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Sexisme & comics : le comportement d'Ed Piskor pointé du doigt par plusieurs dessinatrices

Sexisme & comics : le comportement d'Ed Piskor pointé du doigt par plusieurs dessinatrices

NewsIndé

Il y a quatre ans, sur les réseaux sociaux, deux grands noms de la BD américaine avaient été pointés du doigt pour décrire les modalités (et les variations) du sexisme ou de la prédation à l'échelle de l'industrie des comics. Une situation que le milieu du cinéma, qui marque le point d'origine du mouvement #MeToo, a eu plus de facilité à identifier, compte tenu d'exemples plus flagrants ou mieux documentés. Les professionnels de ce secteur ont eu à faire face à un cas suffisamment frappant pour signifier l'urgence d'une prise de conscience générale : ce qui a été qualifié "d'affaire" Harvey Weinstein, à l'origine de toute une série de témoignages sur des cas d'agressions sexuelles, de chantages sexuels, de harcèlement, de sexisme caractérisé, etc. 

Proportionnellement, le milieu des comics reste plus opaque. Moins ouvert au grand public. Certains professionnels coupables d'abus ont profité d'un certain degré de protection. D'autres ont été signalés, parfois sanctionnés. Mais sur un plan plus général, la situation de Cameron Stewart et de Warren Ellis a pu informer le public sur la nécessité de considérer certains comportements précis, qui ne tombent pas directement dans le domaine de l'illégalité. D'un côté, un dessinateur accusé de draguer des mineures... et de l'autre, un scénariste qui cumule plus de cent témoignages, qui vont de la relation toxique à l'accusation de manipulation ou d'abus de pouvoir envers les femmes qui ont croisé son chemin. Ces situations ont eu pour effet de déplacer le débat, en sortant de la simple question de ce qui est "légal" ou "illégal", pour poser une question plus directe au lectorat des comics. 

En résumé : quels comportements sommes nous prêts à tolérer de la part des artistes, face à la prise de conscience de ces dernières années. Dans la mesure où cette question appelle à des réponses individuelles, l'article qui suit va se concentrer sur les faits, et ce qui s'est dit lors de ces derniers jours au sujet de l'artiste Ed Piskor.

Celui-ci se retrouve actuellement au cœur de plusieurs accusations. Pour rappel, Ed Piskor est le créateur des comics X-Men : Grand Design, Red RoomHip Hop Family Tree, American Splender, et cofondateur de la chaîne Youtube Cartoonist Kayfabe. Une personnalité connue de l'industrie aux Etats-Unis.

Small Design

Le weekend dernier, plusieurs témoignages sont apparus sur la réseaux sociaux. Une jeune dessinatrice explique avoir été approchée par Ed Piskor. Celle-ci est alors âgée de dix-sept ans. Lui en a trente-huit au moment des faits. Leurs échanges commencent lorsque Piskor l'interroge sur ses dessins. En se basant sur son statut d'expert, celui-ci semble au départ vouloir prodiguer des conseils à l'adolescente, en demandant à voir ses croquis et ses travaux. Piskor lui demande si elle a "dix-sept ou dix-huit ans", en précisant dans la même phrase que "si c'est dix-sept, ça va me bousiller, parce que c'est largement au-dessus de ce que je produisait à cet âge." Il l'invite également à passer "quelques jours" chez lui, en expliquant avoir "une table à dessin" qu'elle pourrait utiliser. L'adolescente et le dessinateur vivaient alors dans la même région des Etats-Unis. Piskor va aussi tenter de bâtir une complicité avec la jeune dessinatrice en la qualifiant de "vilaine fille" ou en lui proposant d'être "sa partenaire de crime", avant de lui demander "est-ce que tu es une balance ? Si on braquait une banque ensemble, tu ne me dénoncerais pas, pas vrai ?"
 
Des échanges forcément surprenants, de la part d'un artiste aux portes de la quarantaine vis-à-vis d'une personne sur le point de devenir majeure. Cette situation évoque évidemment le cas de Cameron Stewart, qui avait, de son côté, entretenu une correspondance avec une adolescente de seize ans. Le comportement en question est généralement qualifié de "grooming", ce qui désigne le fait, pour une personne plus âgée et généralement installée dans un certain statut, de se rapprocher et de former une complicité avec une mineure. Parfois, en attendant que la victime devienne majeure avant d'entamer une séduction plus directe, parfois, en misant sur les variations relatives à l'âge du consentement aux Etats-Unis.
 
Les faits en question se sont déroulés en 2020, quelques semaines avant que l'affaire Cameron Stewart n'éclate sur la scène publique. Tout récemment, la dessinatrice a pris la parole sur les réseaux sociaux, en présentant différentes captures d'écran de ses échanges avec Ed Piskor.
 

 
"Ok, Ed Piskor est un putain de PERVERS, qui aime les lycéennes et qui a glissé dans mes DMs quand j'avais dix-sept ans. Je ne savais pas qui il était, il m'a trouvée quand j'ai liké un de ses dessins. Il m'a envoyé une photo que j'avais prise dans mon uniforme scolaire en me désignant comme une 'mignonne petite nerd', m'a proposé de venir le voir à Pittsburgh, de m'inviter à déjeuner et de me présenter à d'autres artistes. Un vrai putain de mec bizarre, et aucun doute sur ce qu'il a essayé d'entreprendre en m'écrivant sur tout le reste de cette année (pour n'importe qui de normal sur Terre en tout cas). Il me disait que j'étais une gentille fille, une vilaine fille tout le temps. En m'envoyant des planches sur lesquelles il travaillait en me disant que ce serait notre 'secret' et en me complimentant constamment, c'était du grooming pour arriver à ses fins. Il me disait que mes dessins étaient supers, qu'il allait faire ma promo'.

Finalement, le COVID est arrivé, et je pense qu'il a dû se dire que j'étais juste une lycéenne comme les autres qui dessinait des trucs gore. J'ai commencé à le ghoster. Et puis j'ai compris que c'était PUTAIN de bizarre."


 
Elle ajoute ensuite :
 
"Si quique ce soit a besoin de voir d'autres preuves de ce comportement, envoyez moi un DM. Je n'ai pas de problème à présenter le reste de ces screenshots, mais je ne ressens pas le besoin d'entrer dans les détails pendant des heures et des heures. Ed pourra vous dire que 'ce n'était pas son intention', qu'il a juste voulu se montrer amical. Je ne vois RIEN de normal ou d'amical dans le fait de voir un homme de quarante ans écrire à une fille encore au lycée pour lui demander comment se passent ses cours, l'appeler 'gentille fille' ou 'vilaine fille' etc. Lui proposer de passer le voir. Lui proposer d'être sa 'partenaire de crime', demander si je suis une balance ou pas. C'est quoi ce bordel ?

Je ne dis pas ça pour 'cancel' Ed Piskor. Je veux juste dire la vérité à propos de cette personne. Une vérité que beaucoup d'autres artistes CONNAISSENT TRES BIEN. Ed Piskor aime les JEUNES FILLES. Et il essaye d'utiliser sa 'célébrité' pour provoquer des rencontres, pour entamer la conversation, ou faire en sorte qu'elles viennent le voir. Je ne sais pas si ça a déjà fonctionné, mais ça n'a pas d'importance. Ce comportement est écœurant."

Au lendemain de ce témoignage, l'intéressée explique avoir reçu une grande quantité de messages sexistes ou agressifs de la part des fans de Cartoonist Kayfabe.
 
"IL AVAIT QUARANTE ANS. IL N'Y A AUCUNE RAISON QUI JUSTIFIE QU'UN HOMME ADULTE SE METTE A PARLER A UNE ADOLESCENTE EN L'APPELANT VILAINE FILLE OU GENTILLE FILLE, LUI PROPOSER UNE RENCONTRE, SE METTE A BAVER SUR DES PHOTOS D'ELLE EN UNIFORME SCOLAIRE, OU PASSE SON TEMPS A LA COMPLIMENTER AVEC UNE IMPLICATION VAGUE SUR LE FAIT DE L'AIDER DANS SA FUTURE CARRIERE SI ELLE S'OCCUPE DE LUI. C'est ce que j'essaye de dire avec ce message."


Ces mots ont été repris rapidement sur les réseaux sociaux, jusqu'à provoquer une réaction massive du public en l'espace de quelques heures. Les nombreuses réactions de fans se sont élevées contre le comportement apparent de Piskor. D'autres ont expliqué qu'il ne s'agissait pas exactement d'une nouveauté de la part du dessinateur, en affirmant avoir déjà entendu parler de rumeurs similaires sur ces quelques dernières années, sans plus de détails. Il n'aura pas fallu attendre longtemps pour que d'autres témoignages suivent, dans la foulée.
 

 
La dessinatrice et animatrice Molly Wright a effectivement pris la parole pour évoquer comment, lors d'une rencontre avec Piskor, celui-ci avait tenté de monnayer une fellation en échange d'un service professionnel.
 
"Je m'aperçois qu'une expérience qui m'est arrivée à Pittsburgh se rapproche de ce que d'autres femmes ont pu vivre lors de leurs rencontres avec Ed Piskor. Je l'avais contacté à l'époque, et il m'avait proposé avec enthousiasme de passer le voir. On s'était bien amusés, on avait beaucoup discuté, de comics, d'animation... jusqu'à ce qu'il me proposer de lui sucer la bite en échange du numéro de son agent.

Il m'a proposé de participer à un plan à plusieurs, dans le cas où j'aurais eu envie de 'bouffer de la chatte.' J'ai appris récemment qu'il avait tenté de contacter d'autres 'filles' à cette période, et devinez quoi ? J'apprends aujourd'hui que certaines d'entre elles étaient mineures. 

Mes échanges avec Ed n'ont pas duré longtemps, peut-être deux ans ou un peu plus. On se donnait des nouvelles tous les deux mois à peu près. Il était clair qu'il avait fini par avoir peur de moi. J'avais alerté plusieurs personnes à son sujet, donc pour celles et ceux qui n'étaient pas encore au courant, maintenant, vous savez. Je vous demande d'être à l'écoute et de soutenir les femmes qui vont s'exprimer à leur tour sur le sujet d'ici les prochaines semaines."

Dans le même temps, Taffeeta Darling, une spécialiste de l'art des comics et animatrice de podcast, a aussi expliqué que Piskor lui avait proposé de l'introduire à certaines personnalités de la discipline. En échange, le dessinateur l'avait invité à venir lui rendre visite pour la dessiner nue.
 

 
"Je peux attester de ce comportement à 100%. L'an dernier, Piskor m'a invité chez lui parce qu'il voulait me dessiner nue, en échange de quoi il m'aurait présenté à certaines personnes haut placées dans cette industrie. C'était au mois de juillet, et il a aussi ajouté qu'il venait de se séparer de sa relation précédente."

Suite à cette série de témoignages, Ed Piskor a supprimé son compte public sur le réseau social Twitter (X). La chaîne Youtube Cartoonist Kayfabe a également disparu pendant quelques heures, avant de réapparaître, sans communiqué officiel de la part des deux animateurs, Piskor et Jim Rugg. L'ensemble des comptes sociaux de l'antenne ont été réactivés (à l'exception, là-encore, de Twitter), et les commentaires sont ouverts à date de rédaction. Paradoxalement, l'affaire aura aussi attiré les regards des membres du groupe de haine ComicsGate, par l'entremise d'une de leurs figures de proue, Ethan Van Sciver. Celui-ci affirme, capture d'écran à l'appui, qu'Ed Piskor avait aussi "liké" des photographies d'adolescentes de quatorze ans sur le réseau Instagram.
 
Depuis quelques jours, les fans de Cartoonist Kayfabe ont opposé un discours de résistance aux accusations qui s'abattent actuellement sur le dessinateur. L'argument de réaction repose sur l'idée qu'il ne s'est "rien passé", que le comportement en question ne tombe pas sous le coup de la loi, ou qu'il s'agirait d'une "chasse au sorcière" de la part des avocats de la "cancel culture". D'autres ont également pointé du doigt l'existence d'un compte particulièrement actif sur le sujet depuis le début de toute l'affaire (un certain "Terketa"). La scénariste Alex de Campi estime qu'il s'agirait du compte secondaire d'Ed Piskor, dans la mesure où celui-ci aura publié presque exclusivement sur ce sujet depuis un compte jusqu'ici largement inactif. Il paraît toutefois difficile d'établir un lien formel sur ce sujet, dans la mesure où le compte en question serait visiblement plus proche de l'extrême-droite américaine et de la philosophie "anti-woke" sur un axe plus général.
 

 
Dans la journée d'hier, le centre Pittsburgh Cultural Trust a annoncé que l'exposition consacrée au travail d'Ed Piskor, prévue pour le mois d'avril, avait été repoussée à une date ultérieure suite à ces "accusations de comportements déplacés." Les porte-paroles de l'institution assurent prendre la situation "au sérieux" et n'ont pas encore annoncé de nouvelle date de lancement pour cette exposition.
 
La journaliste Heidi MacDonald du site ComicsBeat a tenté de contacter Ed Piskor (et son collègue Jim Rugg) pour s'exprimer suite à ces accusations. Les mêmes demandes ont été faites par Rich Johnston de Bleeding Cool. Pour l'heure, l'un et l'autre n'ont pas souhaité s'exprimer publiquement. Quant à la dessinatrice qui a formulé le premier témoignage, elle a affirmé ne rien avoir à dire de plus à quiconque pour le moment.
 
Corentin
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