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Entre Marvel et animation : une discussion avec l'artiste David Baldéon (Domino)

Entre Marvel et animation : une discussion avec l'artiste David Baldéon (Domino)

InterviewMarvel

Invité sur le Forum Comics du 27e Paris Manga Sci-Fi Show, l'artiste David Baldéon nous a donné de son temps pour une interview bien comme il faut. Travaillant depuis une bonne dizaine d'années chez Marvel, actuellement sur la série Domino qui vient de démarrer sa publication en VF dans les softcovers Fresh Start de Panini, le dessinateur a évoqué les grandes lignes de sa carrière, sa façon de travailler et ses envies au sein de la Maison des Idées. Un entretien que nous vous proposons de découvrir ci-dessous. Bonne lecture !


Tu travailles énormément sur des comics de super-héros. Qu'est-ce qui t'attire chez eux ? 

C'est tout simplement ce que je lisais étant plus jeune. C'est un genre qui m'a fait tomber amoureux des comics. Bien sûr j'aime le comicbook en tant que médium, mais c'est avec eux que je les ai découverts. C'est une mythologie moderne, et le genre permet de raconter un grand nombre d'histoires fun et différentes à la fois.

Par quels comics as-tu commencé ? 

C'était majoritairement du Marvel. Parce que l'éditeur en Espagne qui était le plus capable d'amener des bande-dessinées là où je vis était celui en charge de Marvel. J'ai lu des Avengers, du Spider-Man, un peu de Captain America.

Un des premiers comics que tu as fait en tant que professionnel s'appelle Fanhunter. Tu peux me raconter sa genèse ?

C'était une franchise à l'époque en Espagne. En gros c'est une histoire de SF qui montre dans le futur que la pop culture (les films d'action, les comics, les jeux de rôle) devient illégale en Europe. Les fans organisent un mouvement de résistance en militarisant cette pop-culture et les connaissances qu'ils en ont, et ça devient une organisation qui se bat pour la liberté. Son créateur vivait à Barcelone, et quand j'ai découvert ces livres, j'en suis tombé amoureux. Quand j'ai commencé à vouloir faire carrière dans les comics, c'était au moment où ce créateur transformait l'essai de son fanzine, pour publier Fanhunter en tant que franchise. Je lui ai envoyé un portfolio, et il m'a demandé si je voulais travailler avec lui. On a fait deux numéros ensemble.


Qu'est-ce qui fait qu'un jour tu t'es décidé à ne plus être seulement lecteur de comics, mais de faire partie de cette industrie ?

J'avais un plan B. J'étudiais le design industriel. Mais j'avais envie de faire des comics. D'autres artistes comme Carlos Pacheco, Pasqual Ferry ou Salvador Larroca avaient déjà un début de carrière aux Etats-Unis, et ils  nous ont montré à tous que c'était possible. Difficile, mais possible. Je savais qu'il y avait un risque de ne pas y arriver, mais je voulais me donner une chance. L'une des façons de faire était d'envoyer mon portfolio à ceux qui savaient ce qu'ils voulaient faire, et voir s'ils pouvaient me donner du travail. Ce qu'ils ont fait !

J'imagine que ton travail dans l'animation a eu une influence sur ton style, qu'on peut qualifier de "cartoony" ? 

C'est marrant, lorsque je travaillais dans l'animation, on me disait que j'avais un style "comic booky". Bruce Timm a eu une très grosse influence sur moi. Quand je suis rentré dans l'animation, ça m'a montré que je ne savais pas grand chose du dessin. Ca m'a aidé sur la technique. Tout ce que je sais de l'anatomie, des perspectives, vient de l'animation.

Il y a pas mal d'artistes de comics venant d'Espagne. Dirais-tu qu'il y a un style espagnol dans les comics ? 

Je ne pense pas vraiment. Quand je montrais mes dessins pour rentrer dans l'industrie, je crois que c'était le directeur artistique d'Image Comics qui m'avait dit que j'avais un style latin-espagnol. Mais si tu regardes les productions des autres artistes espagnols, c'est un style plutôt réaliste qu'ils ont. Regarde par exemple Cafu ou Fernando Dagnino qui sont présents ici. C'est un style classique, solide - et superbe - dans une approche réaliste. Je pense que c'est un peu mélangé du coup. Il y a aussi des artistes qui ont un trait plus orienté manga. Il n'y a donc pas de "style espagnol" per se !


Après tes années dans l'animation, tu es revenu aux comics. Il y a quelque chose qui s'est passé pour amorcer ce retour ?

Après mon travail sur Fanhunter, j'avais besoin d'un travail alimentaire. Je suis donc rentré dans l'animation, puis après quelques temps je me suis rappelé ce que j'avais vraiment envie de faire : des comics. J'ai quitté l'animation, me suis installé à Barcelone et commencé à envoyer des travaux aux éditeurs.

Ca t'a pris beaucoup de temps ? Combien d'essais as tu envoyé ?

Je pense que j'ai été assez chanceux, en toute honnêteté. J'ai toqué à beaucoup de portes, mais je crois que ça ne m'a pris qu'entre huit mois et un an pour avoir un boulot. Ce qui est bien peu comparé à d'autres collègues bien plus talentueux, qui ont dû envoyer bien plus de portfolios que moi.

Tu as début chez DC Comics. Tu n'étais pas trop déçu, alors que tu avais lu bien plus de Marvel ? 

Non, c'est DC Comics, quand même (rires) ! J'ai grandi avec Marvel, certes, mais c'est DC !


Mais tu es passé très vite chez Marvel en suite, et ça fait huit ans au moins que tu es chez eux. Il y a un personnage que tu  n'as pas encore dessiné ? Lequel ?

Je veux dessiner Moon Knight. Je ne sais pas si j'ai le style pour lui, mais je veux le dessiner. Je me suis rendu compte que le plus fun dans l'industrie des comics, quand tu enchaînes les projets chez un même éditeur, c'est l'effet de surprise. Tu ne sais jamais à quoi t'attendre. Je ne pensais pas tomber amoureux de certains personnages. Je crois que j'ai fait une commission de Domino en dix ans de carrière. Quand on m'a proposé de dessiner le titre Domino, je ne comprenais pas trop pourquoi, et maintenant j'en suis complètement fan. Bien sûr, j'ai mes envies, mais je préfère être surpris.

Je reviens juste sur le moment où tu es passé de DC à Marvel. Il s'était passé quelque chose de particulier ?

Ils ont juste arrêté de me donner du travail (rires). J'ai rencontré un assistant d'édition de Marvel en convention, grâce à David Lafuente. Il m'a dit qu'ils avaient déjà observé mon travail, je lui ai montré mon portfolio - et ça fait maintenant dix ans que je travaille avec eux !

Tu disais que ton travail est plein de surprises. Ce n'est pas toi qui choisis tes projets ? Ca marche comment ?

Non, on me les propose. Lorsque tu as un contrat en freelance chez eux, ce qu'il se passe généralement, c'est que tu es en contact avec le département des relations entre talents. Tu leur demandes s'ils ont un projet qui pourrait t'aller et ils t'en proposent. J'ai été assez chanceux pour qu'on m'en propose. 

Tu n'as donc pas ton mot à dire sur ce que tu veux faire, ou le scénariste avec qui tu veux travailler ?

Non, tu peux le faire, tu peux soumettre un pitch. Je ne l'ai pas encore fait. Mais je connais des collègues qui ont fonctionné ainsi : ils ont discuté avec un scénariste avec qui ils s'entendent bien, montent le projet, puis le proposent à l'éditeur. Et s'ils ont un peu de chance et de talent (ils en ont souvent), ils peuvent démarrer leur série.


Après dix ans chez Marvel, tu as fait Nova, les X-Men, Spirits of Vengeance ou Domino, ça ne te fatigue jamais de rester dans cet univers ? Pas d'envie de retourner à DC ou de faire du creator owned ?

Non : c'est toujours du Marvel, mais j'ai fait du cosmique avec Nova, de l'espionnage avec Domino, du super-héroïque classique avec les X-Men, de l'horreur avec les Spirits of Vengeance. C'est chez Marvel, mais chacun des projets est différent du précédent, je ne me suis jamais répété, il y a toujours quelque chose de fun.

Comment fais-tu pour t'adapter à chaque genre d'histoire ? Dessiner de l'horreur ou de l'espionnage, ce n'est pas pareil !

Je m'en réfère au script. Je suis un peu comme le réalisateur d'un film. Je lis le script, et je dois traduire l'ambiance de l'écrit sur la planche. Chaque script a son propre feeling. Quand tu es avec Nova ou X-Men, tu as une approche plutôt classique dans ta narration. Mais quand tu as quelque chose comme Spirits of Vengeance, par exemple, j'avais décidé que j'adapterai le style de narration à chaque personnage principal d'une scène. Si c'est Ghost Rider, j'opterai pour un style plus sombre, avec un dessin plus anguleux. Avec les démons, j'avais une approche à la Breaking Bad.


Pour Domino, c'est encore différent. Il s'agit d'un thriller avec une touche de comédie. Et je change ma façon de faire en fonction de la planche. Par exemple quand il s'agit de Neena, qui est plus vulnérable, qui s'ouvre à ses amies, la scène est dessinée de son côté droit, là où elle n'a pas sa tâche au visage. Mais quand on se trouve en face de Domino, bien plus dangereuse, je l'illustre de son côté gauche, où l'on voit sa marque. Ce sont des petites choses comme ça qui permettent d'adapter le style de narration à chaque projet.

Et j'imagine que tu t'adaptes aussi en fonction du scénariste avec qui tu travailles ? Quel est le plus important pour toi dans une relation de travail avec eux ?

Tous les scénaristes avec qui j'ai bossé sont de vrais professionnels. Il faut juste que le script te dise ce qu'il faut. La forme d'un script est assez similaire quel que soit l'auteur. De mon côté, les scénaristes avec qui j'ai bossé sont de belles personnes - j'ai commencé mes projets avec un auteur, je les ai finis avec un ami ! J'imagine que la relation personnelle, même pas e-mail est importante. Mais sur l'aspect technique, quand le script est bon il faut simplement se jeter dans le bain. Bien sûr, tu ne fais pas que dessiner des mots, tu dois mettre une partie de toi dans la retranscription du scénario en images. Ce n'est vraiment pas difficile de s'adapter à un auteur.

Et il n'y a pas de scripts où tu t'es permis d'être critique sur l'histoire, de vouloir modifier certaines choses ? 

Même si je voulais être critique, je ne suis pas sûr que mon avis soit valide (rires) ! Tu peux laisser des notes, indiquer quelques recherches à faire. Quand tu fais des layouts, tu peux modifier des choses. Il y a des changements, quelques nuances que tu peux apporter, mais pas forcément une critique à faire.


Quand tu passes d'un projet à un autre, combien de temps passes-tu à faire des recherches ?

Autant que je peux. Je n'en ai pas autant, car il faut être rapide dans cette industrie, avec le rythme de parution. J'ai été très chanceux sur Web Warriors, car j'avais quelques mois pour faire mes recherches. Mais autrement, c'est plus de l'ordre d'une ou deux semaines. Il faut faire des designs, faire d'autres recherches, vérifies que tu ne te répètes pas...

Peux-tu maintenant me dire comment tu es arrivé sur la série Domino ?

Je me rappelle avoir lu la  news à propos de la série Domino de Gail Simone, et je me suis littéralement dit "j'envie le petit chanceux ("little bastard" en VO, nda) qui va pouvoir dessiner ce titre" (rires) - et j'étais loin de me douter que ce serait moi ! Je venais de finir mes deux dernières planches de Spirits of Vengeance, je ne savais pas ce que j'allais faire par la suite. Et une ou deux heures avant de finir la dernière planche mon éditeur m'appelle et demande si je veux faire Domino avec Gail Simone -  j'ai bien sûr dit oui. Ça a été très rapide car c'était en février, et la série devait démarrer en avril 2018 à cause du film [Deadpool 2, nda], et je m'éclate depuis.

Tu penses que c'est une bonne chose, ce lien entre les films et ce que Marvel publie ? 

Je sais factuellement que ces films permettent de vendre des comics. Le truc, c'est que les lecteurs occasionnels n'achètent pas de bande dessinées comme les fans de comics. Les fans vont dans les comic shops, prennent leurs single issues. Les lecteurs "casuals" vont dans les librairies, les Barnes & Nobles. Ils n'achètent pas de single issues mais les albums reliés. Ou bien ils vont sur ComiXology pour la version numérique. Je sais pour sûr qu'il y a des gens qui ont vu Deadpool 2, ont aimé Domino et sont allés voir par la suite les comics existants sur le personnage. Ils n'achètent pas les single issues, mais les albums, oui.


Tu penses que la tendance de Marvel aux numéros #1 et aux relaunches est bonne pour les lecteurs ? 

Pour les lecteurs réguliers, pas forcément. Mais on est plutôt habitués à ces techniques maintenant. Pour les nouveaux lecteurs, ça fait un bon point d'entrée. Il faudrait peut-être faire un peu moins de numéros #1 ? Le fait est que ça marche, c'est le problème ! Tu as un #1, tu vendras plus. Tout le monde s'en plaint, mais ils se vendent. C'est difficile de lutter contre ça !

Et quels sont tes prochains projets ? 

Je travaille sur une prochaine mini-série avec Domino, toujours avec Gail Simone. Ça s'appelle Domino : Hotshots, on en est à la moitié, et il est encore un peu trop tôt pour que je sache ce qui arrive ensuite.

Merci beaucoup !

Remerciements : Wizzard Communication

Arno Kikoo
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