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The Resistance : Joe Michael Straczynski milite pour l'action dans un monde post-pandémie

The Resistance : Joe Michael Straczynski milite pour l'action dans un monde post-pandémie

ReviewPanini
On a aimé• Les renvois au monde réel
• Un premier comics sur le monde après le virus
• Les découpages de Mike Deodato Jr.
• JMS jette une bouteille à la mer
• Les tacles envers DC et Marvel
On a moins aimé• Des couleurs un peu trop classiques
• Deodato en petite forme par moments
Notre note

Au terme d'une ébullition de nouvelles sociétés sur le marché de l'édition indépendante aux Etats-Unis, Axel Alonso et Bill Jemas fondaient l'entreprise AWA (pour Artists Writers & Artisans, encore que Artists With Attitude aurait certainement eu un peu de gueule). Au moment de former leur ligne éditoriale, basée autour d'un bon nombre de séries de porte-flingues, l'ex vice président et l'ex éditeur en chef de Marvel Comics ne pouvaient pas se passer du facteur super-héros. Après avoir sorti de sa retraite de cartooniste le grand Joe Michael Straczynski, la jeune AWA annonçait une série censée fonctionner comme les Marvel Legacy, Flashpoint ou Infinite Frontier. A ceci près que le titre The Resistance se présente comme l'origine d'un grand tout, en posant les bases d'un univers perméable avec un nouveau genre de surhommes.
 
Sorti d'usine, le résultat de ces six premiers numéros était assemblé par Panini Comics de notre côté de l'Atlantique. L'éditeur faisait récemment main basse sur une partie du catalogue AWA après avoir déjà saisi les droits de quelques unes des premières productions de TKO Studios, pour doper le marché français de nouvelles séries indépendantes, casser la routine, ou simplement transporter du Garth Ennis, Jeff Lemire et Joe Michael Straczynski vers un lectorat de francophones avides de ces grands auteurs. Du haut de ses soixante-six ans, JMS n'a effectivement rien perdu de sa verve. Assisté par Mike Deodato Jr., le vieux bonhomme livre un manifeste politique capital sur le présent politique, accoudé à une rengaine de vétéran de la bande-dessinée fatigué des super-héros traditionnels. Une sorte de première réponse à la pandémie de COVID-19, presque anticipée par un scénariste fourbu qui semble mieux comprendre les rouages des sociétés que les chefs d'états dont il aime à se moquer.


Avant les super-héros, The Resistance démarre par un virus. D'origine inconnue, ce-dernier se répand vite à travers le monde, traversant les frontières, affolant les gouvernements. Les mesures de confinement ne fonctionnent pas, le taux de mortalité est anormalement élevé. Un petit pourcentage d'infectés parviennent à survivre à la maladie mais, lorsque la poussière retombe, l'humanité dénombre 400 millions de morts. Le virus décide tout bêtement de s'arrêter du jour au lendemain. Sans vaccin, sans couvre-feu, sans ministre à lunette avec l'accent du sud, ce qui pose forcément tout un tas de questions sur l'utilité de la réponse politique qui suivra. Ce monde est effectivement calqué sur le nôtre, et les ressemblances finissent par s'observer : un analogue de Donald Trump est élu aux présidentielles, la Russie envahit la Biélorussie en considérant la légitimité de se réapproprier cet ancien morceau de l'Union Soviétique, les minorités des quartiers populaires sont livrées à elles-mêmes sans aide politique après la pandémie. Des couvre-feux et des limitations de circulations sont aussi mises en place, dans le cadre d'une dérive sécuritaire mondiale : les gouvernants utilisent l'argument du virus pour s'octroyer plus de pouvoir et piétiner les libertés individuelles.
 
Vu de France, avec le décalage horaire du marché de l'édition, la série The Resistance aurait tout d'un ensemble opportuniste pensé pour capitaliser sur le COVID-19 afin de convoquer des images qui frappent forcément l'inconscient du lecteur contemporain. Dans la chronologie anglophone, le titre était en réalité annoncé longtemps avant la découverte publique du virus, et travaillé avec quelques numéros d'avance peu de temps avant les mesures de confinement mondial. Cela étant, si le slogan publicitaire "le comics qui avait prévu la pandémie" a certainement de quoi motiver le lecteur curieux, les oeuvres de fiction prenant comme terrain de jeu le sujet du sanitaire sont nombreuses - depuis les infectés aux zombies en passant par les histoires de huis clos ou d'isolement autosuggéré. La façon dont JMS va construire son histoire a plus d'intérêt que son éventuelle vertu prophétique : par accident, le scénariste a peut-être écrit le premier comics du monde d'après, pour motiver une réponse publique à une année hors du commun.

Dans The Resistance, celles et ceux qui seront parvenus à survivre au virus se retrouvent dotés de super-pouvoirs. Quelques uns vont utiliser ces capacités pour devenir les athlètes d'un nouveau genre de cirque public, d'autres vont chercher à mettre leurs capacités au service du bien. Un mouvement s'organise, un mouvement baptisé "The Resistance" et dont l'objectif se résume à faire ce que les super-héros des autres grandes maisons d'édition ne font pas assez : intervenir sur le champ politique, questionner la gouvernance mondiale, entrer dans le combat de la justice sociale, des prises de position plus rares dans le genre du super-héros conventionnel. JMS positionne la société ou la gestion des affaires humaines comme le super-méchant de son histoire, dans un ensemble global qui passe par tout un tas de points de vues. La cartographie de ces premiers numéros s'étend des Etats-Unis à la Russie, des quartiers pauvres aux grandes entreprises, des caucasiens aux personnes de couleurs, avec toute une série de tacles adressées à des faits de société de différentes gravité.



A l'instar de ce qu'avait tenté d'entreprendre Mark Waid chez Humanoids Inc, The Resistance repose sur l'idée que la liberté des comics indépendants permet de remettre le thème de l'action individuelle au coeur de l'équation super-héros. Waid s'attaquait à l'Amérique des tueurs de masse, Straczynski vise un peu plus large. Le bonhomme évoque les violences policières, les agressions sexuelles, les théories du complot, la façon dont les marques et dont le divertissement ont tendance à corrompre et à pervertir le rêve du surhomme bienveillant et supposément capable de changer les choses. Une allégorie qui se joue sur plusieurs niveaux de lecture et fonctionne dans la démarche d'un propos précis : les survivants du virus qui obtiennent des capacités paranormales sont essentiellement de jeunes personnes, entre vingt et trente-cinq ans, pour faire écho au défi générationnel et à l'engagement de celles et ceux qui n'ont pas encore renoncé à l'action politique ou au militantisme.

Cette façon d'isoler une génération particulière pose sur la table le débat de l'ancien monde vendu par certains de ces dernières années, du système à abattre, de la façon dont les dirigeants se sont enchaînés aux postes de pouvoir sans jamais chercher à résoudre certains problèmes. En l'occurrence, JMS effleure la question de l'écologie, un sujet qui semble davantage intéresser les jeunes dans le monde réel, mais qui sert surtout ici d'allégorie pour la prise de conscience : ces jeunes super-héros de The Resistance sont d'abord des activistes, des résistants qui vont chercher à compliquer l'exercice du pouvoir dans un monde où les dictateurs sont de plus en plus nombreux. Comprenant l'urgence de cette situation, les méchants réagissent en organisant une campagne de communication publique pour persuader la génération en lutte que leur combat est inutile. Qu'ils n'ont aucun pouvoir, que leur avenir est déjà tracé, que c'est dur d'avoir vingt ans etc, une parabole sur différentes thèses de sociologie développant la façon dont les politiciens minorent le choc générationnel pour éviter de remettre en question certaines pratiques. En résumé, JMS a fait ses devoirs, en posant un regard acide sur certaines réalités modernes, réorganisées dans un prisme de fiction.

Ce-dernier lui sert également de métaphore pour parler de la bande-dessinée au sens large. Pour certains élus, certains survivants dotés de super-pouvoirs, un nouveau corps de métier se développe peu à peu : des entreprises proposent à ces surhommes de participer à de faux combats scénarisés, en costumes et contre de faux super-vilains. Les personnages de ces scènes évoquent frontalement les matchs de catch de la World Wrestling Entertainment. Sur le papier, l'idée ressemble à une simple blague de scénariste de comics : dans le monde réel, où le public aime se divertir en regardant des gens musclés se taper dessus, un équivalent super-héros du catch serait effectivement quelque chose d'envisageable. En cherchant plus loin, avec les références convoquées, la façon de classer les super-pouvoirs, le style de mise en scène choisi (des athlètes qui s'entraînent à apprendre des pauses icôniques de super-héros), JMS donne dans une critique plus directe des personnages de DC ou Marvel


Comme dans The Boys, où les super-héros sont autant de petits hommes et femmes sandwichs pour le cinéma et la publicité, celles et ceux qui choisissent d'endosser un costume pour se taper dessus en public acceptent l'idée que leurs pouvoirs ne sert à rien. Qu'ils ne sauvent la vie de personne, et que leur rôle se résume à répéter un spectacle sans fin au service de corporations fortunées, qui se font du beurre sur leur dos et leur symbole présumé de justice. La métaphore est assez évidente, avec un Straczynski qui critique ouvertement la façon dont ce genre de fiction mainstream est incapable de porter un propos politique, utile ou applicable dans le réel, et dont les personnages se contentent de répéter une pantomime de bagarre en collants. 

L'entreprise s'en défend, en affirmant que ces spectacles permettent de faire accepter au public l'existence des surhommes, et de normaliser leur présence dans la société. De la même façon que Marvel ou DC se parent de nobles intentions en mettant en avant des personnages de la diversité, dernier champ d'action politique pour des entreprises qui refusent de parler d'autres sujets plus gênants. Au demeurant, JMS ne donne pas tort à cette recherche de l'inclusivité, même placée entre les mains de corporations surtout intéressées par l'argent, mais préfère claquer la porte pour prendre son indépendance, comme ce jeune super-héros qui espérait devenir un justicier utile au bien commun en frappant à la porte des majors. Un autre manifeste, plus subtil, qui permet quelques bonnes blagues et quelques critiques pertinentes sur ce que seront devenus les super-héros à force de rachats de sociétés.



C'est dans cette mise en perspective des liens entre réalité et fiction que The Resistance trouve son souffle particulier. Le comics ne parle pas vraiment de l'origine d'un virus étrange et de la façon dont ses survivants obtiennent des capacités paranormales. A l'instar de Rising Stars ou de Sense8, le scénariste cherche d'abord à positionner des allégories, des thèmes du réel censés jouer le rôle de signaux d'alerte dans un moule très conventionnel d'origine de monde. Tout ce qui tient au pan le plus fictif de la BD serait d'ailleurs le moins intéressant - qu'il s'agisse de la source du virus, de pourquoi il est apparu et de la ligne de fond de cet univers, qui n'invente pas grand chose de neuf. Avec cette génération de survivants organisés pour lutter contre l'ordre mondial classique, JMS espère surtout motiver le lectorat à prendre conscience de l'importance des figures de héros dans la société, de l'intérêt du collectif, et de la lutte contre un système qui ne marche plus. Ce n'est pas un hasard si la série s'ouvre sur un plan de la Terre, ou si les équipes d'AWA ont fait le choix de cette couverture.

L'aspect prophétique joue donc un autre rôle dans cette BD, qui représente mieux que d'autres la façon dont les idées pourraient venir se réorganiser dans le fameux monde d'après. Le scénariste anticipe énormément des décisions politiques prises au terme de la pandémie de COVID-19, en imaginant ce qui va ou ne va pas changer, et en proposant d'imaginer qu'une petite équipe tente d'agir à son niveau pour inverser la tendance. A lui de dire s'il espère inspirer le lecteur à rejoindre ces résistants, s'il entend rendre au super-héros sa place sur le grand échiquier la justice sociale et de l'engagement.  Pour l'heure, si la suite sera à suivre en fiction, The Resistance prend la forme d'une main tendue vers l'envers de la page, comme MatrixMad Max Fury Road ou Cloud Atlas : des oeuvres dont le but est d'abord de partager une pensée, une vision du monde et une philosophie sur la place de l'humain dans un grand ensemble social avant de se poser la seule question du divertissement ou de la pyrotechnie basique. Un genre de bouteille à la mer, dans le monde d'après.

Côté graphique, le bouquin profite des forces et faiblesses de Mike Deodato Jr., à la fois très doué pour les scènes écrasantes et pour convier cette envie de réalisme qui mêle la forme au fond, et pas forcément à l'aise sur les effets d'ombrage, les décalques un peu trop faciles de visages d'acteurs de cinéma ou de décors empruntés à des photographies détourées. Associé à l'écriture de JMS, le style de l'artiste, très ancré dans cette mise en scène de long-métrage et ces designs qui cherchent le rapport au réel, et qui aime ses effets de lumière multicolores, évoquera de plus anciens travaux sur les comics politiques de WildStorm ou d'une période des comics post-George Bush, post-complotistes ou post-thrillers présidentiels. Une chouette ballade, qui aurait pu gagner à jouer sur une colorisation plus légère ou moins appuyée sur les contours.


The Resistance n'est pas à proprement parler une bande-dessinée conventionnelle : l'écriture ne suit pas un arc scénaristique centré sur un personnage pendant une aventure isolée, l'auteur ne cherche pas forcément à conclure quoi que ce soit en l'espace de six numéros et aura probablement cet aspect frustrant de la porte d'entrée vers l'inconnu. En tant qu'objet individuel, en revanche, celle-ci se présente comme un manifeste politique, à la fois pour présenter au monde le point de départ d'une nouvelle maison de super-héros lancée vers d'autres directions que le simple abattage d'aliens, et à la fois comme une tentative de prise de conscience sur le rôle de l'individu dans la société du présent. JMS n'écrit pas seulement pour intriguer le lecteur. Son but n'est pas seulement d'anticiper une pandémie, et il ne s'agit pas forcément de donner envie aux gens de découvrir quels autres super-héros originaux et colorés se cachent dans les recoins. A l'image de Sense8, un auteur qui n'a rien perdu de son infatigable plume pose surtout une question plus globale à un lecteur qui perd l'habitude de questionner le réel dans l'évasion de sa bande-dessinée : à quoi ressemblera le monde après le COVID-19, et quel rôle aurez-vous envie de jouer dans ce monde là ? Tel quel, il n'est pas de meilleur moment pour s'interroger sur le sujet.

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Corentin
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