Cela fait maintenant quelques années depuis que le bon Szymon Kudranski a décidé de tenter sa chance en solitaire. Connu pour ses collaborations avec Steve Niles et Todd McFarlane sur le marché indépendant (entre autres nombreuses prestations remarquées chez Marvel et DC Comics, bien évidemment), l'artiste polonais s'est engagé récemment dans la voie de l'homme orchestre : en fondant son propre label, One Man Art, Kudranski espère pouvoir proposer toute une variété de créations originales au scénario et aux dessins. Ce qui n'est pas forcément une première pour lui, mais cette fois, la production tient debout. Deux séries ont d'ores et déjà été publiées dans le cadre de cette nouvelle aventure (Blood Commandment et Something Epic), et une troisième est actuellement en route. Celle-ci a été annoncée pour le mois de septembre sous le titre No Man's Land.
Pour cette fois, Kudranski a manifestement prévu de troquer sa panoplie de champion de l'épouvante au profit d'un polar géopolitique. Voire même plus précisément : d'un polar géographique. L'artiste s'est effectivement concentré sur une anomalie territoriale précise, à savoir, le point de connexion le plus direct entre la Russie et les Etats-Unis. Les fondus de cartographie connaissent bien ce petit archipel précis, situé entre la pointe occidentale de l'Alaska et la pointe orientale de la Sibérie, dans le Détroit du Bering (et pas si loin du cercle arctique) : les Iles Diomèdes, ou Iles Gvozdez selon de quel côté on se situe. Sorte de petit analogue de la démarcation Berlin Est/Berlin Ouest, cette petite paire de cailloux fonctionne comme une frontière naturelle (et reconnue) entre les deux nations. Etats-Unis et Russie se partagent ces deux îles, situées dans un rayon de moins de cinq kilomètres.
Accessoirement, l'archipel est aussi connu pour avoir porté le surnom de "rideau de glace", en reflet du "rideau de fer" européen. Pourquoi ? Parce que les eaux du Bering sont extrêmement froide, et que dans cette région polaire, il n'est pas rare que des passages se forment sur la surface pour pouvoir passer entre les deux îles à pied, depuis la glace. Entre autres choses. Les Iles Diomède fonctionnent également comme un méridien, et chacune des deux comprend sa propre zone temporelle (en l'occurrence, pour le passage de l'heure russe à l'heure américaine).
Mais alors, qu'est-ce qu'on en fait de tout ceci ? En creusant le sujet de ces deux petites jumelles, emblématiques de la proximité géographique entre deux civilisations rivales, qui n'ont pas toujours pu s'encadrer au fil de leur histoire, Szymon Kudranski s'est mis en tête de proposer une histoire en forme de polar hors sol. Au sens propre. En l'occurrence : qu'est-ce qui pourrait bien se passer si quelqu'un se faisait assassiner, pile au milieu du passage glaciaire entre la Grande Diomède et la Petite Diomède ? En pleine Guerre Froide ? Techniquement, laquelle des deux nations propriétaires de cet archipel serait en capacité d'ouvrir une enquête et d'intervenir sur place ? Fascinante proposition dans le registre de la "géozarbie" (et on vous conseille la série documentaire d'Arte au passage si ce genre de trucs vous intéresse un peu).
"Chaque année, pendant une période de trois mois, il est possible de traverser le pont de glace qui se forme entre les deux Iles Diomède, entre la zone contrôlée par les États-Unis et celle contrôlée par la Russie : un pont de gel que l'on surnomme le 'Rideau de Glace'. En 1963, lorsque le corps d'une jeune femme est découvert au milieu de ce désert arctique, la relation fragile entre les deux superpuissances risque bien de prendre un tournant dangereux.
Face à cette nouvelle montée des tensions nucléaires, un agent du FBI et un agent du KGB vont devoir s'entendre pour résoudre le meurtre avant que la glace ne fonde... et que la guerre n'éclate. Les Iles Diomède représentent l'un des endroits les plus fascinants et les plus étranges de la Terre. Au moment de cette période annuelle, la question revient systématiquement : à qui revient ce petit espace de glace entre deux pays qui n'ont jamais été connus pour s'entendre ?"
Paradoxalement, Kudranski aurait pu choisir d'appeler son histoire "Cold War", ne serait-ce que pour le jeu de mot évidement. Mais ce n'est pas gravissime : le dessinateur explique avoir réalisé toute une série de recherche autour de ce coin du globe pour former la base de cette petite mini-série en quatre numéros, avec un concept accrocheur et la promesse d'un polar original et ancré dans le réel. Et si vous étiez fans de Double Détente... bon, en théorie, ça n'aura pas grand chose à voir, mais on manque peut-être un peu d'exemples de fiction avec des agents américains et russes obligés de collaborer le temps d'une mission. Mh ? The Man From U.N.C.L.E. ? Non plus, non, ça ne marche pas.
No Man's Land #1 est attendu pour le 17 septembre 2025 (avec toute une batterie de couvertures signées Szymon Kudranski qui lui permettent de citer ses propres références cinématographiques préférées).
