
C'est la fin d'un feuilleton dramatique qui se sera joué tout au long de l'année, à commencer par l'appel de centaines d'autrices et d'auteurs de ne pas aller à l'édition 2026 du Festival International de la Bande Dessinée (FIBD) d'Angoulême, en conséquence d'une longue enquête de L'Humanité qui révélait un grand nombre de dysfonctionnement lié à la gestion de la société 9eArt+ du festival. Tout s'est accéléré depuis le 8 novembre quand, malgré les appels de l'inter-profession, la présidente de l'Association du FIBD, Delphine Groux, se jouait de tout en reconduisant 9eArt+ à l'organisation du Festival passé 2027, et en demandant à sa rivale historique, la Cité International de la Bande Dessinée et de l'Image (CIBDI), d'échaffauder en commun un projet en seulement douze jours. Depuis, les appels au boycott se sont étalés à l'ensemble des autrices et auteurs, ainsi qu'aux maisons d'éditions, qui n'ont pas vraiment eu d'autre choix que de s'aligner, avec la perspective de voir leurs stands désertés.
Même si les pouvoirs publics, face à la crise, ont tenté de reprendre les choses en main pour que 9eArt+ et Delphine Groux soient écartés du FIBD dès 2027, l'édition 2026 du festival restait sous la coupe de la première - ce qui ne restait pas acceptable pour la profession. Selon un long récapitulatif de Libération, qui précède un communiqué de presse à venir du SNE (syndicat national de l'édition), le verdict est désoramis rendu : il n'y aura pas de FIBD en janvier 2026.
En parallèle du communiqué du SEA (syndicat des éditeurs alternatifs) que nous relayions hier, deux communiqués de presse de la part du groupe SNAC BD et de l'inter-orga de la bande dessinée (STAA CNT-SO) actait d'une même décision pour les autrices et auteurs : celle de ne pas aller au FIBD 2026, attendu que 9eArt+ en restait l'organisatrice, et ce même avec la "mise en retrait" de Frank Bondoux.
"La refonte de l’ADBDA nous semble être une bonne piste pour la suite, et sommes satisfait-es de la mise en retrait de l’association du festival au profit de cette dernière. Nous prenons acte de la volonté historique de changer la gouvernance de ce festival central pour la bande dessinée. Nous attendons désormais la démission de Delphine Groux de son poste de présidente de l’association du FIBD. II nous paraît important de souligner qu’une telle refonte du festival, aussi nécessaire et souhaitable soit-elle, ne pourra se faire sans nous, travailleur-euses de la bande dessinée, comme nous vous l’avons rappelé à de nombreuses reprises. Néanmoins, celle-ci ne peut se faire dans la précipitation.
Les financeurs publics doivent prendre acte que le paysage politique des auteurices a changé, nous ne sommes plus en 2016. Les coupes massives dans les budgets de la Culture et la précarisation toujours plus grande de nos professions n’ont fait qu’accélérer notre organisation collective et comme vous avez pu le constater, nous sommes désormais capables de nous rassembler massivement pour défendre nos conditions de travail. Nous insistons sur le fait que le boycott/giricott est maintenu : il est impossible de faire redescendre la mobilisation tant que la société 9e Art+ pilotera la manifestation, même avec la promesse de retrait de Franck Bondoux."
Une réunion du SNE s'est également tenue ce mardi 18 novembre, à la suite de laquelle les grandes maisons d'édition se sont entendues pour suivre le mouvement, et ne pas se rendre au FIBD. En conséquence, l'édition 2026 est de facto annulée, puisqu'il n'y aura ni auteurs et autrices, ni maisons d'édition (ou du moins, en si petit nombre qu'il serait suicidaire de maintenir quoi que ce soit). L'un des deux directeurs artistiques, Fausto Fasulo, a acté de la nouvelle auprès de Libération : "L’horizon n’a jamais semblé aussi apocalyptique. Le festival a beau avoir le cuir dur, cette annulation de l’édition 2026 pourrait bien signifier sa disparition définitive".
Une conséquence somme toute logique qui montre en premier lieu le poids que la parole des autrices et auteurs, qui sont celles et ceux qui créeent les bandes dessinées en premier lieu, a pu avoir dans un festival censé célébrer leur travail. Il est assez clair que la tentative de passage en force de Delphine Groux et 9eArt+ était celle de trop, et du côté des observateurs interrogés par Libération, si l'annulation du FIBD 2026 n'est pas vraiment une surprise, c'est l'espoir qui subiste pour le futur du festival. Frédéric Lafavabre, fondateur des éditions Sarbacane, exrplique : "Il faut que cette annulation nous permette de recréer quelque chose de nouveau. Est-ce que ce festival organisé autour de gigantesque barnum est vraiment ce que nous souhaitons ? Est-ce vraiment ce que les auteurs et autrices espèrent ? Et les éditeurs ? Est-ce que c’est vraiment la meilleure façon de mettre en avant la bande dessinée ? Je n’en suis pas certain. On est à un moment où tout peut être rediscuté, remis sur la table. Il faut redéfinir le festival d’Angoulême."
Notons avec une certaine ironique la façon exemplaire dont Rachida Dati a illustré de façon on ne peut plus limpide son mépris pour le sujet FIBD, en ne réagissant que tardivement ce 18 novembre à l'Assemblée nationale. Promettant de réduire de "60% la subvention accordée à l'association du FIBD" (alors que c'est 9eArt+ qui la touchait), se trompant de genre pour Delphine Groux, elle appaelait auteurs et éditeurs à "répondre présents" alors que le sort du FIBD était déjà plié.