Devenues un phénomène global, les adaptations de super-héros sur grand écran dépassent depuis quelques années déjà le strict cadre des fans de comic books. Si d'aucuns voient dans cet élargissement une perte en qualité et en identité, j'y vois l'occasion pour l'une de mes passions de gagner en popularité. Certes, il y a aura toujours quelques haineux pour regretter que Rocket Raccoon ou Groot soient devenus des icônes, mais il semblerait que, dans l'ensemble, nous soyons plutôt ravis de parler de tels personnages avec notre voisin, notre collègue ou notre camarade de classe. Cependant, comme on pouvait s'y attendre, cette démocratisation entraîne quelques phénomènes déplorables, dont celui qui m'intéresse aujourd'hui : le fait que les films de super-héros soient de moins en moins mystérieux, pour les fans comme pour les amateurs.
Je m'explique : je ne connais pas l'exact lien de cause à effet qui relie la popularité grandissante des films de super-héros à leur manie de livrer toujours plus d'informations sur eux-mêmes, si ce n'est la surpuissance du sacro-saint biff. On pourrait d'ailleurs douter de l'existence d'un tel lien, car après tout, Hollywood a tendance à en montrer toujours plus. Seulement, depuis quelques mois maintenant, la communication qui accompagne les films de super-héros semble avoir muté. Comme si ces derniers, dorénavant reconnus par tous, critiques, industriels et spectateurs, avaient pris la grosse tête.
Un bel exemple : le dernier trailer d'Avengers : Age of Ultron. En prenant en compte le nombre de nouvelles images vues dans cette bande-annonce et sa date de publication sur la toile, on peut affirmer sans trop de risques qu'il s'agit du trailer final pour le prochain film de Joss Whedon. Et ici à la rédaction, la bande-annonce ne nous a guère parlé. Mais nous nous sommes consolés en comprenant les besoins d'une production énorme comme Avengers : Age of Ultron. Pour faire son milliard, le film va devoir séduire bien plus que les fans de comics et les amateurs de Marvel Studios. Il faudra un maximum de monde sur le quai. Seulement, quand on regarde de plus près le trailer, on peut se poser plusieurs questions.
Tout d'abord, est-ce qu'une franchise aussi énorme qu'Avengers a besoin d'un trailer final à ce point dopé de nouvelles images ? On parle d'un titre qui a rassemblé plus d'un milliard de dollars au box-office mondial, qui s'auto-alimente avec ses stand-alone, comme Iron Man 3, dont les recettes ont aussi dépassé ce cap symbolique. En étant un petit peu mauvaise langue, je pourrais donc dire qu'il suffit d'un"2" derrière le "Avengers" pour renouveler l'exploit. Mais qu'à cela ne tienne, Disney est prudent, et n'a pas racheté Marvel pour brasser des billets violets dans le vide. Un trailer plein à craquer de nouvelles images donc. Et quelles sont-elles ?
On peut les regrouper en deux catégories. La première, c'est ce que j'appellerai "la caution Michael Bay" : des buildings qui s'écroulent, des fenêtres qui cassent, des explosions, des punchlines et si possible quelques plans sur la nana sexy de la bande. Tout ça est effectivement dans le trailer, et tout ça devrait parler à un public forcément plus large que celui de Comicsblog. Mais là où ça coince, c'est qu'on ne peut pas dire que les précédents trailers étaient avares en "Boom" et en "Splashs" : on voyait déjà, par exemple, Hulk se mettre sur la tronche avec Iron Man.
Ce qui nous mène à la deuxième catégorie, le fan service. Plus de Hulkbuster, les premiers plans de La Vision. Voilà deux exemples. Or pourquoi nous révéler, à nous autres fans, ce genre de choses ? Nous sommes déjà à bord du mothership Marvel Studios, nous avons déjà acheté nos tickets. Pourquoi donc insister sur ces nouvelles images qui sont essentiellement destinées aux fans, qui sont de toute évidence déjà prêts à voir le film deux fois le jour de sa sortie ? Mystère. De la même manière, on regrette que des plans emblématiques comme celui où mes Vengeurs bondissent sur l'ennemi soient déjà dans le trailer. D'une part parce que les découvrir au cinéma aurait été génial. D'autre part parce qu'en les diffusant sur internet, ces plans se voient décortiqués et analysés, et donc démystifiés. Sale constat pour des images qui ont du demander à Whedon et ses équipes des semaines de travail.
Autre exemple de cette course à l'armement médiatique (la métaphore avec la guerre froide pourrait continuer dans un affrontement entre le modèle Marvel Studios et le modèle Warner Bros) : les annonces faites en fin d'année dernière quant aux futurs films de super-héros. Nous savons désormais tout ce qui nous attend (ou presque) pour les cinq prochaines années de ce côté-là. Sur le moment, quelle claque, mais désormais, on se dit que ces cinq années vont être sacrément longues, à quelques ajustements près. Pour tout vous avouer, j'étais déjà lassé par ce statu-quo avant l'arrivée de Spider-Man chez Marvel Studios, qui m'a donc doublement ravi. Etait-il nécessaire d'annoncer toute une phase, d'un bloc, chez Warner Bros comme chez Disney ?
Honnêtement, j'en doute, et cela va même à l'encontre de la démarche qu'essaie de bâtir Marvel Studios depuis des années maintenant. Comme l'a si bien dit Sullivan lors de l'une de nos nombreuses conversations de 18 à 19 heures, Marvel Studios est devenu une sorte de bien commun, auquel nous participons tous en suivant les nouveautés et les changements dans la construction de cet univers. Or annoncer toute une phase, un plan quinquennal (décidément, la métaphore persiste) c'est dicter la conduite de millions de fans. Certes, dans les faits, nous ne dirigions pas la barque, mais j'aime à croire que des annonces lors de grands rendez-vous comme la San Diego Comic Con ressemblaient plus à une collaboration qu'à une décision business. Bien qu'à ce titre, il faut le rappeler, Marvel Studios a au moins eu le mérite de ritualiser l'événement et de livrer de vraies informations (Chadwick Boseman en Black Panther, les logos des films etc) là où Warner s'est contenté de confirmer un powerpoint présenté à ses actionnaires.
Malheureusement, dans un cas comme dans l'autre, le constat reste le même. Là où nous partions en voyage tous les ans pour de nouvelles destinations, nous voilà embarqués dans une longue croisière de cinq ans dont nous connaissons déjà toutes les escales. Et les effets de cette communication se font déjà sentir : Marvel Studios sera aux abonnés absents pour la prochaine San Diego Comic Con, alors que Kevin Feige et ses troupes auraient pu soutenir ce pauvre Ant-Man une semaine avant sa sortie. Certes, cette absence est sans doute liée à l'immense porte-feuille de licences de Disney, qui doit sans doute promouvoir Star Wars, et laissera la place à d'autres candidats comme Legendary et son Warcraft : mais on y voit déjà les limites de ce combat médiatique remporté à coups d'uppercuts.
Plus de photos, plus de petites annonces, de mystères, de bruits de couloirs entendus lors d'une convention. Resteront des opérations coup de poing et des annonces grosses comme un Hulk enragé. Un manque de subtilité déplorable, et la fin d'un jeu qui était disputé avec les fans. Et c'est peut-être cette mutation médiatique, bien plus que le genre lui-même, qui signera l'explosion en vol des films super-héroïques déjà tant décriés à l'heure où j'écris ces lignes. En cinq ans, 40 films et des centaines de trailers, l'indigestion a toutes les chances de frapper le public. Et ce malgré notre appétit gargantuesque.