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Les travailleurs de l'ombre : les traducteurs, avec Edmond Tourriol

Les travailleurs de l'ombre : les traducteurs, avec Edmond Tourriol

InterviewDelcourt

Premier numéro de notre focus sur ces "métiers de l'ombre", qui devrait mettre en scène plusieurs traducteurs, éditeurs, coloristes, encreurs, lettreurs au fil des semaines (il se pourrait même qu'on y revienne lors d'un podcast), notre route s'est arrêté au stand traducteur où Edmond Tourriol, traducteur officiel de Robert Kirkman et habitué de la maison Delcourt, a accepté de répondre à nos questions.
La suite se découvre par ici, toujours est-il qu'aborder les Comics avec ceux qui les font sans être crédités sur la couverture est vraiment très enrichissant, la preuve :

Salut Edmond et bienvenue sur COMICSBLOG.fr, pour commencer, peux tu te présenter brièvement à nos lecteurs?

Salut Sullivan. Eh bien, j’aime les comics de super-héros. Les types musclés qui mettent leur slip par-dessus de la pantalon, tout ça. J’ai appris à lire dans Spécial Strange. Mon tout premier, c’était le n°14. J’ai toujours voulu travailler dans les comics, d’une manière ou d’une autre. Et ça fait dix ans qu’on me paye pour ça !
En dehors de mon activité de traducteur de comics de l’anglais vers le français, je suis scénariste de BD, voire de manga. Et aussi lettreur. Avec des collègues, on a formé MAKMA, un studio qui propose toutes les activités qui existent dans le milieu de la bande dessinée.

- Peux tu nous expliquer ton procédé de traduction, de "A à Z". Par quoi commences-tu et comment se finit-il?

Je commence par lire le comic book. Souvent, c’est une série que j’achète déjà en V.O. donc je n’ai pas besoin de me forcer. Je pense à Invincible ou Walking Dead, par exemple. Ensuite, j’attaque la traduction « au kilomètre » sans m’arrêter sur les questions ou les doutes. À chaque fois que je ne suis pas sûr de mon coup, je mets un coup de surligneur sur mon texte, pour ne pas le rater à la relecture.
Quand j’ai fini le bouquin, justement, j’effectue une première relecture orthographique, puis une seconde relecture pour le style ou la cohérence. Genre « est-ce que le curé tutoie ou vouvoie Dieu ? » ou « machin, là… c’est quoi déjà, son tic de parole en VF ? ».
Enfin, je regarde les points difficiles qui nécessite que j’aille faire des recherches, les fameux textes surlignés. Là, je passe parfois plusieurs heures sur Internet à recouper des infos afin de trancher. Parfois, il me suffit de piocher dans la bibliothèque de mon bureau pour trouver l’information qui me manque.

- Ce n'est plus une légende, les lecteurs V.O aiment pester contre les traductions VF. Penses tu qu'une Version Française puisse être à la hauteur du matériel original?

Bien sûr. Il arrive même qu’elle soit meilleure. Je ne donnerai pas de nom mais je connais quelqu’un dont c’est la spécialité.

- Quels sont, selon toi, les ingrédients d'une bonne traduction?

Un bon français, de bons dialogues, des références bien retranscrites (avec un équivalent crédible). Sans une bonne culture comics, surtout dans les super-héros, on risque l’accident.

Les comics qui se veulent dans l'ère du temps regorgent souvent de références culturelles, qui ne sont pas forcément partagées par les lecteurs français (présentateurs télé, textes de lois locaux, culture pop, ...). Comment gères-tu ces références ?

Si nécessaire, je remplace par quelque chose de plausible qui fera "couleur locale". Mais jamais par quelque chose de franchouillard. Si l'histoire se passe à New York, elle ne doit pas sentir le cassoulet. Et j'évite les notes en bas de page, je laisse ça aux trouducs qui ne sont pas capables de faire la différence entre adaptation et traduction servile.

 

(attention, question compliquée)

Certaines subtilités apparaissent parfois dans les comics, jouant sur les genres des noms ou les synonymes. Pour prendre un exemple télévisuel récent, la série Fringe jouait l’an dernier sur un personnage mystérieux nommé “the secretary”, que l’on pouvait traduire par “secrétaire”, mais qui finalement s’est avéré être “ministre”. Généralement seul l’auteur et les éditeurs savent de quoi il en retourne quand ils jouent avec ces subtilités, mais te donnent-ils des indices pour que tu conserves une cohérence entre différents volumes ?

 

(attention, réponse simple)

Non.

...

 

Bon, je développe. En général, le traducteur doit se démerder tout seul avec sa boule de cristal. La seule solution, c'est de tout lire en avance. Mais quand on colle au cul de la publication US, laisse tomber. Tu peux essayer de contacter l'auteur lui-même... mais avec Kirkman, laisse tomber. Le temps qu'il devienne mon ami sur Myspace, la plateforme était tellement has-been que j'avais peur d'y croiser ma grand-mère.

Voilà.

- Question indiscrète, peut-on vivre de la traduction de Comics aujourd'hui avec l'état du marché ?

Oui, c’est possible. À une époque, je gagnais bien avec la traduction. Beaucoup moins aujourd’hui, mais c’est aussi parce que j’ai développé d’autres activités en tant que scénariste, lettreur, voire conférencier ou animateur d’atelier BD.
Je connais du monde qui gagne sa vie rien qu’avec la traduction. Mais dans le milieu des comics, ça m’étonnerait que tu trouves dix personnes en France qui ne vivent que de la traduction. Il n’y a pas assez de travail !

- Tu es traducteur "officiel" de Robert Kirkman, c'est un choix de ta part ou c'est quelque chose qui s'est fait avec le temps à force de projets?

Un peu des deux. En étant lecteur de ses séries, je me suis positionné dès le début comme un spécialiste quand je me suis porté volontaire pour traduire Walking Dead et Invincible chez Semic, il y a longtemps. Ensuite, Thierry Mornet m’a fait confiance quand il a repris ces deux titres chez Delcourt.
De mon côté, j’ai tout fait pour cultiver cette étiquette et je suis bien content que Thomas Rivière en rajoute une couche pour le deuxième tome de Wolf-Man. J’aurais bien aimé faire Haunt, aussi, mais bon, on ne peut pas gagner à tous les coups, hein ?

- On s'écarte un petit peu du sujet de la traduction, mais que penses tu de l'état des Comics en France aujourd'hui? Certains parlent d'un état des lieux pas reluisant, peu de nouveaux lecteurs, peu de lectorat globalement...

Alors, c’est difficile à dire. Il y a beaucoup de jeunes enfants qui aiment les super-héros. Mon fils aime bien Spider-Man, Batman ou Iron Man, par exemple. Il achète de temps en temps quelques magazines de Spidey avec son argent de poche. Malgré tout, je ne sais pas si le passage de l’écran au kiosque est aussi naturel qu’autrefois. Quand j’étais petit, on n’avait pas de magnétoscope, à la maison. Si je voulais avoir ma dose de l’Araignée, il fallait que je mate les aventures hebdomadaires de Pierre Par-cœur au moment où elles étaient diffusées. Ou alors que j’achète Strange « le journal de Spider-Man ».

Aujourd’hui, tu peux voir Spidey sur Youtube, tes parents peuvent le télécharger illégalement, ou même avoir un coffret DVD pour quelques euros… Le besoin de lire n’est plus le même. Le lectorat est forcément vieillissant mais c’est la conséquence de deux monopoles en enfilade (Semic, puis Panini), avec des preneurs de décision qui n’ont pas su renouveler leur base.
Maintenant, faut pas s’en faire, il y aura toujours un éditeur pour vous vendre Spider-man, les X-Men ou Batman. Ce n’est pas une question d’argent : ces séries sortent aussi dans les pays pauvres. Après, c’est pour les autres séries que ça peut coincer, si le lectorat manque. C’est là que les éditeurs « hors monopole » interviendront.

Dernier arrêt au stand avec notre tradition, le tac-o-tac : 

1) Marvel ou DC?

Marvel. J'ai grandi avec Strange et Spécial Strange. J'ai appris à lire avec les X-Men. Mon premier amour, c'était Jean Grey !

2) Stan Lee ou Jack Kirby?

Stan Lee. On dira ce qu'on voudra, ses qualités de meneur d'hommes, de dialoguiste et de commercial font qu'il est un modèle pour moi, aujourd'hui encore.

3) Superman ou Captain America?

Cap... mais c'est vraiment parce qu'il faut choisir. Cap a eu de bonnes périodes. Il a fait de bon choix politiques. Mais je n'aime pas trop le A sur son front. Superman, il a eu de bonnes périodes aussi. De chouettes films que j'ai vu au cinéma quand j'étais petit. Je l'ai longtemps traduit, aussi. Mais bon, il aurait dû se présenter contre Nixon, quoi.

4) Frank Miller ou Mark Millar?

Mark Millar. Lui, il me fait marrer. Et même si tous mes potes se foutent de sa gueule, c'est aussi un modèle.

5) Golden Age ou Silver Age?

Silver Age. J'ai que 37 ans, hein...

6) Ton adaptation cinéma préférée?

Le dernier Dark Knight par Chris Nolan. Carrément un des meilleurs films que j'ai vus de toute ma vie.

7) Ton artiste préféré?

Artiste dans le sens "dessinateur" ? Dans les comics ? Difficile à dire. Au risque d'enfoncer une porte ouverte, je dirai Jim Lee. Mais bon, je n'achète pas mes comics pour leur dessinateur. Il y a plein de Jim Lee que je n'ai pas dans ma collec. Surtout les plus récents.

8) Le travail dont tu es le plus fier?

En tant que traducteur, sans hésiter, le crossover Avengers / JLA. Une multitude de personnages qui me faisaient rêver quand j'étais gosse, chacun parlant avec la voix que j'entendais en lisant leurs aventures. Un travail de dingue pour respecter chaque registre de langage. Il me fallait plus d'une semaine pour un épisode. Mais au final, il y a toujours des lecteurs qui m'en disent du bien, des années plus tard. En tant que scénariste, je suis très fier de "Morsures", une BD fusion entre comics et manga, à base de vampires et de loups-garous. On en reparle quand elle sort ?

 

Bien sûr qu'on en reparle quand elle sort, avec plaisir ! Merci à Ed' pour sa disponibilité, sa rapidité, sa franchise et son humour ! Au risque de me répéter, évoquer les coulisses des productions que nous lisons à l'année avec les gens qui les font est toujours franchement enrichissant, d'autant plus avec le métier de traducteur qui peut résulter du meilleur comme du pire en VF, mais ça on y reviendra dans un podcast très bientôt ! Pour finir, vous pouvez aller faire un tour sur le site/blog d'Edmond Tourriol, suivez le guide : C'est par là ! Vous pouvez même vous abonner au flux RSS du sieur Tourriol, par ici

Sullivan
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