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Édito #64 : le "versus", l'indémodable histoire des super-héros

Édito #64 : le "versus", l'indémodable histoire des super-héros

Chronique

Ca ne vous aura pas échappé : trois des plus gros films de l'année sont des films adaptés de comic books. Mais à la rigueur, on pouvait en dire autant des années précédentes. Ce qui est en nouveau, en revanche, c'est que ces trois films, que sont Batman v Superman pour Warner Bros, Captain America : Civil War pour Marvel Studios et X-Men : Apocalypse pour la 20th Century Fox gravitent autour du même thème : une lutte intestine opposant deux héros, ou deux groupes de héros. Hasard de calendrier ou tendance persistante pour le genre ? C'est toute la question du jour.

Une fois n'est pas coutume, revenons un peu en arrière. Même carrément en arrière, en utilisant l'analogie selon laquelle les super-héros que nous aimons tous sont en fait l'équivalent, dans la culture américaine, de notre mythologie gréco-romaine. Mais laissons de côté la pertinence de cette comparaison pour mieux plonger dans ses aboutissants : comme vous l'avez sans doute entendu ou lu durant votre scolarité, les mythologies grecque et romaine sont pleines à craquer de querelles divines, de luttes intestines entre dieux jaloux ou possessifs, et d'histoires de vengeance particulièrement sanglantes. Et si les super-héros sont bien les héritiers des dieux gréco-romains, il ne serait pas étonnant de retrouver chez eux des affrontements internes et violents. Et pour le coup, nous avons presque un siècle d'histoire des comics pour nous le confirmer : les super-héros aiment se mettre sur la tronche.

Dans la mythologie, toutes les effusions de sang et autres machinations que nous avons pu mentionner servent à souligner l'hubris si caractéristique des dieux, et ainsi, explorer leur délicate psychologie. Si on poursuit la comparaison, on peut en dire autant des super-héros. Les événements de Justice League : La Tour de Babel (dont le titre est mythologique d'ailleurs) soulignent ainsi la complexe paranoïa d'un Batman, là où le crossover Civil War et son adaptation sur grand écran mettent quant à eux l'accent sur ce control freak de Tony Stark. L'affrontement entre les super-héros n'est donc pas (toujours) gratuit. Comme c'est le cas dans les mythes, il sert à développer des personnages, qui sans ces oppositions régulières, seraient sans doute plus ennuyeux.

Ce qui nous mène directement à l'idée suivante : faire s'affronter entre eux des super-héros, qui pour la plupart incarnent le bien avec un grand "B", a quelque chose de savoureux. Pour ne pas le dire autrement, opposer nos héros entre eux tient du fantasme de l'interdit. Un plaisir transgressif, dans lequel la moindre mandale peut vous arracher un petit cri. Il suffit de jeter un œil aux nombreuses cases étant devenues cultes dans lesquelles Batman terrasse Superman pour s'en convaincre. Ou plus récemment, d'observer les réactions des fans devant la nouvelle réplique iconique de Tony Stark, lâchée dans l'adaptation cinématographique de Civil War :

En faisant s'affronter les super-héros, on s'encanaille, quelque part, avec l'impossible. Ce qui rend le concept de versus - qui donne à cet édito son titre - tout à fait addictif, non seulement pour les lecteurs, mais aussi pour les créateurs, par essence fascinés par les challenges et la nouveauté. Seulement, et comme la comparaison avec la mythologie le souligne, cet affrontement est vieux comme le monde, et donc forcément usé.

On le remarque assez bien du côté des comics books, sans même parler de leurs adaptations au cinéma. Prenons par exemple le poncif selon lequel une équipe de super-héros commence toujours par s'affronter avant de se former. C'est de la cas dans le premier numéro de la Justice League des New 52 (par Geoff Johns et Jim Lee) comme dans le film Avengers (de Joss Whedon), par exemple. Une utilisation très pratique des affrontements entre super-héros, qui est d'ailleurs encouragée par le format des comic books mainstream, généralement plus tournés vers l'action que vers la psychologie des  personnages ou les couches de l'intrigue.

Il n'est pas nécessaire de citer d'autres exemples : je parie que vous en avez déjà des dizaines en tête. Ils témoignent tous d'une chose : ce concept est populaire au sein du genre super-héroïque, et ce, depuis ses débuts. Reste à savoir s'il a encore quelque chose à dire, aujourd'hui. Pour le coup, on considère volontiers que le Civil War de Mark Millar marque l'entrée des comic books dans l'ère post-11 septembre, avec une intrigue et des enjeux intimement politiques, notamment. Dans son histoire, Millar avait donc redonné un sens à cet archétype narratif bien connu des fans de super-héros. Son versus, tout en conservant une sacré dose de spectacularité, avait un sens, et qui plus est, des conséquences.

Car c'est bien tout le problème avec ce retour en force soudain du versus : il se fait dans une époque qui est quelque part redevenue insouciante, et dans laquelle le spectacle l'emporte toujours plus sur le sens. Et j'ai bien peur que 2016 ne vide ces affrontements de toute leur substance. Par le nombre, tout d'abord. Récemment, on a pu énumérer des dizaines de titres portés sur un versus, dans lesquels le concept apparaît même parfois explicitement : Batman v Superman, Batman versus Robin, Justice League vs Teen Titans, X-Men : Apocalypse (le vilain incarné par Oscar Isaac fera s'affronter les mutants entre eux), Captain America : Civil War, Civil War IIDaredevil saison 2 (décrite par son showrunner comme "Daredevil vs The Punisher") et bien d'autres que je ne listerai pas, par respect pour votre confort de lecture.

Pour reprendre l'exemple précis de Batman v Superman : si je me réjouissais il y a quelques mois de voir Warner Bros et Zack Snyder faire s'affronter deux de mes héros favoris, je meurs depuis à petit feu devant une promotion qui ne sait pas quoi faire de cette opposition aussi iconique que lourde de sens. Et si je ne peux pas m'engager sur la qualité du film, je crains qu'il ne fasse passer à la trappe toute la puissance de cette affrontement, au profit de la construction à la va-vite d'un univers partagé et des sirènes du (trop grand) spectacle. Et pour ne pas faire de jaloux, je pourrais également taper sur Captain America : Civil War, qui a de grandes chances d'être aseptisé de son contenu politique et de ses enjeux pour les besoins de la machine Marvel Studios.

Mais puisque l'état des films de super-héros n'est jamais que le reflet de la santé du marché des comics, on ne s'étonne plus de trouver, dans les fascicules qui sortent chaque mois dans les comics shops, de trop nombreux affrontements entre super-héros, qui sont devenus la formule la plus pratique de l'industrie pour gonfler les titres en enjeux et donc, en intérêt. En témoigne la fin d'un Spider-Man #1 sur lequel je me suis arraché les cheveux. A croire qu'il suffit de se servir des personnages de la maison des idées comme d'action figures se mettant sur la tronche pour être scénariste dans les big two de nos jours. Mais à l'heure où des tentpoles s'apprêtent à brasser des millions de dollars en opposant nos héros favoris, pourquoi les auteurs devraient-ils se prendre la tête, après tout ?


Il y a de bonnes raisons pour que cette notion de versus traverse toute l'histoire du genre super-héroïque, voire toute l'histoire de la fiction, si on se réfère à son socle immuable qu'est la mythologie. Elle assure un quotient de spectacle et de psychologie non négligeables, et peut servir de réservoir à bien des réflexions, comme celles, politiques, d'un Civil War. Elle peut également satisfaire les fantasmes des créateurs et de leurs lecteurs ou encore mettre les sempiternels vilains sur le banc de touche le temps de quelques numéros. Il y a mille façons d'utiliser ce concept pour servir une bonne histoire. Hélas, le versus est devenu, popularité exponentielle des super-héros oblige, un prétexte scénaristique, aussi fainéant qu'agaçant, que des films comme Batman v Superman, Captain America : Civil War ou X-Men : Apocalypse pourrait bien couronner comme tel. Mais j'espère encore me tromper.

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Republ33k
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