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Big Girls : Le Pacific Rim au féminin qui nous manquait !

Big Girls : Le Pacific Rim au féminin qui nous manquait !

ReviewIndé
On a aimé• Jason Howard sur une série de monstres géants
• Plusieurs épaisseurs de lecture
• Dynamique, rythmé, beau
• La perspective d'un monde plus dense
On a moins aimé• Qui s'achève trop tôt !
• Ne laisse pas son récit s'épanouir correctement
Notre note

Disclaimer : Les plus attentifs auront sans doute remarqué le patronyme transalpin au générique - Arnaud Tomasini, dit "Kikoo" sur ce pan de réalité, a eu la chance d'officier au poste de traducteur sur l'édition française de Big Girls, en collaboration avec 404 Comics. 

Par souci d'objectivité, il nous faut donc préciser que la critique qui va suivre est ouvertement corrompue,  rédigée entre deux rails de colombienne non-coupée à l'arrière d'un yacht piloté par le Don Kikoo sur la route de Dubaï. Le gars paye ses vacances au soleil, parce que l'argent sale n'a pas d'intérêt si on ne fait pas croquer les copains.

Au moment de concevoir la série Cemetery Beach chez Image Comics, le scénariste Warren Ellis avouait volontiers avoir mis ce projet en marche pour céder à un caprice de Jason Howard. Les deux bonshommes s'étaient déjà croisés sur Trees. Howard aime à dire qu'il s'est lancé dans l'illustration pour dessiner "des trucs cools", et ce rapport comparatif  d'un travail à l'autre marquait déjà une démarcation intéressante : pour satisfaire les envies de son collaborateur, Ellis avait bâti un scénario pensé pour l'action, l'invention de machines et d'environnements fantasques, loin du réalisme gris et déprimé de ses arborescences extra-terrestres.
 
Récemment, Jason Howard se lançait en solitaire avec la série Big Girls, une fois encore, chez Image Comics. Là-encore, la proposition artistique part très ouvertement de cette envie de divertir en piochant dans un genre pensé pour le grand spectacle (le gigantisme et les monstres géants), mais l'expérience acquise au fil de ces nombreuses années aux côtés de Warren Ellis ont aussi motivé l'artiste à chercher un peu de sens dans ce qui n'était, au départ, qu'un simple délire de gosse. Sur la ligne d'arrivée, il en ressort un projet intéressant, sincère, avec le charme et les maladresses d'un premier boulot de scénariste, quelques références intéressantes, et surtout, de bien belles bagarres de colosses. Voyons les choses en grand.
 

 
Le scénario de Big Girls suit la trajectoire d'Ember. Dans une société futuriste où un virus mystérieux entraîne l'apparition de monstres géants, l'humanité se réorganise pour faire face à ce problème. Les mâles contaminés paraissent se transformer en immenses kajjus monstrueux et bestiaux, tandis que les femelles conservent leur apparence et leur intellect, se contentant seulement de gagner en taille. Un haut gradé de l'armée des Etats-Unis organise un bastion de survie gardée par les Big Girls, un commando de jeunes femmes géantes entraînées pour répondre aux attaques de Jacks, ces fameuses bestioles titanesques venant périodiquement dévorer les humains survivants. Ember fait partie de l'escouade, plus jeune que ses camarades et aussi un peu moins certaine d'être dans le bon camp.
 
Si Jason Howard a basé son histoire sur une envie toute bête de jouer sur les effets de proportions, le bonhomme s'est aussi gratté la tête pour comprendre de quoi la série Big Girls allait bien pouvoir parler. Evoquant le cas particulier de la Guerre en Irak, le jeune scénariste parle de cette capacité à douter, de comprendre les enjeux plus complexes d'un conflit présenté comme simpliste en apparence. Ember est intéressant de ce point de vue : présentée comme une jeune adulte, celle-ci interprète au sens propre le fait de grandir dans un monde difficile où les nuances de gris écrasent la propagande manichéenne présentée au départ. Howard bâtit son bastion de survivants comme une parabole sur le passéisme, le fait de refuser les évolutions du monde et de se réfugier dans l'illusion protectrice de la nostalgie, de croire que la société était mieux avant et n'a pas vocation à évoluer. Un sous-texte intéressant politiquement, en particulier dans cette configuration où un groupe de femmes mené par un militaire pragmatique sert de bouclier au reste de l'humanité.
 

 
Dans la recherche de ces sous-textes, Big Girls peut en effet évoquer le patriarcat, dans cette perspective de société rigide où des femmes toutes puissantes acceptent de se plier aux ordres d'un groupe d'hommes qui serait pourtant incapable de se débrouiller sans elles. Sur la militarisation, le discours des soldats en temps de guerre, le volume a aussi quelques choses à dire. Howard a d'ailleurs l'intelligence de mettre en accord la forme au fond : les Big Girls sont pour la plupart basées sur des formes rectangulaires dans leur appareillage esthétique et leur design global, comme pour évoquer l'aspect anguleux et millimétré de leur formation militaire. A l'inverse, les Jacks évoquent des structures plus rondes, à la fois pour répondre aux contours des héroïnes, et pour suggérer un aspect monstrueux qui passe par cette forme plus organique. 
 
Les influences sont nombreuses, avec des emprunts à la mise en scène des dessins animés japonais de monstres géants, en tirant sur L'Attaque de la Femme de 50 Pieds ou sur Evangelion, en n'oubliant pas Les Voyages de Gulliver, référencés à deux reprises dans le volume (avec le nom d'un des personnages, et avec une scène qui reprend explicitement l'iconographie du roman de Swift lors de la fameuse séquence chez les Lilliputiens). Quelques scènes de bagarres ludiques où les Big Girls piochent dans des éléments de construction pour se bagarrer rappellent aussi la fameuse batte-paquebot de Pacific Rim. Par endroits, Howard se veut plus explicite dans son discours, en affirmant que le problème de cet univers serait bien "les mecs", et il serait intéressant d'analyser la série sous un angle plus métaphorique dans ce relationnel précis entre deux genres, qui refuse là-encore d'aller dans le manichéen. Sur le papier, le bouquin reste toutefois perméable sur un degré de lecture évident : des gros monstres, des grandes nanas, des grosses toutounes.
 

 
Là-dessus, Jason Howard s'amuse comme un grand enfant. Les scènes de batailles sont superbes, à la fois élancées et dynamiques, avec quelques démonstrations de force particulièrement prenantes. Pour un dessinateur à l'aise dans ce genre d'imaginaires, Big Girls se présente comme un terrain de jeu phénoménal : l'artiste s'amuse à jouer sur les échelles et les découpages pour rendre compte de l'immensité de ses créatures, varie les styles de combat et consacre une part importante du bouquin à l'action. Le travail sur la perspective est irréprochable, avec des lignes de fuite travaillées où les personnages bougent, paraîssent vivants. Divertissement efficace, le bouquin souligne au passage l'engouement des dessinateurs de comics pour le genre du monstre géant, représenté par Kaijumax, Kaiju Heist ou le récent Ultramega, un rêve pour cette génération de dessinateurs à cheval sur l'imaginaire des super-héros et de l'animation japonaise. Les choix de couleurs sont aussi intéressants, la série fonctionnant comme Cemetary Beach sur ces nuances de violet, de orange, et de bleu gris, une palette qui refuse assez généralement de concéder un pouce de terrain au réalisme pour embrasser sa posture de défouloir bien éclairé.
 
Le bouquin a malheureusement le défaut de ses qualités : artiste virtuose, Jason Howard est encore un scénariste débutant, et doit composer avec une progression chapitrée qui s'étouffe dans sa dernière ligne droite. Plus en accord avec une pensée de dessinateur, le bonhomme se laisse la place de divertir avec des scènes d'action qui font le boulot, en négligeant la grammaire d'un scénario qui aurait sans doute du prendre son temps. L'univers de Big Girls est intéressant, les différentes couches de sous-textes gagneraient à être développées, mais l'auteur, trop motivé par son envie de belles batailles, se prend à son propre piège en voulant aller trop vite vers la bagarre finale. Beaucoup d'idées se retrouvent perdues dans cette conclusion trop rapide, et un monde de fiction qu'on aurait aimé accompagner sur un plus long format ou voir se développer progressivement s'achève en définitive avant d'avoir été au bout de son potentiel. Howard se laisse toutefois une porte ouverte pour revenir, histoire de ne pas laisser ses Girls orphelines.
 

 
Dans l'ensemble, Big Girls est toutefois une lecture agréable et un plaisir à peine coupable pour les amateurs de ce genre précis - le gigantisme, le clone de Pacific Rim récupéré par les auteurs de BDs. L'artiste s'amuse à illustrer d'immenses bastons dans son futur déliquescent où les architectures carrées volent au moindre coup de poing. Fantasme générationnel d'un gosse élevé par Robotech et Voltron avec un peu plus de densité, une envie de raconter quelque chose sur le présent des Etats-Unis et les débats de ces dernières années sur le genre, qui aident le bouquin à trouver sa place comme une bonne curiosité dans un carrefour de comics à grosses bêtes. Restent quelques défauts propres à ces artistes reconvertis en scénaristes sur le tas, plus charmants que problématiques, mais qui frustrent au sortir d'une BD dans laquelle on aurait aimé investir plus de temps. Dommage, mais de quoi être enthousiaste pour la suite de la carrière de Jason Howard.

Corentin
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