter ou ridiculiser certains des principes fondateurs qui régissent cette équipe de personnages. Gillen en fait parfois même un peu trop. Trop sûr de lui, trop persuadé que ses effets comiques tombent au bon moment, le bonhomme charge les cases de descriptions ou de gags inutiles, souvent assez lourds à digérer. 

Une sorte "d'effet Deadpool" : à casser le quatrième mur constamment, on perd parfois de vue l'intérêt du lecteur à prendre l'histoire au sérieux. Dans la diégèse même du bouquin, le scénariste insère de nombreux dialogues comiques, souvent bien écrits, comme des accents d'adolescent blagueur qui aime les histoires de bagarre. Les personnages de Sersi ou Druig ont aussi droit à des commentaires méta' au sein de leurs interactions avec le reste du groupe. L'une semble presque parodier son propre rôle de personnage féminin séduisant, réduit par de plus anciens scénaristes à une posture de fillette joueuse et aguicheuse, tandis que Druig assume globalement son invariable fonction de traître sur commande. Une écriture intelligente, même si l'envie de se marrer perd parfois de vue l'objectif global.


Le but est aussi, probablement, de présenter les personnages au lecteur débutant. La narration de la Machine permet ainsi de mettre un peu d'ordre et de contexte dans cette longue enquête en forme de grosse fuite en avant (où l'équipe "principale" - autrement dit, les héros et héroïnes du film - va peu à peu se recomposer autour d'un objectif commun), avec des références au passé, des scènes plus anciennes, et des guides très clairs sur l'utilité et la fonction de chacun dans le grand "programme" des Eternels. Mais, là-dessus, difficile d'adhérer pour de bon : si l'histoire reste relativement simple à décortiquer en termes de structure, Gillen reste un professionnel de la continuité. Ce volume reste relativement imperméable si le réflexe d'ouvrir une encyclopédie en ligne ne vient pas rapidement à l'esprit du néophyte - par exemple, pour comprendre le lien, pas si souvent évoqué dans les oeuvres grand public, entre les Eternels et Thanos, entre Sersi et les Avengers, entre les Eternels et les Déviants, très secondaires ici, etc. Constat similaire pour Gilgamesh, probablement le moins bien introduit de la fratrie.

Dans l'ensemble, si l'histoire a d'abord l'apparence d'un déroulé mécanique et mal dégrossi, Gillen a la bonne idée d'avoir conçu son scénario sur un retournement de situation. D'abord relativement prévisible, ce-dernier va se dédoubler d'une autre surprise qui permet de mieux comprendre la construction globale de l'intrigue, le choix de mettre l'accent à tel ou tel endroit, et de justifier l'ensemble du propos sur les Eternels comme une allégorie. Allégorie du statisme, allégorie de la divinité figée en un temps donnée, allégorie du vivant dans une boucle. A échelle d'individus, chaque Eternel présente même une facette intéressante de cette réflexion : pour Thena, celle-ci permet d'expliquer un rapport à l'amour, pour Sersi un sens plus général de la communauté et de la famille, pour Gilgamesh une désillusion sur le vrai ennemi à combattre une fois la furie adolescente mise de côté, etc.

Des bouts plutôt intéressants, et qui parviennent à atteindre leur but grâce à une économie générale d'explications ou de dialogues, pour laisser le lecteur comprendre sans tout lui pointer du doigt. Surtout, le rapport construit à la mort, humaine, définitive, tragique, est étonnamment bien placé dans cette histoire où l'ironie ambiante et l'impression d'évoluer parfois dans une sorte de parodie de Kirby aurait pu indiquer une conclusion différente. Globalement, cette première histoire comporte quelques belles scènes, des combats intéressants, des idées originales, un antagoniste racé et diablement éloquent, mais c'est surtout cette fin qui emporte la timbale. Auparavant, le scénario de Gillen avait tout d'une aventure relativement efficace mais basique, un texte qui se gênait à vouloir trop en faire, et des interactions qui manquaient parfois d'enjeux, compte tenu du principe d'immortalité des héros (difficile de se sentir impliqué dans une histoire dont on sait que les deux tiers des morts finiront par revenir, même si la BD tente maladroitement de nous faire croire que ce ne sera pas le cas). Sur la ligne d'arrivée, un résultat assez dense, une réflexion sur le concept fondateur des Eternels, qui n'oublie pas de se prendre au sérieux au bon moment, en plus de profiter de quelques très belles pages.


Mais, là-encore, tout n'est pas parfait. Si Esad Ribic a généralement tendance à susciter une adhésion universelle pour sa capacité à imiter Frazetta, dans ses structures corporelles, l'amplitude de ses postures, son talent pour la peinture et ses échelles de plans, et surtout son usage adroit et nuancé des couleurs, ses Eternels ont aussi leur lot de défauts éparpillés au fil du volume. Le plus évident étant à retrouver dans les visages. Aucun héros n'échappe à l'invariable diktat de la gueule de poisson mort, inexplicablement figés dans des rictus d'idiots surpris aux regards vides, avec de grosses billes bleues exorbitées en lieu et place de l'habituelle paire d'yeux humains. Quelques contours donnent aussi une sensation de minimalisme, ce que l'artiste a généralement tendance à compenser avec l'usage des couleurs. et qui semble avoir été, ici, laissée en plan par manque de temps.

Restent tout de même de très impressionnantes démonstrations de force, un talent pour la mise en scène des combats et l'usage de décors imposants et généralement suffisamment vides pour lui permettre de peindre. Une sensation de majesté dans le monde des Eternels greffée à des scènes beaucoup moins jolies, peut-être par l'incapacité du bonhomme à tenir un rythme de parution mensuel, ou peut-être pour privilégier d'autres séquences plus importantes sur le plan de la mise en scène. Les magnifiques, superbes couleurs bleues de Ribic sont heureusement au rendez-vous, et on peut facilement extraire des cases cultes du moindre numéro intégré à cette édition française. Mais, parce qu'on espère beaucoup de lui, l'artiste déçoit, un peu, par endroits. Genre là.


Les Eternels - Seule la Mort est Eternelle s'achève donc sur un constat globalement positif. Si Kieron Gillen hésite longtemps entre deux tonalités, entre une parodie amusée de ces personnages encore bloqués sur le même rythme depuis plus de quarante ans, et une déconstruction habile de leur principe fondateur, le renversement de situation pose un regard neuf sur ce premier volume en sortie de lecture. Quelques excellents dialogues, couplés à quelques superbes planches, achèvent de former le constat : pari réussi pour Marvel qui sera enfin parvenu à sortir une série avec du corps et un authentique propos de cette équipe longtemps mise au placard, ou traitée au second plan comme une autre de ces énigmes laissées à Jack Kirby pour la génération suivante. Le tome devrait convenir à celles et ceux qui espèrent tout de même s'amuser entre deux grandiloquences, et satisfaire les amoureux de l'idée originelle, à quelques nuances près. Si Gillen se décide à ne plus désamorcer ses propres mécaniques de narration (en allant jusqu'à expliquer qu'il est en train de désamorcer ses propres mécaniques de narration, dans la BD), on en reprendra pour un autre volume, sur la piste de l'évolution.

- Vous pouvez commander Les Eternels - Seule la Mort est éternelle à ce lien

Corentin
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