L'heure est à l'orage pour le Festival International de la Bande Dessinée (FIBD) d'Angoulême. En ce vendredi 18 avril 2025 doit se tenir une réunion du conseil d'administration de l'Association du FIBD pour décider de la dénonciation ou non de son contrat qui le lie à la société 9eArt+, organisatrice du festival depuis bientôt vingt ans. En cause : s'il n'y a pas dénonciation et qu'aucun appel à projets n'est soumis, la reconduction de l'organisation reviendra tacitement à 9eart+ pour dix années supplémentaires.
Or, depuis plusieurs années, différents papiers et enquêtes sont venus pointer de nombreux problèmes d'organisation, à plusieurs niveaux. Si bien que l'ensemble de la profession cherche désormais à ce que les choses changent. Et pour se faire entendre, c'est une pétition à l'ampleur inédite, réunissant plusieurs centaines d'autrices et d'auteurs, qui a été lancée, avec en ligne de mire une menace de boycott du FIBD 2026. Une pétition qui dépasse par ailleurs les frontières françaises en allant chercher dans son sillage quelques très grands noms de la bande dessinée anglophone.
Une pétition à l'envergure internationale
Dans un texte publié pour le site de L'Humanité, le syndicat des travailleurs et travailleuses, artistes-auteurs et autrices (STAA CNT-SO) ainsi que le collectif MeTooBD demandent, en compagnie de signataires, à l'association du FIBD de "dénoncer [le] contrat [avec 9eart+] en bonne et due forme et à faire un appel à projets pour la gestion du festival", sans quoi ils appelleront à "boycotter massivement la prochaine édition du festival en 2026". Pour comprendre les raisons de cette colère, il faut remonter un peu dans le temps :
- Au début de l'année 2025, une longue enquête de la journaliste Lucie Servin pour le journal L'Humanité faisait état de nombreux problèmes au sein de 9eArt+. À savoir : du management toxique (qui a pu être observé d'un point de vue extérieur avec le turnover très importants des directeurs artistiques du festival au fil des ans) ; un partenariat commercial avec Quick posant des questions sur l'image renvoyée par le Festival ; des interrogations sur la diminution du nombre d'expositions ou du virage plus mercantile de ces dernières ; d'autres interrogations sur l'opacité de l'utilisation des fonds publics (qui financent le festival à 44%) par 9Art+ et de l'augmentation du budget total de l'organisation, face à une offre qui s'est, elle, amoindrie. Le tout parachevé par une affaire sordide autour du licenciement d'une employée après que cette dernière a dénoncé un viol s'étant passé lors de l'édition précédente du festival, en 2024.
- Alors que le contrat qui lie 9eArt+ et l'association du FIBD doit prendre fin en 2027 en l'absence de reconduction tacite, il est reproché à Delphine Groux, la présidente de l'association, de ne montrer aucune intention de dénoncer le contrat pour lancer un appel à projets (ou "mise en concurrence" selon les termes usuels) pour l'organisation des prochaines éditions. Pire : selon deux enquêtes de Libération et Le Monde, Groux envisage un projet de fusion entre l'association et 9eArt+, dont la conséquence serait de laisser à la société le soin de l'organisation du festival sans limite de durée dans le temps - et sans remise en question de quoique ce soit dans leur façon de fonctionner. Pour la présidente de l'association, il s'agit de "capitaliser sur la réussite plutôt que de plonger dans l'inconnu et prendre le risque de déstabiliser le festival."
- Pourtant, en face, les réactions sont unanimes : tous les professionnels du monde de la bande dessinée, autrices/auteurs comme éditeurs, dénoncent un "coup de force". Différents syndicats sont opposés au projet de fusion de l'association du FIBD et de 9eArt+ : le SNE (Syndicat National de l'Édition) qui comprend les plus grands groupes (Glénat, Delcourt, Média Participations), mais aussi le SEA (Syndicat des Éditeurs Alternatifs), dont 36 des 48 membres ont l'intention d'appeler au boycott du FIBD 2026 si rien n'est fait. En plus du STAA, la Ligue des Auteurs Professionnels a également fait part de son intention d'appeler au boycott.
- Comme si tout ça ne suffisait pas, Le Monde et L'Humanité ont révélé après l'édition 2025 du FIBD que la directrice artistique Marguerite Demoëte était en arrêt maladie depuis un mois (certainement pour burnout) et qu'elle s'est "vu proposer contre son gré une modification de son contrat recentrant ses missions au secteur jeunesse, ou un licenciement économique en cas de refus". Signe manifeste que le management toxique dénoncé en début d'année se poursuit.
- Il faut bien comprendre que le but de la manoeuvre n'est pas nécessairement de refuser à 9eArt+ l'organisation des prochaines éditions du Festival - d'autant plus qu'ils ont encore contractuellement deux éditions à gérer. Mais celle-ci doit, si elle est poursuivie, s'organiser autour de concertations avec les différents corps du monde de la bande dessinée. Le fait que ni Delphine Groux, ni Franck Bondoux (directeur de 9e Art+) ne semble enclin à avoir une quelconque discussion sur le sujet - et pire : tentent de se substituer à l'obligation d'un appel à projets par le projet de fusion - entérine la colère de la majorité du monde de la bande dessinée.
Selon les termes des pétitionnaires, le festival "appartient désormais à la collectivité et, à ce titre, il est devenu un événement d’intérêt public pour la survie de notre médium. Il serait donc inadmissible de le corseter d’intérêts personnels ou de choix autoritaires. Il serait inacceptable que la gérance de cet événement soit à nouveau confiée pour une décennie supplémentaire, voire plus, et sans consultation des parties qui font sa vitalité et sa diversité, à une entreprise qui soulève de nombreuses interrogations sur ses prérogatives." Puisque ce sont les auteurs et autrices qui font les bandes dessinées, et qui font venir en premier lieu le public au FIBD, ces derniers se sont donc rassemblés pour la pétition dont nous vous parlions en début d'article.
Quatre cent noms d'autrices, auteurs, éditrices, éditeurs, et journalistes, dont huit Grand Prix du Festival, et une douzaine de personnes récompensées par le Festival, se montrent solidaires de l'initiative des syndicats et menacent donc de ne pas venir au FIBD 2026 en l'absence de changement de la situation délétère actuelle. Une pétition qui ramène donc des noms venus de l'étranger, puisqu'on retrouve parmi les signataires Posy Simmonds (Grand Prix 2024), Julie Doucet (Grand Prix 2022), Chris Ware (Grand Prix 2021), Art Spiegelman (Grand Prix 2011), Emil Ferris (Fauve d'Or 2019) et Alison Bechdel. Une pétition à laquelle Comicbslog.fr apporte sa signature également.
- Pour signer la pétition des autrices et auteurs, c'est par ici