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L'Histoire de l'univers Marvel : Les Métamorphoses de Waid

L'Histoire de l'univers Marvel : Les Métamorphoses de Waid

ReviewPanini
On a aimé• Javier Rodriguez aux dessins
• Mark Waid simplifie les rouages de l'univers Marvel
• L'amitié de Franklin et Galactus
• Une bible complète et documentée
On a moins aimé• Tout de même confus par endroits
• Un peu moins "vivant" que les Grand Design
• Et Knull alors ?
Notre note

L'économie de la nostalgie peut parfois être utilisée à bon escient : avec le passage du temps et des générations, Marvel s'est aperçu, dernièrement, que huit décennies s'étaient déjà écoulées depuis la sortie de Marvel Comics #1 chez Timely, en 1939. Le point de départ d'un raz-de-marée culturel progressif, qui n'aura eu de cesse d'enfler au fil du temps, passant d'un loisir pour enfants à une passion de niche, pour finalement devenir un environnement séduisant pour les courtiers en capital culturel du cinéma. Quelques projets intéressants se seront posés en reflet de cette envie de vendre sur l'amour de l'ancien, avec les deux séries Grand Design d'Ed Piskor et Tom Scioli, pour compenser une très large de vague de "retours aux sources" fatigués dans les séries publiées au fil de Marvel Legacy et Fresh Start.

L'an dernier, quelques nouveautés se présentaient pourtant au public. Jonathan Hickman s'intéressait enfin aux X-Men avec un vaste relaunch idéologique réussi, et Donny Cates prouvait qu'il était encore possible d'ajouter du neuf dans une mythologie poussiéreuse avec Knull, divinité chaotique dont il partagera la garde avec le brave Jason Aaron. De ces différents architectes contemporains du changement, Mark Waid aura préféré retenir le travail d'Hickman pour son propre "Grand Design" - une série explicative couvrant une très large période de temps, comme dans le cas de X-Men : Grand Design, mais cette fois appliqué à l'ensemble de l'univers Marvel. L'idée naît dans les pages de Fantastic Four #604 en 2012, lorsque Galactus et Franklin Richards se promettent d'être là, côte à côte, au moment où la réalité toute entière viendrait à mourir, de vieillesse.
 

 
Au crépuscule de ces univers d'antan, Galactus et Richards, devenu un adulte depuis, conversent alors que s'éteignent les dernières formes de vie. Pour le dernier rejeton des Quatre Fantastiques, ce n'est pourtant pas la fin. A son tour, comme Galan de Taa lorsque son propre univers fut détruit, Franklin s'apprête à passer de l'autre côté pour ressusciter sous une autre forme et devenir, en quelque sorte, le Galactus du monde suivant. Pour éviter de perdre tout souvenir de sa vie précédente, le héros demande à son ami au casque violet de lui raconter, une dernière fois, l'histoire de la cosmogonie Marvel. S'engage alors un récit de six numéros particulièrement vaste en termes de périodes à couvrir, une sorte d'immense Bible de l'univers fictionnel de la Maison des Idées, depuis la création jusqu'à, mettons, la période actuelle.
 
Le volume évoque les grands travaux littéraires couvrant une sorte de lecture précise sur l'histoire mythique ou religieuse de grandes civilisations - La Légende des Siècles ou Les Métamorphoses d'Ovide, récits de grands érudits passant de légendes en légendes, de portraits en portraits pour couvrir l'évolution séculaire ou millénaire d'une théologie ou d'un grand principe fondateur appliqué de générations en générations. Waid compile toute l'histoire de l'univers Marvel depuis l'apparition des Celestials jusqu'à la fondation de la nation indépendante de Krakoa, en parallèle de House of X et Powers of X, publiés au même moment en VO. Dès lors, le bouquin s'adressera essentiellement à deux types de publics : les curieux, qui auraient envie de posséder un recueil complet susceptible de leur en apprendre beaucoup sur les grands principes de Marvel, les dieux, les héros et la généalogie, et, surtout, pour les connaisseurs qui auraient envie de lire le point de vue précis de Mark Waid sur la question.
 
 
 
A ceux-là s'ajouterait une troisième catégorie de lecteurs : les amateurs de beaux dessins. Comme pour les Grand Design, en moins rétro', le volume est avant tout un énorme plaisir esthétique, dans lequel le génie Javier Rodriguez exprime son talent pour la mise en scène, les découpages et la couleur, assorti des encrages d'Alvaro Lopez. Pour peu que traînent sur le web des planches de cette mini-série où on aurait retiré les cases de narration, on aurait de quoi remplir plusieurs appartements de magnifiques tableaux à encadrer. En jouant avec les postures, le placement des cases et des fonds, Rodriguez parvient à condenser plusieurs millénaires d'histoire en quelques pages, rendant un tout homogène et cohérent en dépit des nombreux va-et-vient de Mark Waid dans l'ordre historique ou géographique, imitant parfois certaines couvertures ou reproduisant certains grands temps forts de la Maison des Idées. L'exemple de la page "Heroes for Hire" représente assez bien la technique employée : une seule planche qui représente deux grandes tendances de Marvel au tournant des années 1970, avec les héros urbains inspirés par le cinéma de genre et l'amour des figures monstrueuses, revenues à la mode à cette période. Rodriguez illustre de la même façon les jeunes héros de la ligne Marvel Now!, avec Spider-Gwen, Miles, Amadeus Cho, etc.
 
Le dessin a probablement autant de choses à raconter que la narration de Mark Waid sur l'ensemble du volume. Citons aussi l'exemple de "Stryfe", mentionné dans un bas-de-page pour rendre hommage à la période Rob Liefeld : dans cette case, on remarque que tous les personnages apparaissent de face, et que leurs pieds ne sont pratiquement pas visibles. Seuls ceux de Tornade apparaissent, dessinées de manière rudimentaire, tandis que Stryfe lui-même apparaît sur un fond blanc, vide. Cette technique, comme à d'autres endroits du volume, capture aussi l'évolution artistique des comics avec les "phénomènes" propres à chaque grand dessinateur. La double-page consacrée à Onslaught, la pleine-page où apparaissent dans le même champ les Runaways, Jessica Jones et Sentry présente à différents plans les moments importants de Marvel sur plusieurs niveaux : Jones, humaine, à hauteur d'homme, les Runaways en planque, comme cette jeune génération qui attend de prendre le relais, et Sentry dans le ciel, presque trop puissant pour être approché. Rodriguez utilise un champ de couleurs assez proche du Silver Surfer Black de Tradd Moore, avec des teintes vives et claires, et un goût pour le cosmique bleu/violet.
 
 
 
D'une manière générale, le volume est un sans-faute graphique incontestable, et mérite d'être au moins feuilleté pour retrouver ces grands moments avec cette exigence dans le dessin. Côté scénario, Waid se débrouille pour trouver un écho sensible et passionné à cette histoire racontée par Galactus, en habillant ce long déballage biographique d'une sorte de dernière conversation entre deux amis. Dans son travail d'archéologue, le scénariste est aussi très généreux, en ne se contentant pas d'énumérer une sorte de frise chronologique sèche, mais en trouvant des points de cohérences logiques en s'arrangeant avec les morceaux choisis. En résumé, plus qu'une sorte de Wiki' général, Mark Waid va surtout donner sa version de l'histoire, en triant dans la continuité pour choisir les points de passages fonctionnels, quitte à piocher dans des éléments effacés du canon.
 
L'ouverture reste probablement la plus intéressante sur le plan mythologique : bardé de dieux, de concepts, de races ancestrales et de principes fondateurs, l'univers Marvel s'organise sous les yeux du lecteur comme un vaste confluent d'idées posées au fil des scénaristes et des personnages. Les Celestials, Galactus, Asgard, le Phoenix, les Inhumans, les Eternals, les démons, les Atlantes, énormément de données et de faits remis dans le bon ordre pour fonctionner avec les différents grands runs ou appendices chronologiques de l'univers Marvel. On aurait envie de plonger dans les détails de ces ères perdues, en parties ravivées par le volume de Jason Aaron et Esad Ribic dans Marvel Legacy, où l'idée du Celestial déchu est aussi posé en place publique. A partir de là, Mark Waid va aussi combler quelques trous en intégrant quelques personnages issus des minorités dès les origines (avec Isaiah Bradley, canonisé dans la généalogie des surhommes dès les années 1940), ou adopter un point de vue moins américano-centré, en passant par l'Asie, l'Angleterre, le Savage Land, etc. 
 
 
 
Cela étant, l'auteur doit aussi composer avec l'historique éditorial de Marvel, et ne peut donc pas inventer de guerres aliens plus intéressantes si celles-ci n'ont pas eu un lien avec la Terre - et donc, "l'histoire de l'univers" devient vite l'histoire de la planète bleue, en essayant au maximum d'éviter les dérivés liés au multivers. Petite pirouette intéressante, le dernier numéro trouve le moyen d'évoquer les futurs possibles après avoir raccordé avec le présent, en peu de pages mais en laissant tout de même cette porte ouverte pour canoniser les grandes idées qu'auront eu les auteurs au fil des décennies pour représenter l'avenir, chaotique ou serein, des héros Marvel.
 
Seul regret, le fait de ne pas retrouver le dieu chaotique Knull (et mon pote Khonshu) dans les pages du volume, en dépit de son importance cruciale comme personnification du pouvoir maléfique dans le Thor de Jason Aaron (le dieu scandinave est d'ailleurs assez peu présent, proportionnellement à l'importance de son plus récent run). Forcément sélectif, L'Histoire de l'Univers Marvel s'attache à suivre des équipes ou des personnages secondaires relativement peu importants à l'échelle du présent, et la densité de texte pourra aussi en rebuter certains. Pour les découvreurs, les historiens, les passionnés et les nouveaux entrants qui chercheraient à en apprendre plus, il s'agit toutefois d'une franche réussite, et du genre de projets qui servent aussi à compenser le tapage souvent barbant que les éditeurs de comics font autour de leurs "anniversaires" sempiternels.
 
 
 
L'Histoire de l'Univers Marvel répond aux Grand Design en apposant une même logique de recomposition à l'ensemble d'une mythologie très riche, très dense, et forcément confuse dès lors qu'on essaye de s'en approcher de trop près. Mark Waid remet un peu d'ordre dans l'historique de la Maison des Idées, avec des choix intéressants et un regard partial qui englobe les grands moments, sur le plan éditorial, comme les grandes transitions historiques en surimpression d'un dernier voyage entre amis à travers le temps. En filigrane, l'auteur développe une sorte de propos sur l'importance des histoires, de ces justiciers qui seront passés à travers le XXème et le XXIème siècle avec leurs moments de bravoure et leurs absurdités occasionnelles, pour recouper avec un présent qui semble finalement toujours aussi chargé. A noter : il faudra préférer être à jour dans les événements récents de Marvel (ou s'en foutre, au choix), attendu que le bouquin passe par-dessus Original Sin ou Secret Empire en dévoilant sans ménagement les fins de l'un ou l'autre. Au demeurant, le volume est surtout passionnant pour les planches de Javier Rodriguez, à installer entre Ed Piskor et Tradd Moore pour les bibliovores amateurs de jolis dessins

Corentin
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