L'annonce frappe dur, au sortir d'une année chargée en pertes terribles : Richard Corben s'est éteint le 2 décembre 2020, à l'âge de quatre-vingt ans. La femme du dessinateur, Dona Corben, annonce la mort du géant sur la page officielle de Corben Studios, quelques semaines après la sortie française de Murky World chez Delirium Comics, paru aux Etats-Unis dans le magazine Heavy Metal. Un ultime legs de cet artiste hors du commun à la bande-dessinée après cinquante années de carrière, saluée par les professionnels de l'industrie des deux côtés de l'Atlantique.
Dernière histoire de Den
Né un 1er octobre 1940 dans le Missouri, Richard Corben occupe ses jeunes années dans le cinéma d'animation, avant de bifurquer vers la bande-dessinée au tournant des années 1970. Le bonhomme fait ses armes chez Warren Publishing dans les anthologies Eerie, Creepy et sur quelques histoires de Vampirella. Sous le radar, l'artiste se taille vite une réputation de solide paires de crayons dans l'underground de l'époque, et entre vite en contact avec Phillipe Druillet et Jean Gireaud (Moebius) en France au moment du lancement du magazine Métal Hurlant.
Corben deviendra l'un des plus fidèles collaborateurs de la déclinaison anglophone de cette revue (Heavy Metal), qui encapsule quelques unes de ses obsessions : l'horreur, la science-fiction, une fantasy musclée qui s'autorise une part d'érotisme, et un esprit de sale gosse prêt à bousculer les conventions. Après avoir travaillé sur un court-métrage baptisé Neverwhere, il s'attaque à la saga de Den, hommage aux oeuvres d'H.P. Lovecraft, Edgar Rice Burroughs et Robert E. Howard. Immense fan du papa de Conan, Corben adapte également le récit Bloodstar en roman graphique, avant de travailler sur l'adaptation de Métal Hurlant en film d'animation en 1981. Son héros fétiche, Den, y sera doublé par le comédien John Candy.
Résolument attaché à son boulot d'auteur (prolifique) en indépendant, l'auteur va peu à peu s'ouvrir à des parutions plus populaires à mesure que le poids des ans le range dans la catégorie des géants : au tournant des années 2000, il accompagnera
Brian Azzarello sur la série
Hellblazer et
Garth Ennis sur quelques numéros du
Punisher, entre autres projets pour la ligne "mature" de
Marvel et du label
MAX.
Corben se fait aussi un ami fidèle en la personne de Mike Mignola, et illustrera plusieurs histoires de
Hellboy parmi lesquelles les fameux segment "
Hellboy au Mexique" et "
The Crooked Man", qui vaudront aux deux hommes un doublé aux
Eisner Awards en 2009 et 2011. Il entrera ensuite au "
Hall of Fame" de la cérémonie en 2012, pour la postérité.
Connu pour son trait particulier, à mi-chemin entre caricature grotesque et réalisme exacerbé, Richard Corben se distinguera pour son travail de pastiche sur l'héritage pulp des années 1970 (amateur d'obsessions nerdys volontairement brusques ou érotiques). Représentant de l'ère Warren Publishing comme de la cohésion des imaginaires entre Etats-Unis et Europe avec Heavy metal, le bonhomme obtient le Grand Prix du Festival International de la Bande-Dessinée d'Angoulême en 2018. Une exposition lui était, à l'époque, consacrée.
Resté actif jusqu'au bout, Richard Corben laisse derrière lui une épaisse bibliographie de raretés et pas mal de statuettes empilées sur un coin de table, témoin d'une époque et d'une façon particulière de penser la bande-dessinée, sans compromis artistique ou philosophique, resté éternellement fidèle à ses obsessions de jeunesse. Nos pensées vont à sa famille et à ceux qui l'auront accompagné au long de son (incroyable) parcours.