A ce stade, le constat est de l'ordre du factuel : depuis la réouverture des salles de cinéma dans la seconde vague de la pandémie de COVID-19, les studios de cinéma ont sciemment choisi de se tirer une balle dans le pied en continuant de privilégier les plateformes de VOD au détriment des billets vendus. Et en définitive, il n'aura pas fallu attendre longtemps pour que le gimmick des "45" jours ne devienne une nouvelle norme. Ce qui signifie ? Une fenêtre d'exploitation de quarante-cinq jours, soit six semaines, dans les salles de cinéma, avant la bascule naturelle vers le marché de la VOD et les plateformes de streaming. De fait, cette pratique n'aura pas forcément servi le réseau d'exploitation classique, dans la mesure où les fans peuvent désormais se contenter d'attendre une courte période plutôt que de se déplacer vers les salles de proximité. Superman ne fera pas exception, et les prochains films de DC Studios non plus, selon toute vraisemblance.
Sur les réseaux sociaux, James Gunn a effectivement confirmé que son adaptation du héros en bleu allait débarquer en achat sur les plateformes de vidéo-à-la-demande ce vendredi 15 août 2025 aux Etats-Unis, sur Prime Video, AppleTV, Fandango, etc. Un créneau qui respecte la norme en vigueur, mais qui risque bien de morceler la perspective d'une carrière de "long tail" pour le film Superman dans les salles de cinéma. De fait, les observateurs spécialisés pouvaient légitimement s'attendre à ce que le film profite de la petite pénurie de sortie conséquente sur le mois d'août pour grapiller quelques millions de dollars supplémentaires une fois passé le stade symbolique des six cent millions... mais Warner Bros. a préféré opter pour une tactique devenue habituelle dans le présent. A savoir : générer de l'argent sur les achats et les locations dématérialisées, devenues essentielles dans l'économie des blockbusters modernes. Dans la foulée, le film sera disponible en DVD et Blu-Ray d'ici le 23 septembre 2025 aux Etats-Unis. Autant dire que l'objectif secret des sept cent millions (et même six cent ?) est d'ores et déjà condamné.
Sur le papier, cette tactique s'aligne avec les nouveaux standards instaurés depuis l'apparition de Disney+ et HBO Max sur le marché du streaming domestique au sortir de la pandémie. A l'époque, les studios, pas forcément rassurés par les performances de leurs blockbusters dans une période où les spectateurs avaient pris l'habitude de rester enfermés chez eux, avaient effectivement poursuivi une logique déjà entamée préalablement : proposer aux consommateurs de livrer le produit le plus rapidement possible (et le plus facilement) dans les foyers connectés, dans l'espoir de récupérer l'argent des fans devenus hostiles au loisir de l'exploitation cinématographique sur site. Et si les entrées en salles seront finalement reparties vers le haut dans les années qui auront suivi la pandémie... les studios seront restés cramponnés sur cette méthode, désormais indissociable de l'économie du cinéma. Au point d'avoir posé un débat au début de l'année, au moment où certains grands acteurs espéraient même pouvoir rogner sur la période de carence des 45 jours en raccourcissant le délai encore davantage.
Or, sans même devoir évoquer le piratage (extrêmement facilité par cette façon de procéder), les fans de comics connaissent bien cette problématique d'une vitesse bloquée sur deux temps : depuis un bon paquet d'années, beaucoup de lecteurs ont renoncé au fait de consommer leurs BDs dans le format des numéros mensuels au profit du "trade waiting". Ce qui revient tout bonnement au fait d'attendre la sortie de l'album plutôt que de lire la bande dessinée au format épisodique. Et dans les deux cas, cette façon de procéder (et qui se résume simplement aux pratiques et aux choix individuels) pose parfois problème sur une économie qui avait pris l'habitude de fonctionner différemment.
En l'occurrence, on le sait - ou plutôt, on pense le savoir - Superman avait besoin de 700 millions de dollars pour passer pour un succès complet du point de vue des actionnaires du groupe Warner Bros.. Et dans ce cas de figure, le fait de crâmer la priorité aux entrées en salles s'entend forcément comme une décision curieuse, dans la mesure où le marché de la VOD ne rapporte pas forcément autant d'argent, et se confronte aux problématiques des copies illégales distribuées sur internet. Peut-être que le film pourra encore grimper la course du box office vers un objectif maximum encore non défini... mais pour la majorité des spectateurs, cette option alternative ne risque pas de motiver grand monde au moment de se déplacer vers le circuit de l'exploitation.
On imagine que James Gunn lui-même est pleinement conscient de ce problème, dans la mesure où le bonhomme rappelle que "vous pouvez encore découvrir le film dans les salles de cinéma" sur les réseaux sociaux. Reste que la décision ne lui appartient pas, et que ce créneau des 45 jours risque bient de s'appliquer pour l'ensemble des futurs films de DC Studios, condamnés aux démarrages rapides et aux performances immédiates, puisque rapidement rattrapées par une mise en ligne obligatoire sur le marché de la vidéo. Il n'est pas idiot de se rappeler que les films de cette catégorie pouvaient jadis se hisser jusqu'à des scores de sept cent, huit cent, neuf cent millions assez facilement dans le monde d'avant, au moment d'une croissance record que les studios prenaient bien soin de célébrer au moment des bilans annuels. C'est tout le problème lorsque l'on tue la poule aux oeufs d'or : on ne peut plus désormais que se partager les oeufs qui restent.