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Spider-Man : No Way Home : Oscars et Scorsese, la foire au grand n'importe quoi

Spider-Man : No Way Home : Oscars et Scorsese, la foire au grand n'importe quoi

chronique

Alors que Spider-Man : No Way Home s'apprête en ce jour de Noël à franchir le milliard de dollars au box-office mondial (on en fera un article quand ce sera officialisé), les déclarations des responsables du projet, notamment vis-à-vis du débat de la qualité formelle de cette troisième aventure, vire au ridicule. Si la sphère des "cinéphiles" est de façon régulière et inlassable ponctuée de débats stériles en boucle, on s'attendrait à ce que les professionnels du milieu laissent les prises de position péremptoires ou les commentaires narquois de mauvais joueurs aux fans, sans remettre de l'huile sur le feu. Las, la team Kevin Feige semble être un peu trop galvanisée par des questions d'argent.

Rentabilité et qualité, l'éternelle question

Il y a d'abord le sujet des Oscars. Chaque année, on assiste à la même mascarade de la part des majors du divertissements : Marvel Studios, particulièrement prolifique, a pris l'habitude de faire campagne pour une bonne partie des films de son catalogue sur l'espace d'une année, dans toutes les catégories. En plaçant ses réalisateurs, acteurs et actrices dans la moindre sélection potentielle, comme un aspirant stagiaire qui mitraillerait les CVs en espérant que, dans le tas, l'une des candidatures trouvera preneur. Ces campagnes de "for your consideration" à destination de l'Académie n'ont plus rien de surprenant, mais reposent sur une vision simpliste du fonctionnement de l'industrie du cinéma. Très souvent, on entend dans la bouche Feige que ses films, agréablement accueillis par le public, seraient victimes de snobisme. Ne pas nommer (et non pas "nominer", arrêtez ce fichu anglicisme) des oeuvres populaires aux Oscars serait une insulte au travail de ses équipes ou aux goûts des spectateurs. 

Sauf que : un succès financier n'est pas garant de la qualité artistique d'un film. Et quoique les productions Marvel Studios ont leurs qualités, tout le monde s'accorde à dire qu'aller les nommer ailleurs que pour les "meilleurs effets spéciaux" ou "meilleurs costumes/maquillages" n'a pas forcément de sens. D'autant plus dans le cas de Spider-Man : No Way Home, dont la mise en scène souffre largement du comparatif avec les précédents films Spider-Man qu'il invoque, de par sa distribution et certains de ses choix visuels. 

Pourtant, selon le Hollywood ReporterKevin FeigeAmy Pascal et Tom Rothman (autrement dit, les têtes pensantes de Marvel Studios et Sony Pictures) sont prêts à aller batailler mordicus pour que No Way Home fasse partie des nommés dans la catégorie du meilleur film. Le trio se base sur un argumentaire qui s'entend parfaitement et peut même mener à des discussions respectueuses et intéressantes : que ce n'est pas parce qu'un film rapporte énormément d'argent qu'il serait nécessairement dénué de qualités de cinéma. Le terme de "quality commercial cinema" est utilisé à plusieurs reprises, notamment chez Rothman. Or, il serait évidemment idiot de ne pas vouloir considérer la place des films de super-héros dans les grandes cérémonies de remises de prix - et de fait, cela n'a jamais été le cas. Le cas de The Dark KnightSpider-Verse ou Logan informe sur l'hypocrisie de ce discours : si Feige affirme que l'Académie chercherait à parquer les productions des surhommes dans un coin de la pièce, en réalité, plusieurs oeuvres se seront déjà classées dans des catégories tout à fait valables (meilleur acteur, meilleure scénario adapté, meilleur film d'animation, etc). En vérité, cet argument balaye surtout d'un revers de la main le facteur qualité, un débat qui irrite à la fois le noyau dur des fans et les responsables de ce genre de production - parce que "si le film fait de l'argent, c'est forcément qu'il est bon" ou "si les autres films sont meilleurs, pourquoi ne rapportent-ils pas autant ?".

"L'académie doit rester connectée à l'idée que les films commerciaux de qualité ne sont pas simples à faire." explique Rothman. "Nous sommes tous dans cette industrie pour faire des films que les gens veulent voir, qui leur fassent ressentir quelque chose, et je pense que [No Way Home] remplit légitimement son rôle." assure Pascal. "Je pense que c'est une bonne chose que les gens se lèvent dans la salle et applaudissent. C'est une bonne chose qu'ils essuient des larmes en se rappelant leurs vingt dernières années de cinéma, et ce que ça représente pour eux. Pour moi, c'est une très bonne chose - le genre de choses à reconnaître et ce pour quoi l'Académie a été fondée, à l'époque.", rajoute Feige. On reconnaîtra sans problème à Spider-Man : No Way Home d'avoir su parler à son public et, oui, d'avoir su générer des émotions. Cela étant, le spectre des émotions couverts par le cinéma de super-héros dans le moule de Marvel Studios ou Sony Pictures reste relativement restreint : toujours borné à un même faisceau de valeurs, relativement stable d'un projet à l'autre. Pourquoi Spider-Man serait alors plus méritant que Shang-Chi ? Parce que les gens applaudissent plus fort, ou parce que le film avait plus de caméos et d'effets de surprises ? Et si on n'avait pas trop vite tendance à confondre "le meilleur film" et "le film le plus divertissant" ?

A voir quelle tournure ces discours martelés prendront dans les semaines à venir, et si Sony Pictures et Marvel Studios vont forcer jusqu'au bout pour avoir cette nomination. Au demeurant, on pourrait s'étonner de cette envie de recevoir les compliments de la maîtresse, ou le respect de ses pairs, de la part de deux studios qui n'ont plus rien à prouver. Kevin Feige comme Amy Pascal ont réussi leur pari : le cinéma de super-héros domine le monde de la culture moderne, et on se demande bien ce qu'une statuette ajouterait à cette réalité. Comme si l'écrasante puissance de la marque de Marvel devait aussi s'applaudir, et qu'on donne au riche propriétaire terrien les clés de la ville, comme pour le féliciter, saluer la prouesse d'avoir amassé un tel paquet de pognon. Parallèlement, on s'étonne aussi de voir Kevin Feige revenir fréquemment sur le même sujet, quand ses films, eux, n'ont pas changé. Au lieu de tirer des comparatifs avec les oeuvres mises en concurrence chaque année, le fidèle lieutenant des industries Disney persiste et signe : ce serait la faute des autres, ce serait injuste, ce serait du snobisme, et oui, le beurre et l'argent du beurre finiront par venir à force de tentatives.

Les tournées de presse, les interviews, et tout le matraquage médiatique (l'entité a largement les moyens de financer une campagne publicitaire coûteuse) devraient alimenter une fois de plus l'actualité. De quoi agacer également une partie des sphères cinéphiles, avec cette attitude d'enfant gâté qui ne pourrait pas se contenter du succès public, mais voudrait en plus que des films moins vus (parce que plus exigeants, moins accessibles, moins mis en avant par des studios aux poches vides dans une année déjà très compliquée) soient "punis" de ne pas avoir gagné les mêmes sommes d'argent. 

Encore une fois : nous aimons les super-héros et leurs adaptations en général, et estimons qu'il n'y a pas de raison de les condamner à cette case de simple divertissements agréables, méritants mais pas forcément plus téméraires. A force d'années, on a surtout acquis le recul nécessaire pour reconnaître que Marvel Studios ne cherche pas à produire de "grands films". Même lorsqu'ils sont, à notre sens, très bons. A-t-on besoin qu'un Marvel soit nommé aux Oscars pour qu'on en parle ? Autant, faire une catégorie du "meilleur film populaire" pour la cérémonie ne semblait pas avoir de sens, autant Feige et ses copains pourraient aussi se rappeler du nombre de films qu'ils empêchent de faire vivre par l'omniprésence de leurs productions (ou par le travail de sape de Disney tout en haut, Mouse Guard on ne t'oublie pas). Y compris au sein du même groupe, en témoigne la façon dont le rouleau compresseur No Way Home écrase déjà la concurrence, pour de bons films passés sous silence faute d'avoir en leur possession un ou plusieurs Spider-Man pour créer l'événement.

Surviennent en outre les commentaires d'un Tom Holland qui là aussi, fait preuve d'un manque d'humilité assez surprenant. Depuis une bonne paire d'années, la même question revient en boucle : les films de super-héros sont-ils du cinéma ou de simples manèges de parcs d'attractions ? Une question qui fait suite à des commentaires du réalisateur Martin Scorsese, qui estimait que les films de Marvel, à ses yeux, ne rentrent pas dans la définition du "vrai cinéma". En l'occurrence, on aurait envie de lui donner raison sur la question Spider-Man : No Way Home, dont l'incroyable succès public (et les réactions en salle, surtout) évoquent les images de grandes attractions à sensations fortes, voire de spectacles sportifs ou musicaux. 

Depuis cette sortie, les journalistes professionnels se seront fait une habitude, stupide et putassière, de jeter de l'huile sur le feu en demandant à l'ensemble des employés de Marvel Studios de réagir au tour à tour sur les propos du metteur en scène. Comme pour profiter d'une sorte d'esprit "clash", et de donner de la visibilité à des entrevues que personne n'aurait lu. Dans le cas de Tom Holland, évidemment, ça n'a pas loupé, et le petit bonhomme a même pris de haut le réalisateur de Taxi Driver : "Vous pouvez demander à Scorsese s'il voudrait faire un film Marvel, mais il ne sait pas ce que c'est car il n'en a jamais fait. Moi j'ai fait des films Marvel, et j'ai aussi fait des films qui étaient en discussion pour aller aux Oscars, et la seule différence, vraiment, est que l'un est bien plus cher à faire que l'autre. Mais la façon dont je compose le personnage, dont le réalisateur grave les pans de l'histoire et les personnages -- c'est la même chose, mais à une échelle différente.

On pourra rappeler à Holland la façon dont Marvel Studios se comporte avec les réalisateurs qui ne plient pas aux directives du studio et de la vision de Kevin Feige, qui sont rapidement éjectés des projets. Une situation qui s'étend à l'ensemble des grosses productions d'Hollywood : le cinéma de divertissement, trop borné à suivre des formules algorithmiques, n'inspire plus les grands réalisateurs qui préfèrent s'enfuir vers les plus vertes prairies de la SVOD, des productions indépendantes ou de la série télévisée. Marvel a eu son rôle à jouer dans cet écœurement collectif des salariés du milieu, depuis la fameuse "fatigue" de Joss Whedon à l'éloignement d'Edgar Wright, voire au refus de Feige de reconnaître le statut de showrunners aux scénaristes en chef des récentes productions de la famille Disney+.

Mais, en dehors de ces points de détails,  il est surtout (vraiment) très étonnant de voir le comédien poser un tel regard sur la filmographie de Martin Scorsese, monument du cinéma presque résumé à une sorte de vieux rageux, sans la moindre espèce d'humilité. A se demander si ce genre de commentaire n'est pas fait pour motiver ce genre d'éditorial ou de nouveaux débats houleux sur les réseaux sociaux, comme pour accompagner le discours public, et surtout, éviter de se remettre en question. 

Il apparaît assez évident en tout état de cause que Spider-Man : No Way Home, quels que soient les efforts de ses producteurs, n'arrivera pas à être nommé aux Oscars (du moins, pas en "meilleur film", au vu de tout ce qui a pu sortir cette année). Kevin Feige tapera des pieds par terre, les spectateurs qui ne consomment que des blockbusters hurleront à l'injustice, à l'élitisme de ces sphères culturelles et "de leurs films hongrois en noir et blanc", ou autre périphrase clés en mains pour dire "je n'aime pas le cinéma mais laissez moi donner mon avis", et rien n'aura changé. Une solution de secours pourrait être alors de faire présenter la cérémonie des Oscars par Tom Holland. L'idée de voir l'acteur défendre No Way Home devant le tout Hollywood aurait quelque chose de savoureux, tiens.

Arno Kikoo
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