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Edito #72 : Opposer pour mieux régner, un tour d'horizon du Versus

Edito #72 : Opposer pour mieux régner, un tour d'horizon du Versus

chronique

Il y a quelques mois, mon cher Republ33k vous confiait son point de vue et ses craintes quant à la sur-utilisation du « versus » entre super-héros, actuellement omniprésent dans leurs productions audiovisuelles. Que se soit au cinéma (avec Batman v Superman, Civil War et X-Men Apocalypse), à la télévision (avec Daredevil Saison 2) ou dans l'animation (avec Batman vs Robin et Justice League vs Teen Titans), les super-héros passent leurs temps d’écran à s’affronter entre eux. Une mode certaine, qui a ses raisons de revenir en force à notre époque et que l'on aurait trop vite fait de rejeter de manière primaire. Ce serait oublier que l'idée n'est pas de ce siècle, puisqu'elle fera sa première apparition dès les premières aventures de ces sur-hommes, au coeur de l'âge d'or. 


En effet, la tradition ne date pas de hier, puisqu'on en trouve les prémices dans les pages de Marvel Mystery Comics #8, dès 1940. À l’époque, Namor, roi des profondeurs, vient de faire son apparition et l’humanité a peur de ses pouvoirs. On lui demande alors de se mettre au service des Etats-Unis. L’atlante ne va évidement pas l’entendre de cette oreille et va vouloir détruire New York en représailles, entreprise néfaste que la Torche Humaine va alors essayer d'arrêter. A une époque où Hitler monte en puissance du côté de l'Allemagne et que le modèle capitaliste vient de connaître quelques turbulences en 1929, la dimension politique de ces publications est en effet omniprésente, malgré le fait qu'elles s'adressent en priorité aux jeunes enfants. D'ailleurs, la confrontation entre ces deux personnages durera deux numéros, avant que le scénariste ne demande directement aux lecteurs comment devrait se terminer le combat. Il leur coupe l'herbe sous le pied avec sa propre réponse, dans le numéro #10, qui sera celle de la paix, avec le personnage de Betty qui s’interpose pour que les deux héros se réconcilient et finissent par combattre côte à côte sur le front de la Seconde Guerre Mondiale.

Ce premier "versus" montre deux éléments, qui deviendront récurrents dans ce schéma narratif. Déjà, la confrontation est idéologique. Elle repose sur des divergences de points de vue et, dans le cas présent, découle d'une situation politique et d'un contexte qui attise les différences d'opinion. La deuxième est la forme de happy end proposée. En 1940, le fait de demander aux lecteurs comment devrait se finir le combat avant de lui offrir un match nul peut être perçu comme un propos moral de la part de l’auteur, s’adressant aux enfants pour leur dire « se battre ne mène à rien ». Seulement, avec le temps, il faut bien reconnaitre que la lecture d’un affrontement entre héros, à l’image d’un combat de boxe, sera bien plus motivée par la découverte de qui est le plus fort. Une logique enfantine, que va intéresser plusieurs auteurs.

Dans l’univers Marvel, l’opposition entre La Chose et Hulk est un classique, qui commence en 1964 avec Stan Lee et Jack Kirby jusqu'à avoir sa propre mini-série en 2004, par Bruce Jones et Jae Lee. Les deux héros étant caractérisés par leurs forces surhumaines, leur affrontement a fait naître bon nombre de fantasme parmi les lecteurs. Une logique qui peut finalement s'appliquer à toute la galerie de personnages aux pouvoirs surnaturels. Chaque héros ayant ses particularités et donc des fans différents, l’idée de les faire s’affronter en combat de boxe one to one a motivé bon nombre de projets, des plus simples (Wolverine vs Hulk) aux plus loufoques (DC vs Marvel). Une structure en forme de plaisir coupable, qui ne débouche pas forcément sur grand chose scénaristiquement et reste la facilité pour ce genre de rencontres.

S'il n’est pas motivé par le pur plaisir d’un combat entre deux forces de la nature qu’il faudrait départager, un duel de super-héros peut être créé de toutes pièces par la manipulation d’un super-vilain. L'idée a été de nombreuses fois reprises et parait comme la meilleure justification pour opposer deux personnes pourtant adeptes des même principes moraux. Encore tout récemment avec Batman v Superman, le modèle semble toujours aussi présent mais apparait tellement éculé qu'il perd en efficacité. Il reste pourtant la meilleure ficelle pour introduire un personnage dans l’univers d’un autre. Le meilleur exemple est à trouver dans les pages de Silver Surfer en 1969, où Loki arrive à convaincre Norin Raad que Thor est un dieu maléfique, et qu'il faut le détruire. Une confrontation entre deux univers cosmiques qui, une fois la supercherie révélée, se rapprochent et se retournent contre le dieu du mensonge. Classique, mais terriblement efficace de manière ponctuelle à une époque où les héros restaient le plus souvent dans leurs propres pages.

Évidemment, il existe des exceptions à ces différentes règles, comme l'opposition idéologique entre Frank Castle et Daredevil (parfaitement retranscrite dans la série de Netflix, d'ailleurs) ou encore entre Spider-Man et Wolverine (en 1987, dans un one-shot), témoins d'un renouvellement des artistes et de leur point de vue sur la société. Seulement, arrivé aux années 90, le rythme de ses combats fraternels chute et les héros se concentrent sur leurs nemesis et la lutte contre le mal, cristallisée par une époque qui voit le bloc américain triompher sur le communisme. On note cependant une mode des crossovers entre univers, où la logique de la manipulation se couple avec ce fantasme de voir le Punisher mettre la branlée à Batman, par exemple : tout est bon pour répondre aux fantasmes des lecteurs, en lieu et place d'un affrontement idéologique fort voire même d'une histoire tenue et cohérente. La logique devient ainsi quelque peu stérile.


Il faudra attendre le Civil War de Mark Millar pour radicaliser cette donne de manière spectaculaire et appuyer le sens, politique et symbolique, lié à l'opposition entre héros. Chez Marvel toujours, lorsque le crossover débarque en 2007, voilà plusieurs années que les héros sont soumis à rude épreuve. Et après une période de calme, Brian Michael Bendis va déconstruire petit à petit la quiétude qui a gagné les différents factions de héros avec House of M et Dissaembled, avant de les mettre face à leurs responsabilités. La Guerre Civile a en effet réveillé la dimension politique des héros, à une heure où le traumatisme du 11 Septembre est encore bien présent. Et les plonger dans un univers plus politique questionne forcément la figure même du vigilante et de leurs morales respectives. Cet event, le plus vendu et réédité des années 2000, lancera d'ailleurs une nouvelle vague de rencontres qui mettent en scène un affrontement idéologique comme Avengers vs X-Men et la question du phénix, ou encore le futur Civil War II et sa problématique à la  Minority Report.

Ainsi, les héros ne s’affronteraient plus pour savoir qui a la plus grosse ou parce qu’un méchant les y pousse, mais parce qu’ils sont y sont contrains par leurs idéaux et leurs désaccords philosophiques profonds. Toute la force du récit de Mark Millar et Steve McNiven est d'ailleurs de prendre racine à la fois dans un modèle de société proche de la nôtre et dans des dizaines d’années d’histoires pour des personnages aux caractères et idées bien définis avant de jouer sur leur étroite proximité. Un passé commun qui amène d’autant plus de tension que se sont d’ancien alliés qui encaissent les coups. Et en utilisant le backgroud posé par d'autres auteurs, les artistes ne font que décupler l'impact émotionnel de ces duels au sommet.


Si la logique manichéenne est légèrement nuancée dans l'œuvre de Mark Millar, elle semble bien moins subtile au cinéma. Après des années de films de super-héros, des Batman de Burton aux Spider-Man de Raimi en passant par Iron Man ou même Hellboy, Hollywood semble vouloir passer la seconde vitesse, cette année. Depuis quelques années déjà, avec Marvel Studios, une logique très comics, celle d’un univers partagé, s'est imposée à l'écran. Et il n'aura a pas fallu attendre longtemps pour que les versus emboitent le pas, finalement. Et là aussi, on retrouve les différents schémas déjà vus dans la bande dessinée américaine. Comme nous le disions plus haut, Dawn of Justice joue la carte de la classique manipulation avec Luthor, tout en étant pourtant motivé, dans sa production, par le fantasme de la rencontre entre deux héros parmi les plus populaires et iconiques du monde. Le prochain X-Men compte quant à lui introduire de nouveaux personnages, parmi lesquels le grand méchant Apocalypse qui va manipuler 4 mutants pour en faire ses Cavaliers. Même l'équipe des Avengers, grande réunion des héros Marvel Studios, ne fait pas exception à la règle puisqu'elle a commencé par se mettre sur la couenne il y a un moment, manipulée par Loki. Une grande partie de ses membres se retrouvera dans Captain America : Civil War, pour un affrontement fratricide et idéologique comme peu en ont proposé au cinéma. Et pour cause : le background ciné est beaucoup moins conséquent qu'en comics. Là où le troisième Captain America va reprendre la question politique et cette opposition SHIELD/Rebelles, il na pourra pas avoir l'ambition d'adapter sa version BD tant ses nombreux personnages en comics ne véhiculent pas le même vécu. Pourtant, avec l'interprétation stellaire de Steve Rogers par Chris Evans depuis Captain America - The First Avenger, une fin dramatique du même ton pourrait bien donner un coup dans l'arrière-train des adaptations hollywoodiennes, en manque cruciaux d'enjeux ces dernières années.

C'est bien là, à mon sens, le piège du versus. Vouloir mettre en scène l'affrontement entre deux héros peut toujours se révéler intéressant pour peu qu'il apporte une originalité ou un véritable enjeu qui donnera une autre lecture à la conclusion que le simple fait de départager deux fiches de personnages. Seulement, c'est bien cette logique manichéenne - qui arrange bien le marketing, qui peut diviser ses personnages en deux #team bien distinctes - qui semble avoir gagné à Hollywood et qui donne cette image lassante au versus. Finalement, le problème ne vient pas tant de l'idée en elle-même que de ce que l'on en fait et ce que l'on raconte derrière.

AntoineBigor
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