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Édito #33 : Ô continuité, ma mal-aimée

Édito #33 : Ô continuité, ma mal-aimée

Chronique

« J'aimerais bien me lancer dans les comics, mais je ne sais pas par où commencer. Tu peux me conseiller ? ». Voici une question que la plupart des fans de comic books ont au moins entendu une fois dans leur vie. Cela arrive souvent quand on est étiqueté "lecteur de comics" d'un groupe social quelconque, et que quelqu'un a le malheur de s'intéresser à notre passion. Et c'est une question qui fait écho à un problème sous-jacent des univers de comic-books, auquel tout le monde ici a dû se confronter un jour (et si vous aviez l'âge de lire Action Comics #1 en 1938, pardonnez-moi pour l'affront). Je parle bien entendu de la continuité.

Voilà que le gros mot est lâché, et que le diable sort de sa bouteille. La continuité est un élément majeur des univers de comic books, principalement chez Marvel et DC Comics qui voient leurs univers exister depuis des décennies, et doivent s'adapter pour faire rentrer, ou au contraire exclure des événements apparus dans leurs publications. On en a déjà parlé ici, et on en parle chaque fois que tel ou tel arc vient apporter ce qu'on appelle une retcon. Pour ceux qui ne sauraient pas de quoi on parle, il s'agit en fait de retroactive continuity, ou « continuité rétroactive » en français. Concrètement, un fait passé est mentionné dans un comic book de 2015 qui vient soit changer ce qui était dit jusqu'ici, soit éclaircir une zone d'ombre qui n'avait pas été traitée jusqu'ici.

La retcon peut être active pour les personnages, c'est à dire qu'ils découvrent comme le lecteur que des événements passés ne sont pas ce qu'ils pensaient, ou passive, c'est à dire que pour les personnages ce fait a toujours été établi. Prenons des exemples contemporains. Actuellement, Wanda et Pietro Maximoff découvrent que Magneto n'est finalement pas leur père (ce qui a l'époque était déjà une recton) : nous avons affaire à une retcon active. Et un exemple parfait de continuité passive serait la guerre pendant laquelle Tony Stark a originellement été blessé. À sa création, il s'agissait de la guerre du Vietnam. Aujourd'hui il s'agit de la guerre en Afghanistan, et il y a quelques années encore, on parlait de la première Guerre du Golfe. Tout ceci à cause de la continuité glissante.

Car oui, pour pouvoir garder les mêmes personnages qui ne deviennent pas des grands-pères pendant des décennies, leurs origines se doivent de « glisser » sur le fil du temps. C'est principalement le cas chez Marvel qui n'a jamais vraiment rebooter son univers, mais aussi chez DC Comics qui a eu le droit à quelques reboots. Je me souviens il y a quelques années avoir lu que sept années de publications correspondent environ à un an dans un univers de comic-books. Cette statistique était probablement tirée du chapeau, mais elle n'en demeure pas moins parlante pour le lecteur. C'est ce qui permet aux personnages de ne pas vieillir, mais paradoxalement, cela implique que des personnages comme Batman ou Spider-Man vivent des dizaines, voir des centaines d'aventures à l'année, lesquelles s'étendent parfois in historia sur plusieurs semaines ou mois. Vous l'aurez compris, on se trouve face à un paradoxe inextricable.

Il y a une dizaine de jours, Scott Snyder nous confiait qu'il avait écrit Batman Zero Year parce qu'il en avait envie, mais qu'au fond de lui, il respectait toujours le Batman Year One de Frank Miller et le considérait comme canonique, lui qui considère son travail actuel comme "son univers personnel". Une déclaration très sincère, mais étrange de la part du responsable du batverse. En effet, les fans peuvent parfois être très sensibles à la continuité de leurs œuvres préférées, et aller faire une retcon sur Batman Year One avait valu à Snyder quelques messages qu’il est préférable de taire. D’un autre côté, dans une dualité qui nous est propre, nous savons aussi faire abstraction de ce qui nous arrange. Le bouclier holographique de Captain America n’a bien entendu jamais exister (même si Rick Remender finira par nous le ressortir pour jouer avec nos nerfs). Alors comment un scénariste si important peut-il faire fi si facilement de ce qui l’a précédé ?

La réponse nous est probablement arrivée vendredi dernier, via un communiqué de DC Comics concernant son grand renouveau qui apparaîtra au mois de juin. Dedans, deux déclarations sont très importantes. La première : « Que vous soyez un fan récent ou de longue date, en juin il y aura un titre pour vous ». Et la seconde, encore plus claire : « Dans cette nouvelle ère créatrice, l'histoire primera sur la continuité, alors que nous continuons à donner toujours plus de pouvoir aux créateurs pour raconter les meilleurs histoires de l'industrie ».

Comme précisé plus haut, Marvel n’a jamais vraiment rebooté son univers, mais a par contre créé des univers alternatifs, vivant en parallèle ou en remplacement temporaire de ce qu’on appelle communément l’univers 616. L’univers Ultimate était par exemple la porte d’entrée parfaite pour les nouveaux lecteurs des années 2000. Mais de son côté, DC Comics a un passif très lourd avec sa continuité et ses univers parallèles. Existant depuis plus de 75 ans, l’éditeur a vu plusieurs époques se succéder dans ses publications, qu’il a fini par voir comme des univers parallèles pouvant éventuellement se rencontrer. Dans les années 80, une grande Crise (Crisis on Infinite Earth) venait détruire ce multivers pour donner une seule ligne temporelle officielle, mélangeant des morceaux des anciens univers. Mais plus complexe qu’il n’y paraît, ce multivers est revenu à travers de multiples Crises (Infinite Crisis, Final Crisis, etc.). En 2011, Flashpoint venait modifier presque à jamais l’univers DC pour créer les New 52, un nouveau reboot qui gardait une certaine partie de la continuité, et la réinventait en même temps.

Premier signe d’une continuité fluctuante, les New 52 ne clarifiaient pas tout à l’époque, et les paradoxes se sont vite faits voir. Si les nouveaux lecteurs étaient aux anges devant ce point d’entrée qui leur était offert, les anciens lecteurs ont souvent montré les dents devant certains changements ou la disparition de personnages chéris. Et DC Comics en a vite pris en compte les remarques sans trop savoir quoi en faire. Où sont Wally West et Donna Troy ? Tim Drake a-t-il été Robin ? Tant de questions presqu’insolubles pour les créateurs qui ont parfois du écrire desretcon sur leurs propres séries quelques mois après les avoir écrits (on se souvient justement du cas de Tim Drake qui n’était plus Robin une fois en TPB, alors qu’il l’était encore à l’époque des premiers singles Teen Titans).

En avril et en mai prochains, DC Comics profite de son déménagement pour se caler un événement bouche-trou en forme de cadeau aux fans de la continuité. Les anciennes réalités correspondant encore aux vieilles continuités existent encore, et on va pouvoir en lire des morceaux pendant deux mois. Mais avec ce renouveau de juin, c’est encore un autre message que DC cherche à faire passer : à bas la continuité qui restreint et musèle les auteurs, la créativité primera désormais sur la logique absolue d’un univers qui de toute façon ne pourra pas l’être. Qu’est-ce que cela veut dire ? Peut-être qu’un auteur ne sera pas obligé de s’infliger pendant six mois les événements contraignants d’une autre série. Peut-être que si quelqu’un souhaite que Tim Drake ait été Robin, il pourra l’utiliser ainsi. Peut-être que Stephanie Brown aura été Batgirl.

Pour le moment aucune précision n’est donnée et seule une promesse est faite, celle de nous offrir de belles histoires. Et si pour cela on doit parfois accepter des incohérences, ce qu’on avait de tout façon pris l’habitude de faire, alors pourquoi pas ?

Illustration de l'auteur
Manu
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