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Les Dossiers Secrets de Hellboy : Raspoutine - Bruttenholm fait de la résistance

Les Dossiers Secrets de Hellboy : Raspoutine - Bruttenholm fait de la résistance

ReviewDelcourt
On a aimé• Une origine fidèle et coordonnée
• L'ambiance Adèle Blanc-Sec d'archéologie et d'aventures
• Pour les amoureux de méchants nazis
On a moins aimé• Un choix de dessinateur cohérent, mais frustrant
• Manque d'une scène forte
• Aurait pu aller plus loin
Notre note

Dans la longue liste des séries de l'univers Hellboy, Mike Mignola choisit parfois de s'éloigner de son héros à la grosse pogne rouge pour suivrefvj d'autres personnages, à différents endroits du planisphère folklorique. Un ensemble que beaucoup ont l'habitude d'appeler le "Mignolaverse", avec une chronologie précise, définie, et toute une galerie de héros plus ou moins secondaires vivant leurs propres aventures pendant que Hellboy parcoure le globe. Pour suivre ces errances occasionnelles dans le vaste de monde de démons et d'esprits inventé par le dessinateur, Delcourt délimite les oeuvres concernées dans une collection attitrée, "Les Dossiers Secrets de Hellboy", avec, cette semaine, un volume consacré à Raspoutine.

Dans l'imaginaire des arts et lettres, Grigori Raspoutine a longtemps été représenté comme une sorte de conspirateur, d'empoisonneur voire de moine fou, avant d'être peu à peu rendu à un mythe dont l'homme lui-même s'amusait à jouer de son vivant : prophète de l'apocalypse, sorcier immortel, guérisseur, traversé de visions et proche de différentes sectes. Au moment d'inventer Hellboy, après de courtes apparitions, notamment dans un comics de la San Diego Comic Con de 1993, Mike Mignola et John Byrne mélangent différents registres de fiction, en puisant dans ces obsessions du début du XXème siècle, pour la première mini-série Les Germes de la Destruction.
 
A l'époque, Raspoutine est présenté comme un sorcier reclus, qui a survécu à une tentative d'assassinat par la famille Romanov, et sera engagé par l'Allemagne nazie pour mener une sorte de département occulte dans divers projets. L'imagerie d'un IIIème Reich plus mystique, obsédé par les rituels et les mythologies des ténèbres, aura longtemps plu aux auteurs de comics. Mike Mignola greffe à cet ensemble sa propre obsession (démesurée) pour l'oeuvre d'Howard Phillips Lovecraft, et les romans d'aventures philosophiques du XIXème siècle, comme Moby Dick. Le premier volume de Hellboy se construit dans ce grand magma d'influences variées, en avançant vite dans une direction précise. Le reproche que l'on aura souvent fait aux premières séries de Hellboy est un caprice d'enfant gâté : ce monde si riche, si documenté, si passionnant, a souvent eu tendance à se manifester dans de courtes mini-séries, assez avares en dialogues et pour des histoires qui auraient pu tenir sur douze à quinze numéros. Avec le temps, et la croissance de sa création, Mike Mignola finira par revenir sur Raspoutine et le professeur Trevor Bruttenholm, dans la mini-série The Voice of the Dragon, et c'est justement ce volume qui nous parvient aujourd'hui.
 
 
 
L'histoire revient aux origines des origines. Comme une sorte de Star Wars : Rogue One de l'univers Hellboy, sans l'emballage promotionnel et la bande-son catastrophique. Aux tout débuts de la Seconde Guerre Mondiale, l'Angleterre travaille d'arrache pieds pour décoder les messages secrets utilisés par l'armée nazie, et un jeune diplômé d'Oxford, spécialiste des sciences occultes, est à son tour mis à contribution de l'effort de guerre intellectuel. Sans l'appui de ses supérieurs, qui ne croient pas réellement au cirque de démons et d'incantations obsédant les hommes d'Hitler dans cette version revue et corrigée de l'histoire, Broom va mener sa propre enquête sur différents événements évoquant le surnaturel. Le futur père adoptif de Hellboy va ainsi croiser la route de Karl Kroenen, Ilsa Haupstein et Leopold Kurtz, sbires d'un Raspoutine récemment engagé par le régime nazi pour mener à bien le projet Ragna Rok.
 
Le volume pose les bases de l'univers Hellboy, avec la confrérie de Ra, la rencontre de Broom avec le prototype du B.P.R.D. et l'introduction de la fameuse "guerre" parallèle que se livreront les grands occultistes alliés et les grands sorciers des Forces de l'Axe. L'histoire progresse comme un feuilleton policier aux notes de vieille série d'aventure, plus proche d'Adèle Blanc-Sec que de Hellboy dans la tonalité et le rythme, en particulier dans ce rapport aux momies et aux tombeaux secrets. Mike Mignola fait un effort sur le plan de l'intrigue, avec davantage de narration, un découpage plus feuilletonnant inspiré par le roman policier d'époque, et un peu moins brumeux et mystérieux que d'habitude. Une imagerie de secte religieuse, d'érudits en mysticisme plus que de lanceurs de sorts, couplé à l'héritage des fictions populaires du début du XXème siècle, à coups d'aventuriers et d'explorateurs égyptologues. 
 
L'ensemble parle de la Résistance, d'occupation, des réseaux secrets parachutés dans la France occupée, avec le très sympathique personnage de Sandhu, sorte d'aventurier, d'espion et de sorcier évoquant différentes figures de la fiction pulp. Equivalent colonial de Doc Savage et Mandrake, le personnage guide l'esprit de la série, fonctionnant comme un Indiana Jones sans chapeau et cantonné aux frontières de l'Angleterre et de Paris, avec, tout de même, des laboratoires de vilains nazis, des excavations de vilains nazis et des rituels de vilains nazis. L'aspect charmant de la BD émane de cette envie de correspondre aux récits d'autrefois, entre le roman-feuilleton d'enquête policière, l'approche scolaire de la magie liée aux superstitions archéologiques et cet esprit d'aventures sur fond d'occupation. Le bouquin avance vite, avec beaucoup de clarté, évoquant les BD Indiana Jones d'autrefois (Le Secret de la Pyramide ou La Cité de Foudre, par exemple).
 
 
 
Le travail accompli sur ses autres projets, plus littéraires (Witchfinder et Joe Golem) a lissé la plume de Mignola, aidé par Chris Roberson. Tous deux prennent plus de plaisir à raconter, comme si le fait de ne plus occuper le poste de dessinateur sur l'immense majorité des séries Hellboy depuis quelques années avait délié la langue de l'auteur. Du côté des planches, si Christopher Mitten s'en sort bien aux dessins, cherchant à reproduire cet esprit de bande-dessinée européenne plus proche d'un Jacques Tardi, avec un trait incertain, un travail sur les encrages pour souligner les atmosphères et de couleurs plus ocres et descendues, le bonhomme se heurte à un problème routinier pour les différents artistes de la saga des Hellboy : il n'est pas Mike Mignola, et voir cette origine canonique échapper au trait si particulier du dessinateur est un énième crève coeur pour les fans de cet univers. En particulier pour ce bout d'histoire très précis : dès ses débuts, Raspoutine, avec son immense manteau et son pentacle surplombé du motif de dragon, avait immédiatement frappé l'esprit des lecteurs au moment de la première série Hellboy. Voir son "origine" échapper au trait unique et majestueux de Mignola enlève un peu de son intérêt à ce volume, arrivé presque trop tard, après que l'artiste ait décidé d'abandonner les planches intérieures.
 
Cela étant, on ne pourra pas reprocher à Dark Horse de ne pas avoir su s'arranger avec cette pré-retraite du géant. L'éditeur a généralement l'intelligence d'associer les artistes du Mignolaverse de façon logique : pour les histoires plus appuyées dans l'horreur ou le fantastique, Ben Stenbeck, clone parfait de Mike Mignola, se charge généralement des intérieurs. Pour une histoire plus ancrée dans le réel, piochant dans les codes du roman-feuilleton des années 1930, Roberson fonctionne effectivement, en rendant cette impression de bande-dessinée poussiéreuse parachutée dans le présent.
 
 
 
Sur l'ensemble des numéros compilés dans cette édition francophone, Raspoutine fait le job en tant que préquelle des origines de Hellboy. Tous les éléments sont placés aux bons endroits, on apprécie de retrouver cette ambiance et ces personnages que l'on a finalement assez peu connus dans la saga originelle, et Mignola ne fait pas d'erreurs dans sa propre chronologie. Les scènes aperçues dans Les Germes de la Destruction sont reproduites à l'identique, parfois au dialogue près. C'est là-dessus que se porterait le reproche réel de cette mini-série : l'auteur aurait pu profiter de l'occasion pour ajouter des éléments nouveaux, puiser dans la richesse de cette époque, quitte à se coordonner avec les personnages de Lobster Johnson ou de la Torch of Liberty. L'iconographie nazie dans les comics, et les comics Hellboy en particulier, a souvent été utilisée à bon escient par des artistes en quête de moments forts (cette période étant particulièrement fertile pour les auteurs de fiction amateurs de fantastique et de rituels secrets), à l'image de Fatale, voire même de Multiversity, Red Skull ou Tom Strong
 
Dans Raspoutine, la menace se ressent moins, et l'ensemble manque d'une scène forte, d'un moment marquant ou d'un peu de mise en scène pour épouser les contours artistiques généralement très identifiables du Mignolaverse. La mini-série colle presque trop bien à ce que l'on avait imaginé des débuts de Broom et de l'ascension du sorcier, au point de se cantonner à une aventure bien dirigée mais sans surprises, et sans apport réel à la mythologie d'ensemble, en dehors de cet exercice de style visant à mêler résistance, enquête et pyramides. Si bien que le volume sera à conseiller aux complétistes de Hellboy plus qu'aux lecteurs occasionnels (qui auront, de leur côté, énormément de grandes histoires du diable aux cornes limées à rattraper avant de passer sur ce tome précis), ou aux amoureux de BD franco-belges équivalentes.
 
Les Dossiers Secrets de Hellboy : Raspoutine a tout d'une bonne histoire, appréciable au demeurant mais vaguement frustrante au vu de son placement chronologique. En définitive, il en ressort une lecture agréable pour les amateurs de cette grande saga, des vieilles bande-dessinées d'aventure ou d'archéologues, des fana' de nazis à laboratoires secrets et à cuves d'acide, qui a l'avantage de faire un peu de place au jeune professeur Broom et à amorcer la guerre de l'occulte évoquée à d'autres endroits des Hellboy. On aurait même envie d'espérer que Mignola ait envie de poursuivre l'histoire de Broom et de Raspoutine sur une plus longue période, pour continuer à évoque ce pan ombrageux de la Seconde Guerre Mondiale avant l'invention du B.P.R.D.. Quitte à reprendre les dessins pour l'occasion - on aurait encore envie d'espérer.

Corentin
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