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Bloodshot : on l'a cherché pendant le film, on l'a pas vu

Bloodshot : on l'a cherché pendant le film, on l'a pas vu

ReviewCinéma
On a aimé• Une scène d'action esthétique
• S'en foutre des comics, c'est peut-être mieux que de cracher dessus ?
• Avec de la bière et des potes, peut-être
On a moins aimé• Un jeu aux abonnés absents
• Des vilains anecdotiques
• L'attrait psychologique du héros aux oubliettes
• Ha bon ? Y a Bloodshot ?
• Ha bon ? Y a un univers partagé qui doit se lancer ?
Notre note

Parcours difficile pour Bloodshot. Le film de Dave Wilson, commandité par Sony Pictures, devait marquer la première pierre d'un nouvel univers partagé cinématographique, basé sur l'imposant catalogue de personnages de Valiant Comics. Si la maison d'édition n'est pas le troisième acteur du marché des comics en termes financiers, elle regorge pourtant d'un ensemble d'environ mille cinq-cent personnages, faisant, de fait, de cet univers l'environnement de surhommes et autres justiciers le plus peuplé, juste après Marvel et DC Comics. Au vu de l'essor des films de super-héros et des mondes partagés au cinéma pendant ces douze dernières années, il est aisé de comprendre pourquoi Valiant a pu intéresser un studio désireux de proposer une alternative aux efforts de Marvel Studios et Warner Bros..

Sur le papier, l'idée a aussi l'intérêt d'aller chercher dans l'univers Valiant un ensemble qui s'octroie (en comics) bien plus de libertés de ton, dans le contenu (sur les idées discutées, notamment sur le plan politique, mais aussi dans le dessin, avec des titres bien plus graphiques) que ses semblables. Les personnages de l'éditeur ont également l'avantage de ne pas être des super-héros costumés au sens strict : espions augmentés, résultats de programmes militaires, soldat viking détenant une armure extra-terrestre, entre autres joyeusetés au programme, sans avoir une vocation de protecteur des innocents dans la tradition établie par DC Comics au départ de ses propres publications. En résumé, on fait plus de choses, mais ce que les autres font est aussi fait différemment. Le moment paraissait tout trouvé pour aller chercher Valiant, après que des films tels que Kick-Ass, Logan ou Joker plus récemment aient montré l'appétit du public pour des propositions plus variées dans les adaptations de BDs.

Disclaimer : cette critique peut comporter des éléments considérés comme des spoilers.
(après, on est pas dans Citizen Kane, on s'en fiche un peu, hein)


On attendait donc forcément avec curiosité ce que Bloodshot aurait dans le ventre,  en dehors des Coronas savoureuses que s'enfile Diesel entre deux prises de vue. Malgré un certain retard à l'allumage et quelques cafouillis sur la construction de cet univers - le film était attendu pour 2018, et devait monter un premier crossover avec Harbinger, la licence étant désormais partie chez Paramount - le sort s'est acharné ensuite, puisque la sortie du film a été mise à mal par l'épidémie de Covid-19. Pieds et poings liés, le distributeur, y compris en France, a dû se passer des projections classiques pour proposer Bloodshot en vidéo à la demande. 

Cette mise en contexte étant faite, intéressons nous au film, porté par une vedette dont le nom se rattache aux grosses licences d'action (Fast & Furious en tête). On imagine que la production comptait sur lui pour attirer un public noyé sous la pelletée de projets mis en place par Disney ou Warner et permette à cette première pierre de l'univers Valiant de tirer son épingle du jeu. Au fil de cet étrange coup de poker, on pourra déjà constater que Sony Pictures n'a pas le flair pour dénicher les acteurs qui portent. Force est de le dire, pour que les choses soient claires : le comédien Vin Diesel a rarement impressionné pour la qualité de ses prestations, et l'on serait prêts à passer outre pour apprécier la stature de l'acteur, son côté bonhomme - qui hélas ne transparaît pas ici. La palette d'émotions déployée monte de zéro à dix, sans rien entre les deux : dans son rôle de soldat Ray Garrison, Vin Diesel oublie qu'il est aussi Bloodshot. Mais il n'est pas seul fautif : à voir le film, tout le monde semble l'avoir oublié.


Les comics Bloodshot comportent des runs de qualité, notamment depuis la relance en 2012 de Valiant Comics. Toute la période couvrant les passages de Duane Swiercinsky et Jeff Lemire va du bon à l'excellent, et l'on vous en recommande d'ailleurs la lecture, imprimée en Français chez Bliss Editions. Parmi les différents alias du personnage, Sony Pictures opte donc pour Ray Garrison. Un soldat exemplaire et talentueux, qui, tel qu'on nous le présente (dans une introduction très rapide), sauve les otages de vilains terroristes, puis va profiter de sa permission pour retrouver sa jolie petite femme, lui conter fleurette, et là patatra, les deux lurons se font enlever. Stéréotype du genre, le bonhomme assiste à la mort de sa femme et se fait ensuite dégommer la tête.

Mais Garrison n'est pas mort, et loin de là. Récupéré par Rising Spirit Technologies, une entreprise de high tech qui a pour vocation de réparer, et surtout améliorer le corps humain dans une démarche transhumaniste et pécuniaire, notre héros s'éveille pour se découvrir qu'on a remplacé son sang par des millions de nanites, minuscules nano-robots lui conférant des capacités exceptionnelles. Outre des pouvoirs de régénération lui ouvrant les portes d'une quasi-immortalité, il peut accéder à tout équipement technologique connecté, aux réseaux du monde entier, en un instant. Ni une ni deux, très peu de temps après avoir appris à dompter ses facultés, Garrison ira donc à la recherche de l'assassin de sa femme, ce salaud. Pour les lecteurs de comics, l'unique rebondissement du film, qui expose les intérêts de Rising Spirit à Bloodshot, qui se présente assez tôt, devrait surprendre les profanes (quoique la seconde bande-annonce avait éventé ce détail), et est plutôt correctement amené.


A partir de là, le film va suivre un fil conducteur somme toute classique. Une fois que Garrison comprend qui sont ses véritables ennemis, il faudra que les comptes deviennent bon (n'est-ce pas Kévin ?) avec l'aide de tel ou tel personnage fonction. Du côté des alliés comme des antagonistes, l'ensemble joue au mieux de ce que le script a à leur donner. Guy Pearce n'est pas un vilain des plus convaincants, il faudra d'ailleurs mettre en perspective le sort du pauvre Mandarin pour ce comédien de génie habitué aux personnages jetables. Le film manque profondément d'envergure pour ses méchants, qui ne restent grosso modo que de vagues sous-fifres. Certes, ceux-ci permettent au scénario de rester dans la thématique transhumaniste/techno', mais les acteurs (Sam Heughan et Alex Hernandez) n'apportent pas grand chose. Du côté des éternels acolytes, eux aussi écrits en pilote automatique, Lamorne Morris essaie de faire quelques traits d'humour (ratés) dans son rôle de Felicity Smoak - oups, pardon, pas le bon univers - tandis qu'Eiza Gonzalez tente d'apporter une vague épaisseur à son personnage de TK, dont les costumes font doubler la poitrine au fil des scènes (c'est qu'on a mal compris "donner de l'épaisseur au personnage" du côté des costumiers) et dont le maquillage résiste à la flotte et à la sueur. Ils sont forts chez Rising Spirit.

Dans cet ensemble chaotique où tout le monde semble donc s'aligner au niveau de non-jeu de Vin Diesel, on se met à espérer, naïvement, que l'action sera là pour rattraper le tout. On pardonne à de nombreux films d'action beaucoup de choses si la bagarre et les explosions sont là. Mais Bloodshot se montre curieusement, assez peu généreux. Le rythme est au final assez lent, et comporte en vérité trois passages plus énervés, dont seule une scène dans un tunnel vaut vraiment le coup d'oeil, grâce à des éclairages et des volutes de farine en suspension (oui) où se promènent quelques sympathiques effets. Au-delà de ça, la caméra reste trop proche des acteurs pour les cascades, ou les remplace aisément par des copies numériques qui vieillissent tout de suite très mal. Le montage, même lorsqu'il est hargneux, n'aide pas à la lisibilité. Et pour un film sur Bloodshot, il faut bien reconnaître que le tout manque de sang.


La question du PG-13 (un code de classification aux Etats-Unis interdisant les giclées de sang trop brutales) et de la violence graphique se pose régulièrement dans le cas des adaptations de comics, en fonction du personnage adapté. Il est admis que ce critère n'est pas forcément aligné sur la qualité, mais l'usage du sang pour Bloodshot n'est pas qu'une simple question d'enrobage : il fait partie de l'ADN du personnage. Le héros, avec cette capacité à se régénérer souvent utilisée à bon escient, fait de son sang un atout pour que son corps, même mutilé, devienne redoutable. Bloodshot se caractérise aussi, ne serait-ce qu'en comics, par son appétence aux scènes "graphiques" dont ne profitent pas forcément les comics plus mainstream de super-héros. En faisant le choix du PG-13, Wilson et Sony Pictures se privent non seulement de ce qui fait une partie essentielle du personnage, mais aussi d'une bonne dose de fun que l'ensemble aurait permis. On comprend donc que le passage le plus sanglant (le tir au visage) ait passé puisque l'éclairage rouge ambiant empêche l’hémoglobine d'être représentée en tant que tel, se fondant dans le décor. 

Cet argument permet d'aborder le problème principal du film : son rapport au personnage sur le papier. Bloodshot reste un film d'action aux thématiques technologiques tels qu'il en existe des dizaines d'autres. Pas foncièrement désagréable à regarder, il n'apporte rien au genre en tant que tel (un Upgrade est bien plus convaincant, par exemple, mais encore Robocop, Universal Soldier ou Hardcore Henry, plus forts dans leurs dystopie, leur rapport au complot transhumain ou leur générosité de nanard, respectivement), mais n'étant pas le seul, on se dit que ce n'est pas si grave. Seulement voilà : Bloodshot a une ample collection de BDs dans lesquelles puiser, qu'il s'agisse de son apparence, iconique, ou de ses capacités, qui dépassent la seule régénération ou les communications avec les machines. De ce côté là, le film est radin, délaissant toute volonté de s'inspirer des comics en dépit de tout ce qu'il y a à faire.


Vous connaissez cette doctrine des studios qui ont peur d'être trop proche des bande-dessinées sur les costumes, par exemple ? Ce qu'on a souvent reproché aux séries Marvel de Netflix par exemple (pour Iron Fist ou The Punisher, voire même Daredevil). Bloodshot est l'apogée de ce principe, puisque vous aurez droit à une seule apparence où le héros embrasse son visuel de comics pendant environ 5 minutes, et ce dans les dernières minutes du film (d'une durée d'1h49). Imaginez un film Superman où ce dernier n'aurait son costume et sa cape qu'au bout d'une heure et demie, et qu'il l'enlève avant la fin ? Voilà. Ce n'est pas que Bloodshot cherche à trahir les bouquins d'origine (toute adaptation nécessite une trahison, on le sait) : il n'en a juste rien à cirer. Le film pourrait s'appeler autrement que ça ne changerait rien. Pire : on peut se demander si des personnes voyant passer des comics Bloodshot sous leurs yeux pourraient faire ne serait-ce qu'un rapprochement, au moins sur le plan graphique. 

Il en va de même pour toutes les problématiques liées aux nanites : on nous montre en effet que Bloodshot peut être mis à mal suite à une projection d'EMP, fameuse astuce de scénario à la Matrix pour déstabiliser les machines, mais ces nanorobots ont surtout besoin de matière organique pour pouvoir réparer le corps du héros, ce qui peut le mettre sérieusement à mal et le rendre vulnérable. Ici, on ne s'inquiétera jamais du sort de Garrison, tant du point de vue physique que psychologique, laissé là-encore de côté. Bloodshot a des problèmes par rapport à sa condition : culpabilité d'être une machine à tuer et de n'avoir aucun remords ; difficulté d'avoir perdu ses souvenirs et son humanité ; hanté justement par cette fausse mémoire qu'on lui a fabriqué. Le personnage de Vin Diesel prend lui, tout ce qu'on lui raconte, avec une forme de facilité et ce semi-sourire permanent qui empêchent complètement de voir s'il se soucie même de son état, de ce qui lui arrive. Au final, le spectateur s'en foutra lui aussi.


Quant aux questions d'univers partagé ? Attendez, la rédaction de cette critique va prendre un instant de répit pour rigoler, sauvagement (voilà - dis donc, ça fait du bien). Bien sûr, il faut que les films puissent se tenir d'eux-mêmes. Que le fan service peut devenir poussif. Mais entre le forcing grossier et le vide, il existe toute une série de nuances que Bloodshot ne prend pas le temps de considérer. Pour ainsi dire, il n'y a rien. Pas de références à d'autres personnages de l'univers Valiant (ou alors on les aurait loupées d'un oeil distrait ? Dites nous), pas d'impression de quelque chose de plus grand, et une conclusion ouverte façon "advienne que pourra" qui ne donne absolument pas envie de revenir. On comprendra que la perte des droits d'Harbinger ait pu jouer un rôle, mais Sony pouvait rattraper que certains autres personnages fassent preuve de pudeur sur l'exercice de l'ouverture - mais là, ne serait-ce qu'une couverture de magazine avec un "Faith" apparent, par exemple ? Non. Rien. Du tout.

On se retrouve donc avec un Bloodshot radin, sur tout. Sur une action qui peine à convaincre, sur une intrigue de petite échelle, sur des personnages qui manquent de grandeur, sur un univers qui ne se construit pas. Sur le scénario d'ailleurs, on s'étonne du niveau compte tenu de la présence d'Eric Heisserer, qui a quelques réussites à son actif, tant sur grand écran (Arrival) qu'en comics (Secret Weapons), mais aussi pas mal de croûtes, probablement en fonction de son salaire. C'est toutefois au générique que l'on comprend qu'il n'est que sur la co-écriture du script, l'histoire globale étant du très malfaisant Jeff Wadlow, à qui l'on ne doit récemment que des films d'horreur médiocres (Action ou Vérité, Fantasy Island) et le second film Kick Ass. Idem pour les remerciements "comics" de la toute fin, ou autre que les créateurs de Bloodshot, on retrouve le nom de Joshua Dysart plutôt que celui de Duane Swiercinsky, dont le film semble l'inspiration la plus évidente. Mais si vous avez eu le courage d'aller jusqu'au générique, peu importe de toutes façons : le mal est fait, vous avez perdu près de deux heures qu'on ne vous rendra jamais.

Si Bloodshot ne s'appelait pas Bloodshot, ce serait un film d'action à tendance technologique comme il en existe beaucoup, pas bien bon, sans pour autant être détestable pour peu qu'on adhère à la bonhomie du Vin Diesel habituel. Seulement, c'est un film Bloodshot, un personnage plein de qualités porté par de bons comics, et qui doit ouvrir un nouvel univers partagé cinématographique Valiant. De ce point de vue là, le raté est total : outre que le film ne soit pas très bon, c'est son avarice excessive qui agace. Qu'il s'agisse du désintérêt pour ce qui fait le sel de ce héros sur le plan physique et psychologique, du manque de générosité dans l'action, restreinte par le budget et son PG-13, ou de l'absence totale de liens apparents à un univers Valiant à mener, le constat est amer. Bloodshot est aussi crevard que les budgets effets spéciaux des séries Greg Berlanti. Si les profanes iront sûrement clamer qu'ils ont "passé un bon moment" (feignons d'y croire), les connaisseurs ne pourront qu'être déçus, et on imagine très mal que le film puisse motiver quiconque à s'intéresser aux bande-dessinées de cet éditeur. C'est qu'à la mention du générique, lorsqu'on voit apparaître "based on the Valiant comicbook", une seule réponse vient : bande de mythos.

Arno Kikoo
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