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Comment fait-on un artbook ? Entretien avec Lee Bermejo et Sarah Chantepie pour Inside : En Terrain Obscur

Comment fait-on un artbook ? Entretien avec Lee Bermejo et Sarah Chantepie pour Inside : En Terrain Obscur

InterviewUrban

Présent en France il y a quelques semaines à l'occasion de la sortie de son artbook Inside : En Terrain Obscur, première création originale d'Urban Comics dans ce domaine, l'artiste Lee Bermejo a accepté de nous accorder de son temps pour que l'on puisse rentrer en détails dans le processus de fabrication de cet imposant (et magnifique) ouvrage. Une exploration lors d'un entretien pour lequel nous avons eu également l'honneur d'avoir avec nous Sarah Chantepie, éditrice sur En Terrain Obscur, premier artbook d'une collection Inside en possible devenir. 

Cette discussion vous avait été proposée dans un premier temps dans un podcast SuperFriends en anglais. Pour les non anglophones, la retranscription est à découvrir ici, et nous remercions mille fois Salim (Jo Ker sur le site) pour la traduction effectuée à cet égard. Bonne lecture à toutes et tous, et si Inside : En Terrain Obscur vous intéresse, la commande est faisable à ce lien !

***

Comicsblog : Nous sommes ici pour parler de ton artbook Lee, « Inside : En Terrain Obscur ». Nous avons donc Lee Bermejo, bonjour Lee.

Lee Bermejo : Bonjour.

Et nous avons également l’éditrice de ce livre, Sarah Chantepie, bonjour Sarah.

Sarah Chantepie : Bonjour.

CB : Je voudrais vraiment rentrer dans le détail de la création de cet artbook, qui est  la première création originale d’Urban Comics. Quand avez-vous commencé à travailler sur ce livre ? Et pourquoi le faire avec Urban Comics ?

S.C : J’ai commencé à travailler dessus vers Décembre 2018. J’ai demandé à Lee s’il était partant pour travailler sur ce livre avec nous, et il a heureusement dit oui. Ensuite, il nous a fallu environ 9 mois pour le faire.

CB : Lee, tu étais intéressé par une publication de ton travail, pas seulement dans des comic books, mais dans un Artbook regroupant tous tes travaux ?

L.B : Bien sûr, c’était presque le vingtième anniversaire du début de mes travaux chez DC, c’était donc une bonne occasion de fermer un chapitre…peut-être pas fermer un chapitre, mais faire une rétrospective de toutes ces années. C’était le timing parfait. Aussi, j’aime beaucoup le travail d’Urban sur leurs livres en termes de design de produit et de design graphique. L’attention qu’ils portent à la production donne une qualité très supérieure à ce qui se trouve sur le marché aujourd’hui. C’était vraiment le scénario parfait pour moi. C’était une chance de le faire, et je savais, en mettant l’aspect artistique de côté, que ça serait un très beau produit, définitivement le type de produit qu’on voudrait avoir sur son étagère.


CB : Tu sembles porter un certain intérêt au marché français.

L.B : Oui, j’aime beaucoup. J’essayais d’expliquer ça à quelques amis hier, l’un d’eux estOlivier Coipel qui est de Paris. Il s’est passé quelque chose lors de mon premier voyage à Paris en 2004, ça m’a paru être la plus belle ville au monde, la plus intéressante avec une sorte d’énergie artistique qui remonte à des centaines d’années. Aussi, quand j’avais 15 ou 16 ans, j‘avais commencé à lire « Métal Hurlant », cela m’a introduit à Richard Corben, Moebius, Milo Manara, Liberatore. Pas tous des artistes Français, mais un style européen pour faire du comic book. Et ça vraiment formé ma manière de dessiner et ma vision de l’art dans la bande dessinée. 

Il y avait un ou deux stands à la San Diego Comic Con qui vendaient des bandes dessinées Françaises et Italiennes bien avant Amazon et Internet. Le premier jour de la SDCC était une course ridicule car beaucoup d’artistes couraient pour arriver en premier sur ces stands, car il y avait peu de copies disponibles. Tu devais avoir beaucoup de chance pour arriver avant que les autres charognards ne prennent tout. C’est là que j’ai connu Nicolas De Crécy et quelques artistes Italiens comme Sergio Toppi. En général, le marché Français de la BD en particulier me correspond mieux. Je ne suis pas très bien adapté au marché du Comic US car je ne suis pas assez rapide pour sortir un numéro par mois. On dit aux USA que je travaille sur un calendrier Européen. Peut-être que tout cela combiné a créé une sorte de fascination chez moi pour le marché Européen.

CB : Sarah, une fois que Lee a accepté, quelle était la première étape ?

S.C : La première étape était de créer un plan du livre pour définir sa structure et ce qu’on allait mettre dedans. Il était évident que la structure serait basée sur la chronologie de la carrière de Lee, ça marche mieux comme ça. Je voulais que ça parle aussi bien aux fans hardcore qu’à ceux qui découvrent l’art de Lee avec Batman Damned et qui seraient intéressés par ce ses travaux précédents. Et c’était aussi une manière de montrer l’évolution de son style et à quel point ça changé et s’est affiné.

CB : Spécialement avec la transition numérique peut être ?

S.C : Oui, l’évolution de la technique. La manière dont il dessinait Superman dans Wednesday Comics et ensuite dans Luthor. Voir l’évolution du personnage et du costume, je pense que c’est intéressant de le faire de cette manière.

CB : Tu as donc dû revenir en arrière et tout relire ?

S.C : Oui, exactement (rires).

CB : Et une fois que tu savais que tu allais le faire dans l’ordre chronologique, avais-tu discuté avec Lee, ou peut être les éditeurs de DC Comics, de ce que tu allais spécifiquement mettre dans le livre ?

S.C : En effet oui. C‘était important pour moi en faisant le livre, de donner la possibilité aux artistes de parler de leurs travaux. Je voulais mettre des pages où Lee pourrait parler, c’était important pour moi.

CB : Tu ne voulais pas juste créer une collection de planches ou de couvertures.

S.C : Non, pas une collection et pas une critique non plus car je pensais qu’il était bien placé pour parler de lui-même, et c’était important pour moi. Aussi, je voulais laisser de l’espace aux gens qui ont travaillé avec lui car c’est important pour faire un portrait complet de lui. Chaque chapitre commence avec une interview et se termine par un texte d’une personne qui a travaillé avec lui sur le titre. Ensuite j’ai demandé à Lee s’il voulait bien parler à Brian Azzarello, Carlos d'Anda, Adam Hughes et tous les autres, et de demander aussi l’autorisation à DC car nous gérons une licence. Même si le livre est une création originale, il faut toujours avoir l’accord de DC, ce qu'on a eu.


CB : Quand as-tu fait les interviews ? C’était il y a longtemps ? Car tu parles aussi de Batman Damned qui est très récent. Est-ce que c’était une seule longue interview ?

S.C : Oui, c’était en avril 2019. Je suis allée en Italie chez Lee et j’ai enregistré 3 ou 4 heures en tout. Ensuite, quand il est venu à Paris en mai, j’ai posé quelques questions supplémentaires.

CB : Je suppose que toutes ces heures de conversation ne sont pas dans le livre. Comment décidez vous de ce qui reste et ce qui est laissé de côté ?

S.C : Parfois, il me dit juste de ne pas le mettre dans le livre (rires).

CB : Y avait-il des secrets ?

L.B : Non, pas des secrets. C’est juste que quand tu as une conversation avec un personne avec qui tu es familier, tu as tendance à être trop honnête par moments.

S.C : On devait garder le tout professionnel.

L.B : Tu essaies de présenter les choses telles qu’elles se sont produites, et tu veux donner le récit le plus honnête possible. C’était important pour moi de ne pas être trop subjectif dans la description des évènements, parfois ce n’était pas très gentil envers moi-même. Je pense que c’est plus honnête comme ça. Il s’agit probablement du livre le plus important sur lequel j’ai travaillé, il s’agit de toute ma carrière, de ma vie. Et tout ce qui y est décrit me rappelle certains évènements de ma vie, c’était important pour moi de le garder dedans sans aller trop dans le détail de mes propres opinions ou suppositions. Je veux que le lecteur ait accès à tout ça, mais peut être pas trop non plus.

CB : Est-ce que c’était difficile de se rappeler certains souvenirs ? Peut-être de l’époque Wildstorm ou tes premiers travaux chez DC Comics ?

L.B : Je ne sais pas si c’était difficile, j’ai plutôt une bonne mémoire. Encore une fois, ce qui s’est passé dans mon travail est lié à ma vie, lorsque j’ai déménagé en Europe. Ce n’était pas difficile pour moi de me rappeler les spécificités de chaque projet et ce qui s’y est produit, mais certaines informations ne sont simplement pas nécessaires. Par exemple, tu n’as pas besoin de savoir tous les détails de ce qui s’est passé sur Superman Gen 13.

S.C : Oui, le but était de donner des éléments aux lecteurs pour qu’ils comprennent les projets.

CB : Vous deviez définir quel était le rôle principal du livre, qui est de présenter Lee aux nouveaux lecteurs ?

S.C : Exactement, et peut-être donner certaines informations exclusives que les gens ignorent à propos de Lee et de ses travaux.

CB : C’était difficile de rassembler toutes les données ?

S.C : Parfois, ça dépendait des chapitres. Lee n’a pas beaucoup d’originaux.

L.B : La majorité a été vendue.

S.C : Oui, parfois il demandait aux gens de scanner les pages qu’ils ont acheté par le passé. J’ai aussi demandé à DC de m’envoyer des éléments.

L.B : Sur beaucoup de projets avant Joker, je n’avais même pas de fichiers. Je n’avais quasiment rien de Luthor par exemple. J’avais tout Joker et quasiment tout ce qui a suivi. Je n’avais rien de Global Frequency, j’avais des couvertures colorisées de Batman Deathblow, c’est ce qu’il y a dans le livre, et c’est plus cool car c’est le scan de l’original qui a été publié, ce n’est pas juste un fichier jpeg. C’était intéressant de revenir en arrière et de trouver des pièces originales de ces anciens travaux.

CB : Vous saviez depuis le début que le livre allait faire 400 pages ? Ou avez-vous dû ajouter ou enlever au fur et à mesure ?

S.C : Enlever non, mais ajouter vers la fin. Il a fait beaucoup de couvertures et on a dû sélectionner lesquelles mettre et j’en ai ajout autant que je pouvais. Nous avons ajouté une trentaine de pages à la fin.

CB : Aviez-vous une quelconque limite dans ce que vous pouviez faire ? Ou des directives ?

S.C : Non, aucune limite ou directive. Juste des choix pertinents.


CB : Aviez-vous senti de la pression sur le projet ?

S.C : J’avais la pression car c’était mon premier livre, travaillant directement avec un artiste. C’est très différent de ce que je fais d’habitude chez Urban, faire de la traduction ou ajouter du contenu éditorial. C’est très différent de travailler directement avec un artiste, car il a son mot à dire sur tout, et je voulais que Lee soit d’accord avec tout ce que nous avons mis dans le livre. Il y avait de la pression pour moi, peut-être pour toi aussi (Lee) pour donner autant d’informations.

L.B : Ils avaient une idée très claire de ce qu’ils voulaient faire et comment ils voulaient le présenter. C’était un processus intéressant, je m’attendais à ce qu’il y ait beaucoup d’allers-retours, mais ce n’était pas nécessaire. Lorsqu’ils m’envoyaient des exemples de pages avec le design graphique, ça marchait bien. Ils avaient de bonnes idées très claires sur la conception du livre, c’était donc facile de ce côté. Le plus difficile pour moi était de voir mes anciens travaux, que je n’aimais pas parfois, de ne pas vouloir les voir dans le livre, spécialement certaines pages colorisées faites dans les années 1990, au début d’Image Comics, dont je n’ai jamais été fan. Ou les débuts chez Wildstorm, il y en a que je trouve embarrassants.

CB : Tous les artistes ne veulent pas revoir leurs travaux datant de plusieurs décennies.

L.B : Oui, mais c’était intéressant. Nous avons eu une discussion avec Sarah et elle m’a expliqué que c’était important d’un point de vue chronologique de voir l’évolution des choses, et je ne pense jamais à ça. C’est important d’avoir ce point de vue car peut être que tu n’aimes pas ce travail et n’y vois pas de mérite, mais quand tu vois le livre imprimé, c’est vrai, tu vois l’évolution des choses. Et si je me retire de l’équation, que je pense à un autre artiste, ça serait intéressant. Tu sais, j’aime beaucoup le travail de Cliff Chiang aujourd’hui, et j’aime ce qu’il faisait il y a 10 ans, mais c’était différent. S’il y a un artbook sur Cliff Chiang, une partie de moi voudrait voir ses anciens travaux, mais je suis sûr que lui ne voudrait pas (rires).

Tu dois parfois prendre du recul par rapport à toi-même, c’est pourquoi il est important que les gens qui font le livre le comprennent et te le disent.

Quand j’ai vu le livre terminé, tout ça avait du sens. Avec le pdf, j’avais tendance à passer rapidement dessus. Mais quand j’ai eu le livre imprimé, j’ai eu un moment genre « Aaaaahhhhhh ». Quand ça existe, quand c’est physique, que tu sens sa taille et son poids, ça devient réel, ça devient une autre expérience.

CB : Quand vous l’avez fait, vous avez travaillé chapitre par chapitre, ou tout en même temps ?

S.C : Je pense qu’on a travaillé chapitre par chapitre.

CB : Comment as-tu travaillé la structure de chaque chapitre ?

S.C : Lorsque je suis partie en Italie, j’avais une série de questions par chapitre. Ensuite, avec la conversation, d’autres questions sont venues et on est partis dans d’autres directions parfois. Mais oui, j’avais déjà la structure avant, je voulais faire le même nombre de pages par chapitre, je voulais tous les chapitres au même niveau.

CB : Tu ne voulais pas donner plus d’importance à un chapitre plutôt qu’un autre ?

S.C : Non.

L.B : Ce qui est super.

CB : Tu ne voulais pas donner plus d’importance à Suiciders ou Batman Damned plutôt qu’à Wildstorm par exemple ?

L.B : Non. Ils ont fait les bons choix quand tu vois le livre terminé.

CB : Ça avait du sens.

L.B : Je ne pouvais pas prendre du recul sur toutes les étapes du processus. Ça aide quand tu peux faire confiance aux gens qui font le livre. C’était différent pour moi car…je ne sais pas trop le décrire. Quand tu vois ce qu’ils font chez Urban, et tout le monde le reconnaît, est bien meilleur que les livres chez DC. Tu sais que le livre est fait par des gens consciencieux qui savent comment faire un bon livre, c’était plus facile pour moi. Et c’est arrivé pendant une période où ma relation avec DC n’était pas au top, il y avait pas mal d’animosité entre moi et des gens chez DC. C’était bon de travailler avec des gens qui n’avaient rien à voir avec tour ça.


CB : Ça n’aurait pas été pareil si le livre n’avait pas été fait avec DC ?

L.B : Non, ça n’aurait pas ressemblé à ça, ça n’aurait pas été organisé comme ça, il n’y aurait pas eu la même réflexion dedans. Vous, chez Urban aviez l’air de savoir exactement ce que vous vouliez en faire.

S.C : Oui.

CB : Une chose impressionnante dans le livre est que vous avez fait des interviews de gens qui ont collaboré avec Lee de temps à autre. Était-ce difficile d’entrer en contact avec eux et d’avoir les interviews dans les temps ? Ça a été fait en Mai, Juin ou Février. Je vois que tu ris, y a-t-il des histoires à raconter ?

S.C : Oui, parfois c’était difficile d’obtenir les textes, car chacun a sa vie, ses obligations. Certains travaillaient sur d’autres titres et n’avaient pas le temps, certains oubliaient tout simplement. Donc oui, c’était un défi de tout collecter dans les temps.

CB : Pourquoi est-ce que tu ris ?

L.B : Car les gens qui, je pensais, allaient poser problème ont bien posé problème. Je connaisCarlos d’Anda depuis que nous avions 18 ans et je savais ce qu’il dirait.

S.C : En fait, tu avais peur de ce qu’il allait dire.

L.B : Oui, mais je préfère ça, et ce que la majorité ont fait. Je ne voulais pas que les gens écrivent des textes pleins de compliments ou juste du texte pour compléter le livre. En fait, c’était plus intéressant d’avoir des gens qui me connaissaient ou qui ont déjà travaillé avec moi, ou même qui me taquinaient un peu. Et je savais que Carlos avait beaucoup de munitions et de matière pour me faire chanter et j’étais en mode « Hmmm qu’est-ce qu’il va dire ? ».

CB : Et quand tu les as contactés, tu leur demandais la même chose ? Ecrivez quelque chose à propos de Lee ?

S.C : Oui, je leur demandais de parler de Lee, comment ça s’est passé quand ils l’ont rencontré pour la première fois ? comment ils ont travaillé ensemble ? comment est-il lorsqu’on travaille avec lui ? Quand il est scénariste et quand il est artiste car c’est une relation différente ? Et quelques anecdotes s’ils en avaient ?

CB : L’introduction est signée Brian Azzarello, je suppose que c’était un choix évident ?

S.C : En fait, on a pensé à Jim Lee en premier car c’est lui qui a découvert Lee.

L.B : Oui c’est ça.

S.C : Mais ce n’était pas possible.

CB : C’était à cause de votre planning ?

L.B : Je crois qu’il n’est pas autorisé contractuellement.

S.C : Oui c’est ça, c’était pareil pour les éditeurs chez DC. J’avais demandé à Mark Doyle et ce n’était pas possible non plus.

CB : Ils ne peuvent pas écrire pour un autre éditeur ?

S.C : C’est ça.

L.B : Oui, ça aurait aussi pu être problématique vis-à-vis d’autres artistes qui travaillent là-bas.

CB : Ils auraient vu ça comme du favoritisme ?

L.B : Peut-être jute le fait qu’ils voient cette relation être plus que professionnelle, particulièrement avec la société, tu vois ce que je veux dire.


CB : Pouvons-nous parler du processus pour le produit ? Quand avez-vous décidé que ça allait être un gros livre ? J’imagine que pour un artbook, c’est plutôt évident pour bien apprécier les dessins, mais il est vraiment volumineux, et le papier aussi est plutôt épais. Avec qui travaillez vous pour le design du produit ?

S.C : Nous travaillons avec des designers graphiques et du personnel de publication qui nous donne des conseils. C’état évident de partir sur un livre XXL pour bien mettre en valeur le travail de Lee. Je savais qu’il aime les gros plans sur les pages et les illustrations, c’est le meilleur moyen de faire des splash pages avec des détails. La première idée que nous avons eue pour la couverture était le Joker, mais avec Batman qui le tient et l’envoie contre une vitre ou un miroir avec le verre qui se brise, mais on ne l’a pas gardée pour la couverture mais pour l’arrière du livre avec du verre brisé.

CB : C’est là qu’on voit le travail sur Suiciders, Suicide Squad et d’autres ?

S.C : Oui c’est ça.

CB : C’est ce que vous aviez décidé de faire ?

S.C : Non ça vient de l’idée de faire quelque chose que Lee aime bien, et je sais qu’il aime bien ce style.

L.B : Le design graphique du livre est impressionnant aussi.

S.C : On voulait que le livre reflète le style de Lee, quelque chose de sombre.

L.B : Regarde la tranche du livre, le symbole en haut, vient de Suiciders.

S.C : Oui le tatouage de Suiciders.

L.B : Ce sont ces petits détails qui donnent une vue à 360°, une expérience très complète. Même la couverture, lorsque j’ai fait le premier sketch, c’était loin de ça, ils l’ont complètement refaite. Au début, j’étais en mode « Hmm, je ne suis pas complètement sûr d’apprécier ça » mais à la fin, quand tu vois le livre imprimé, quand tu le vois sur l’étagère, tu es en mode « Wow, c’était la bonne décision ». Parfois c’est bien de travailler avec des gens qui me contredisent.

CB : Ce n’est pas parce Joker est l’histoire la plus connue à laquelle tu es associé ?

L.B : C’est le personnage avec qui je suis le plus associé, mais ça représente aussi 20 ans de travaux chez DC, ça aurait donc été Batman ou Joker. Ensuite, si je me pose la question dans 20 ans, est-ce que je veux voir Batman ou Joker sur la couverture ? Lé réponse sera certainement Joker.

CB : Vous n’aviez pas peur que le livre soit trop lourd pour les lecteurs ? Car il le faut le transporter et il est plutôt lourd. Tu ne peux pas le lire dans un bus, ou même un avion.

S.C : Honnêtement, je ne pense pas à cet aspect. Je voulais juste faire un bel objet, que Lee l’apprécie et que les lecteurs l’apprécient. C’est pour ça qu’on a un papier à texture sur la couverture, je pense qu’il est plus élégant comme ça, et qu’il soit différent du Comic Book classique.

L.B : Ça fait ressortir les parties brillantes de la couverture, et ça marche bien. C’est marrant car toutes les personnes à qui je l’ai montré, artistes ou autres, s’arrêtent sur la couverture en disant « Wow, c’est quoi ce papier ? ».

CB : Quelle était le plus gros challenge en faisant ce livre ?

L.B : Travailler avec moi (rires).

S.C : Non, c’est vraiment très facile de travailler avec Lee, ce n’est pas l’artiste le plus compliqué. Comme dit plus tôt, nous avions une perspective différente de ce que nous voulions mettre dans le livre comme sketchs, parfois pas aussi complets qu’il voudrait les monter que je voulais garder mais que Lee refusait.

L.B : Je ne fais pas beaucoup de sketchs en fait.

S.C : Personnellement, c’est ce que je trouve intéressant de voir dans un artbook, des choses que je n’ai pas l’habitude de voir.

L.B : Et d’autre personnes à qui j’ai montré le livre ont immédiatement dit : « Je n’avais jamais vu tes sketchs avant !!! » et je dis « Les voilà ». En fait, je devrais juste la fermer et les laisser faire leur boulot, car ils savent ce qu’ils font, mais c’est dur de juste lâcher prise. Beaucoup d’artistes font beaucoup de designs préliminaires et beaucoup de sketchs, moi je travaille principalement sur les pages directement. Je n’avais surtout que des sketchs de Batman, mais rien de Batman Damned car j’ai travaillé directement sur le livre. Sur Joker aussi, j’ai tout fait directement sur les pages.

S.C : Il y en avait un peu sur Batman Noel.

L.B : Oui, effectivement, il y en avait sur Batman Noel. Car je faisais chaque case sur une feuille différente, ensuite je combinais le tout. C’est une manière stupide de travailler, mais c’est comme ça que je faisais à l’époque. Il y a donc plein de dessins individuels du livre qui traînent.

S.C : Et c’est parce que c’est tellement rare dans le travail de Lee qu’on devait les avoir dans le livre.

L.B : Ouais.

S.C : Même s’il n’était pas d’accord (rires).

L.B : Mais ils avaient raison.

CB : Et qu’as-tu apprécié le plus et travaillant sur ce livre ? Je suppose que le fait de voir le livre terminé était une joie en soi, mais pendant le processus, qu’as préféré ?

S.C : Je ne sais pas trop, peut-être la rencontre en Italie, car j’y suis allée pour quelques jours, où nous avons mieux nous connaître, ça aide dans les interviews.

L.B : Oui, elle a eu l’occasion de sortir avec certains amis un peu fous…non ils ne sont pas si fous en fait.

CB : C’était la première fois que vous vous êtes rencontrés ?

S.C : Non, on s’était déjà vus à plusieurs reprises. Il était déjà vu en France plusieurs fois. Mais c’était la première fois qu’on sortait comme ça.


CB : Je n’ai pas le temps de parler de tous les chapitres, mais je suis allé voir le dernier à propos de Batman Damned, et j’ai trouvé curieux que tu ne parles pas du tout de ce qui s’est passé après la sortie du premier numéro, même si on sent que c’est un peu implicite. C’est un artbook original fait avec Urban Comics, je ne pense pas que tu aies quoi que ce soit à répondre à DC Comics, alors pourquoi ce n’est pas mentionné dedans ?

L.B : Car quand je regarderai 20 ans en arrière et que je verrai ce livre, je pense que cette affaire n’aura pas d’importance pour moi. Et même maintenant, ça a moins d’importance pour moi que ça n’en a eu l’année dernière. Je ne pense pas que cette controverse soit intéressante en fait, ce n’est même pas une controverse d’ailleurs, c’est de la politique d’entreprise, et je ne pense pas que ça soit intéressant dans un artbook. C’est censé donner une vision des coulisses et de l’expérience que c’est.

J’ai trouvé ce qu’Adam (Hughes) écrit très intéressant car il voit cette expérience d’une manière complètement différente de la mienne. Ce livre n’est pas quelque chose qu’il apprécie voir, je trouve ça intéressant d’avoir différentes perspectives du travail que ça représente.

Ce numéro de Batman Damned n’a rien à voir avec l’expérience de travail, mais est lié à un changement de politique dans une grosse entreprise, et je ne pense pas que ça intéresse les lecteurs. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent dans ce sens, ça n’a eu un impact que dans le fait qu’on ait dû changer quelques pages à la fin du livre. J’aurais adoré qu’on imprime les pages originales, mais ce ne sont pas mes personnages, je ne peux pas le faire. Peut-être qu’un jour, on pourra mettre tout ça de côté et sortir une version non censurée avec les pages originales, mais pas dans un avenir proche à mon avis.

S.C : Et je ne voulais surtout pas que les gens soient intéressés par le livre juste pour ça, je veux que les gens s’intéressent à Batman Damned pour son histoire et pour son art. Je ne voulais pas utiliser cette histoire de Batman Gate comme argument de vente.

CB : Tu ne voulais pas mettre un sticker « Avec les planches originales de Batman Damned » ?

S.C : Non (Rires)

L.B : Lorsqu’on discutait de la couverture, je leur ai envoyé une blague par email avec cette fameuse planche en disant : « Ça devrait être notre couverture ». Mais non, comme je l’ai dit, lorsque nous avons commencé à travailler sur ce livre, il y a eu une mauvaise période dans mes relations avec DC, ils changeaient des règles éditoriales en interne, les problèmes se suivaient, et il était clair à ce moment que personne ne savait quoi faire dans l’entreprise, les gens avaient peur. C’était très frustrant, heureusement que maintenant c’est passé, je ne m’en préoccupe plus du tout.

Le livre est sorti, il s’est bien vendu, mieux que ce que les gens pensaient, même après cette affaire, car le troisième numéro s’est mieux vendu que les deux premiers, le TPB était premier des ventes le mois de sa sortie. Si les gens se sont intéressés au livre au début à cause de ce qui s’est passé, c’est OK. Mais maintenant, j’espère que ceux qui le commandent le voient tel qu’il est. Je sais que les gens vont continuer à me poser des questions là-dessus. Les gens me demandent toujours « Qui est arrivé en premier, toi ou Heath Ledger ? » [pour Joker et son look, nda] alors que c’était il y a 11 ans. Je suis sûr que la question continuera à m’être posée, mais ça ne fera pas de différence. L’art est ce qu’il est et le scénario est ce qu’il est. Je vais juste m’assurer la prochaine fois de ne pas ajouter une bite.

CB : Avais-tu revu les textes des contributeurs avant qu’ils ne soient ajoutés au livre ?

L.B : Oui.

CB : Qu’est-ce que ça fait de lire des choses à propos de toi mais d’une autre perspective ?

L.B : Parfois, c’était comme regarder le soleil, genre « Aaaaaaaaaaah !!!! ». Car c’est dur parfois quand les gens te perçoivent d’une manière différente de celle dont tu te perçois toi-même. Chacun d’eux était excellent à lire pour des raisons différentes. Elle m’a surpris avec l’un d’entre eux, un des meilleurs artistes de tous les temps, il est dans mon top 5, son nom est Jérémy Geddes. C’est un peintre Australien et nous regardions son artbook comme une sorte d’inspiration, je n’étais pas au courant mais elle lui a demandé d’écrire un texte pour le livre, et quand c’est arrivé j’étais comme « Woooooow !!!! ». J’ai dû sortir de chez moi, aller faire un tour, prendre un café, trainer en ville, c’était une sorte expérience extra-corporelle.

S.C : Tu ne me l’avais pas dit.

L.B : C’était cool.

CB : Tu as donc réussi à le surprendre.

S.C : Oui, c’est ça.

L.B : Je n’arrivais pas à y croire.

S.C : J’avais essayé de contacter plein de personnes, mais celui-là était particulier.

CB : Qui as-tu contacté et qui n’est pas dans le livre ? Peux-tu nous le dire ?

S.C : Kavinsky, mais il n’a jamais répondu. Alex Ross, Tim Bradstreet et Dave Stewart. J’ai essayé d’avoir des gens qui ne travaillent pas dans l’industrie du comic book pour avoir des perspectives différentes.

L.B : Oui, et c’était cool.

S.C : La peinture et la musique étaient intéressantes.

CB : Des gens qui ne travaillent pas dans l’industrie du comic book mais qui connaissent ton travail.

S.C : Oui, qui aiment son travail ou qui en sont inspirés.

CB : Tu voulais vraiment avoir Kavinky qui parle de toi ?

L.B : On a échangé quelques messages une fois car il avait commencé à me suivre sur Instagram. J’étais genre « Mais je connais ce mec, je connais sa musique ! », je crois qu’il vit ici, à Paris

S.C : Je ne suis pas sûre qu’il vive ici.

L.B : C’est un grand fan de comics, et de vieux jouets. Il y a aussi ce film Disney de 1979, The Black Hole (Le trou noir en VF).

CB : Je ne le connais pas, je suis trop jeune.

L.B : C’est un film de Science-Fiction sorti en 1979 que Disney a produit, avec deux robots qui flottent, et des explorateurs de l’espace. C’est comme Heart of Darkness, mais dans l’espace. Ils trouvent ce vaisseau spatial très proche d’un trou noir, avec un capitaine complètement dingue, et ils essaient de sauver l’équipage du vaisseau. Enfin bref, Kavinsky a les jouets de ces petits robots, et j’en suis un grand fan aussi, et nous avons échangé des messages autour de ça.

CB : As-tu des projets d’autres artbooks dans un futur proche ?

S.C : Si possible, je voudrais faire d’autres livres « Inside ».

CB : Inside est une marque ?

S.C : Oui, c’est ça.

CB : Qui as-tu en tête ?

S.C : Ah Ah.

L.B : C’est ce que je voudrais savoir aussi.

CB : Ça ne voudrait pas dire que tu vas le faire...

S.C : Darwyn Cook... Malheureusement il nous a quitté. Je pense à Sean Murphy.

CB : Les liens entre Sean Murphy et Urban sont connus.

S.C : Oui, exactement. Peut-être aussi des scénaristes.

L.B : Oh, ça serait super intéressant.

S.C : Paul Dini sur Harley Quinn serait un très bon choix.

CB : Ça semble très intéressant.

L.B : (chuchote) Cliff Chiang...

S.C : Cliff Chiang, OK j’ai entendu (rires) !

CB : Merci Lee et Sarah pour votre temps !

Arno Kikoo
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