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Le Tombeau de Dracula : Retour d'outre-tombe en Omnibus

Le Tombeau de Dracula : Retour d'outre-tombe en Omnibus

ReviewPanini
On a aimé• Gene Colan, magnifique
• Intéressant condensé des modes des années 1970
• Un modèle de série chorale
• Evolution dans le temps
On a moins aimé• Manque parfois de cohérence
• Tout de même très répétitif
• Tous les encreurs ne se valent pas
Notre note

Le tournant des années 1970 s'accompagne d'une nouvelle variété de formes et de styles dans la bande-dessinée nord-américaine. Nouveaux personnages, nouveaux thèmes, nouvelles tendances : sous la présidence de Roy Thomas, Marvel s'engouffre dans un ample mouvement de diversification, décalqué sur des obsessions populaires dans l'air du temps empruntées à d'autres disciplines. Au carrefour des héros urbains inspirés par Bruce Lee et John Shaft, des premières aventures de Conan le Barbare et de sagas plus cosmiques ou mystiques, l'éditorial s'attaque à un sujet en passe de redevenir utile aux comics traditionnels - les monstres, les créatures fantastiques inspirées par le cinéma d'épouvante.
 
En 1971, Stan Lee écrit une histoire de Spider-Man prenant la drogue pour motif, dans l'idée de faire de la prévention pour les plus jeunes lecteurs. Lorsque le Comics Code Authority refuse d'avaliser le premier des trois numéros prévus, le bonhomme décide de se passer de l'accord de cet organe d'auto-censure et publie l'histoire malgré tout. Ce fait historique marque le début d'une ère nouvelle, au cours de laquelle les comics vont s'affranchir de la castration artistique imposée par les conservateurs, et démarre alors toute une série d'expériences sur l'écriture sociale, psychédélique, et sur la représentation de la violence dans ces bande-dessinées généralement assez légères.


Pour Marvel, l'assouplissement des conditions de censure s'accompagne d'un nouvel élan de personnages monstrueux. La même année, Roy Thomas invente Morbius et Man-Thing, et puis, l'année suivante, les séries La Nuit du Loup-Garou et Le Tombeau de Dracula jaillissent à leur tour du néant. Deux bestioles de l'écurie des monstres traditionnels, popularisés dans les films d'Universal ou des studios Hammer, en adéquation avec leur réapparition communes dans le cinéma d'exploitation contemporain. Le premier numéro de Le Tombeau de Dracula apparaît en 1972, en parallèle de Blacula, curiosité de la blacksploitation qui imagine un prince d'Afrique noire en remplaçant du comte de Roumanie, et Dracula A.D. 1972. Cette production de Hammer Films aura une incidence directe sur la compréhension du monstre pour le public de l'époque, avec un vampire parachuté dans le présent après un sommeil de cent ans, à Londres, lâché sur les basques de jeunes hippies en quête de sensations fortes. Un descendant d'Abraham Van Helsing va lui donner la chasse, instaurant malgré lui une nouvelle tradition d'écriture pour la créature de Bram Stoker.  

Le Tombeau de Dracula mettra un peu de temps à trouver sa formule, passant des mains de Gerry Conway à celles d'Archie Goodwin puis de Gardner Fox avant d'échouer, enfin, sur le bureau de Marv Wolfman. Des premiers numéros encore assez gothiques avec une mise en scène de cinéma d'épouvante passéiste, la série évolue vite vers un ensemble choral qui s'éloigne de ses héros positifs pour accompagner le vampire ramené à la vie sur un plan plus quotidien. Dracula devient vite le héros de cette histoire, plus complexe avec le temps, parfois plus dramatique, toujours très solitaire et généralement cruel. Tout en ne cessant jamais d'être un antagoniste aux aventures de son héritier, Frank Drake, de Rachel Van Helsing, descendante du chasseur de vampires originel, et de Quincy Harker, lui-même descendant de Jonathan Harker


Cette envie de coller aux poncifs de ce genre de séries-héritage, qui transpose les personnages d'un mythe poussiéreux dans le présent en s'obstinant à trouver des liens avec les héros originels, n'était pas encore si répandue à l'époque. Ringardisée depuis par les armées d'héritiers de Van Helsing et autres "Alucard" de ce monde, l'écriture cherchait surtout à donner des référents évidents aux lecteurs, et aura le mérite de suivre ses personnages dans la durée. A sa façon, Le Tombeau de Dracula invente même ses propres règles, au fur et à mesure que Wolfman s'approprie l'environnement général pour s'autoriser quelques expériences sur la temporalité, un ample terrain de jeu, des idéaux plus contemporains et un Dracula qui continuera de se densifier au fil des arcs scénaristiques. Le monstre va et vient, en répétant son patronyme autant de fois que possible, tout en tissant peu à peu une mythologie créatrice sur l'occulte et le gothique pour finir par occuper sa propre case dans le catalogue des séries Marvel.

Pour ces premiers personnages de monstres du Bronze Age, tout était encore à inventer. Parti d'un rôle de méchant dans une posture de récit figé et très répétitif (Dracula attaque, les héros le coincent, il s'enfuit après une confrontation en se transformant en chauve-souris), le super-méchant s'éloigne petit à petit des éléments obligatoires du mythe du vampire pour croiser d'autres formes de personnages fantastiques, d'autres styles d'aventures et d'autres obsessions de son temps. Dans la liste, de la même façon que beaucoup ont retenu la première série La Nuit du Loup-Garou parce que Moon Knight y était apparu pour la toute première fois, Le Tombeau de Dracula voit la naissance de Blade, chasseur de vampires afro-britannique reflétant le nouveau courant de personnages noirs en vogue dans cette première moitié de décennie (à quelques encâblures de Luke Cage et de Sam Wilson). 

Le héros est alors encore très secondaire, mais participe d'une structure générale visant à la série chorale éparpillée sur des figures plus diverses, à l'instar de Taj, un Indien muet qui aura droit à ses propres aventures au fil du volume. Avec d'énormes renvois à la représentation archétypale de ces figures de la diversité, le comics dit quelque chose de son époque, à un carrefour de nouvelles modalités dans la façon de dépeindre la figure du super-méchant.



Sur un plan plus global, l'écriture a toutefois largement vieilli au regard des comics modernes, et Le Tombeau de Dracula s'adressera essentiellement aux amateurs de ces chefs d'oeuvre de patrimoine, déterminants dans le tournant d'une époque pensée sur de nouveaux principes. A l'inverse, pour les amateurs de ligne claire, le dessin de Gene Colan reste le point fort de ce premier volume des aventures de Dracula, avec une excellence générale et quelques variations en fonction de l'encreur mobilisé sur chaque numéro. Superbement mis en scène, le voyage du monstre passe par différents styles à mesure que l'artiste se rapproche des idées de Wolfman. Plus dans l'action par moments, plus dans l'effroi par d'autres, Colan s'adapte aux envies du scénario pour fabriquer ses ambiances, dans le cinéma gothique, le genre, l'horreur urbaine ou la présentation des communautés de jeunes fêtards en accord avec les codes de son temps. 

De personnages élancés à des silhouettes plus brutales, l'artiste trouve toute sa force dans les expressions de visage, où une paire de crocs acérés et des regards monstrueux suffisent à changer un personnage typique en monstre de roman, tandis que le Dracula en lui-même passe pour un méchant cousin de Doctor Strange, conditionné à des volutes de capes, des décors emplis d'ombres et de fumée et un éternel sourire figé au-dessus d'une barbiche de vilain pour rester menaçant. 


Si Le Tombeau de Dracula s'adresse d'abord aux collectionneurs, aux amateurs de ces raretés d'une ère perdue où Marvel s'intéressait à d'autres genres que ses habituels super-héros, il est tout aussi intéressant de voir le bouquin comme un témoin de la grande transition des idées de Stan Lee à Roy Thomas, avec, enfin, une place laissée à la part sombre des héros de BDs et à la mort, omniprésente. Hommage intéressant à la créature dans sa posture gothique comme à ses héritiers modernes, rangés avec le recul dans l'escarcelle du cinéma de série B, le volume répond à différentes obsessions d'une décennie polymorphe à mi-chemin entre les bouleversements sociaux, les dernières traces de contestation psychédélique et le retour des monstres de littérature. Premiers pas d'un jeune Marv Wolfman sur une série de longue haleine, avec un génie du dessin à son côté, Le Tombeau de Dracula reste l'une de ces lectures historiques importantes pour comprendre l'évolution des comics, à défaut d'avoir bien vieilli sur le plan du rythme et de la narration, charmante dans sa capacité à créer des motifs, épuisante dans son incapacité à ne pas se répéter.

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Corentin
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