Du rififi chez Marvel Studios ? Alors que l'année 2021 devait être celle de la reprise des sorties cinéma pour le géant américain, celui-ci pourrait bien se heurter aux particularités d'un marché pourtant considéré comme primordial depuis quelques années. Deux prochains films du MCU pourraient en effet bien avoir quelques difficultés à sortir en Chine, à en croire un long rapport de Variety.
Le site spécialisé communique un rapport récent de la CCTV-6, chaîne de télévision nationale dépendante du gouvernement chargée de la diffusion de films locaux et internationaux. Dans le rapport en question, la chaîne liste les prochains films de la Phase 4 de Marvel Studios, en indiquant les dates de sorties de huit des dix projets prévus, en omettant deux productions censées arriver cet automne : Shang-Chi & The Legend of the Ten Rings d'un côté, et le Eternals de Chloé Zhao de l'autre. L'absence de date pour des deux long-métrages précis n'indique pas forcément que ceux-ci seront privés de sortie en Chine, mais serait un indicateur éventuel de leur cas particulier.
La CCTV-6 dépend en effet du gouvernement dictatorial chinois et de son département de la communication/propagande, un organe de censure puissant chargé de valider ou d'invalider l'importation de films internationaux sur le territoire. Les studios américains ont l'habitude de se plier à ces exigences de contenu, souvent assez sévères. Cette habileté à tendre l'échine à la dictature aura permis à Hollywood de conquérir un nouveau marché de spectateurs particulièrement friands de super-héros, avec des films tels que Venom ou Aquaman bien aidés par l'argent du public chinois. Ironiquement, Shang-Chi passait presque pour un appel du pied plutôt honnête envers ces spectateurs de l'Empire du Milieu, pensé pour être un succès en Chine et tourné en ce sens au point de faire un peu moins de bruit en occident.
Sur le cas Eternals, c'est la réalisatrice Chloe Zhao qui poserait problème. Si les médias chinois ont bien célébré la victoire de la cinéaste aux Golden Globes, un internaute affilié au nationalisme avait remonté les propos de la réalisatrice dans une entrevue datée de 2013, où Zhao critiquait le régime en place, évoquant "un pays de mensonges". Cette sortie lui valut d'être mise au placard pour les médias nationaux, qui firent le choix de ne pas suivre son couronnement aux Oscars pour le film Nomadland. En Chine, celui-ci devait sortir le 23 avril, avant d'être retiré de la programmation sans explications officielles, sinon celle, évidente, de la censure politique. A croire que le massacre des Tibétains, des Ouïghours et la répression des Hong-Kongais n'améliore pas l'ouverture d'esprit ou la curiosité pour l'art contestataire. Dans cette optique, le film The Eternals pourrait donc être privé de sortie là-bas.
Dans le cas de Shang-Chi, les mêmes mouvances nationalistes se montrent plutôt critique vis-à-vis du projet. D'abord, parce que le Mandarin, méchant du film de Destin Cretton, véhiculerait une mauvaise image et stéréotypée des antagonistes asiatiques, dans le tracé idéologique du "péril jaune" et autres archétypes dérivés du personnage de Fu Manchu. Une critique vraisemblablement erronée sur le papier : Marvel Studios a manifestement tenu à corriger cet aspect particulier pour se tourner vers une imagerie de super-truand plus conventionnelle, après avoir déjà joué sur l'image du Mandarin traditionnel dans Iron Man 3, pour évoquer la façon dont le racisme aux Etats-Unis conduit justement à la propagande politique. Au demeurant, le film reste d'ailleurs piloté par une équipe créative de descendance asiatique, ce qui aurait tendance à isoler ces accusations à l'héritage raciste du cinéma américain. Mais, la vedette du film Simu Liu et la comédienne Awkwafina ont aussi eu droit à des reproches plus précis. Sur leur physique, qui s'écarterait trop des standards de beauté chinois, et servirait donc à Marvel Studios de moquerie envers les habitants du pays.
D'autres opinions, peut-être plus rationnelles, émettent quant à elles des doutes sur la façon dont la Chine sera représentée dans le scénario de Shang-Chi. Des doutes partis de la sortie d'une première affiche aux allures de carte postale (pagodes et lanternes rouges, kung-fu), caractéristiques d'une représentation stéréotypée du pays. Là-dessus, il serait effectivement hypocrite de ne pas admettre que Marvel Studios vise avant tout le portefeuille du public chinois, sans forcément s'intéresser aux standards contemporains du film d'action local - au point de reconnaître dans la première bande-annonce un curieux melting polt de style, avec des scènes d'action urbaine dans le style de Donnie Yen, du "kung-fil" à la Tigre & Dragons, ou des créatures mythologiques de films à la Detective Dee. De là à interdire le long-métrage, plutôt que de laisser au public le choix de le boycotter, la différence reste très importante.
L'un dans l'autre, les prochains mois seront à l'évidence décisifs, Marvel Studios (et Disney) ont certainement l'oeil rivé sur ce problème, compte tenu de l'importance de cette partie du public international dans le calcul des entrées. Après les pitreries ridicules du film Mulan, tourné à quelques kilomètres des camps de travail forcé de Xinjiang, porté par une comédienne favorable à la répression policière de Hong-Kong et largement mensonger dans son rapport à la légende originale, Disney poursuit donc une relation de travail motivée par l'argent au détriment des problématiques politiques dans un pays qui n'a, manifestement, plus envie de jouer le jeu. Chez nous, les films arriveront sans encombre le 1er septembre (Shang-Chi) et le 3 novembre (Eternals) au cinéma - si l'épidémie de coronavirus ne reprend pas d'ici là.
