Warren Ellis fait partie de ces scénaristes en vogue, qui ne laissent pas indifférents. Capable aussi bien d'écrire sur du Super Héros pour Marvel ou DC, que de créer ses univers sans bonhomme en slip ou autres mutants. On retiendra entre autre The Authority, et Transmetropolitain, avec son héros atypique Spider Jerusalem. Son premier roman, Artères Souterraines (Crooked little veins en VO, paru en 2007), traduit de l'anglais par Laura Derajinski, est sorti aux éditions Au Diable Vauvert au mois d’août. Ellis a-t-il réussi le passage de la petite bulle au roman?
"J'ai ouvert les yeux pour voir le rat pisser dans mon mug."
Le héros (ou plutôt anti-héros) du récit est
Michael McGill, détective miteux à qui toutes les pires tuiles possibles et imaginables arrivent. De son propre aveu (et on ne peux le contredire), il se définit comme un "aimant à merde". Ses rares affaires sont des plus tordues, et il partage son bureau avec un rat. Il est loin de la vie qu'il imaginait en se mettant à son compte...
Mais un jour, sa vie change. Le chef de cabinet de la Maison Blanche en personne vient lui demander de retrouver un objet : la seconde Constitution des États-Unis d'Amérique, écrite par les Pères Fondateurs eux-mêmes, et qui ne peut être lue que par le président, le vice-président, et le chef de cabinet. Rien que ça. Pourquoi lui, qui n'est pas un grand détective? Parce que justement, si un problème arrive à quelqu'un, ce sera à McGill, et que la recherche de ce livre l'amènera dans ce qu'il y a de plus sale et trash dans l'Amérique puritaine. Son enquête le conduira aux quatre coin du pays, à rencontrer des personnages plus barrés les uns que les autres, aux déviances inimaginables, sur les traces de ce livre, à remettre en question l'évolution de la société.
"Vous savez ce qu'on ressent, quand on découvre huit mecs entre deux âges en pleine séance de sexe tantrique avec des autruches ?"
Ellis nous a habitué à des ambiances sombres, voir même glauques, remplies de violence. Qu'en est-il ici ? Derrière l'humour noir omniprésent, et le mauvais goût affiché, se cache une réelle réflexion. Ce récit n'est pas fait pour les âmes sensibles. On peut y trouver tout ce qu'il y a de plus glauque, des perversions insoupçonnées, le tout présenté le plus naturellement possible par le scénariste britannique. Plus on avance dans le roman, moins on s'étonne des situations que rencontre McGill. Les scènes s'enchaînent, peut être un peu trop rapidement, les personnages rencontrés et les déviances proposées faisant oublier rapidement les précédentes. Entre rires et recul de dégoût, le roman garde un rythme assez soutenu, et on sent que l'on à affaire à un scénariste de comics. Le récit n'est pas totalement linéaire, et décrit plus une galerie de personnages et situations sur lesquels se greffent le fil conducteur, plutôt que l'inverse.
Dans son roman, Ellis nous décrit l'envers du décor de l'Amérique puritaine, pleine de vices, et qui contraste avec l'image que l'on veut nous faire paraître. La quête de McGill nous amène au plus profond de ces différences et de ces paradoxes, faisant ressortir la réalité de cette nation, et faisant remettre en compte l'objectif même du héros : récupérer le livre qui supprimera tous ces "excès" hors normes dans la population, qu'il découvre lors de son périple, ces pratiques underground. Il nous dresse aussi un comparatif du mainstream/underground, avec une frontière plus mince que jamais. Qu'est ce qui est encore underground, ou ne l'est plus? Quel rôle jouent les médias et la vitesse de diffusion de l'information de nos jours? Habilement amenée, cette réflexion prend tout son sens dans le roman.
Pour un premier essai à l'écriture d'un roman, Warren Ellis s'en sort plus que bien. Malgré certains défauts, notamment sur la construction de l'intrigue qui tient plus de l’enchaînement de rencontre et de situations, il satisfera autant les fans de comics et lecteurs assidus du British, que les autres. Son style trash, bourrée d'humour noir, est parfaitement écrit.