Ca ne vous aura pas échappé : trois des plus gros films de l'année sont des films adaptés de comic books. Mais à la rigueur, on pouvait en dire autant des années précédentes. Ce qui est en nouveau, en revanche, c'est que ces trois films, que sont Batman v Superman pour Warner Bros, Captain America : Civil War pour Marvel Studios et X-Men : Apocalypse pour la 20th Century Fox gravitent autour du même thème : une lutte intestine opposant deux héros, ou deux groupes de héros. Hasard de calendrier ou tendance persistante pour le genre ? C'est toute la question du jour.
Une fois n'est pas coutume, revenons un peu en arrière. Même carrément en arrière, en utilisant l'analogie selon laquelle les super-héros que nous aimons tous sont en fait l'équivalent, dans la culture américaine, de notre mythologie gréco-romaine. Mais laissons de côté la pertinence de cette comparaison pour mieux plonger dans ses aboutissants : comme vous l'avez sans doute entendu ou lu durant votre scolarité, les mythologies grecque et romaine sont pleines à craquer de querelles divines, de luttes intestines entre dieux jaloux ou possessifs, et d'histoires de vengeance particulièrement sanglantes. Et si les super-héros sont bien les héritiers des dieux gréco-romains, il ne serait pas étonnant de retrouver chez eux des affrontements internes et violents. Et pour le coup, nous avons presque un siècle d'histoire des comics pour nous le confirmer : les super-héros aiment se mettre sur la tronche.
Dans la mythologie, toutes les effusions de sang et autres machinations que nous avons pu mentionner servent à souligner l'hubris si caractéristique des dieux, et ainsi, explorer leur délicate psychologie. Si on poursuit la comparaison, on peut en dire autant des super-héros. Les événements de Justice League : La Tour de Babel (dont le titre est mythologique d'ailleurs) soulignent ainsi la complexe paranoïa d'un Batman, là où le crossover Civil War et son adaptation sur grand écran mettent quant à eux l'accent sur ce control freak de Tony Stark. L'affrontement entre les super-héros n'est donc pas (toujours) gratuit. Comme c'est le cas dans les mythes, il sert à développer des personnages, qui sans ces oppositions régulières, seraient sans doute plus ennuyeux.
Ce qui nous mène directement à l'idée suivante : faire s'affronter entre eux des super-héros, qui pour la plupart incarnent le bien avec un grand "B", a quelque chose de savoureux. Pour ne pas le dire autrement, opposer nos héros entre eux tient du fantasme de l'interdit. Un plaisir transgressif, dans lequel la moindre mandale peut vous arracher un petit cri. Il suffit de jeter un œil aux nombreuses cases étant devenues cultes dans lesquelles Batman terrasse Superman pour s'en convaincre. Ou plus récemment, d'observer les réactions des fans devant la nouvelle réplique iconique de Tony Stark, lâchée dans l'adaptation cinématographique de Civil War :
En faisant s'affronter les super-héros, on s'encanaille, quelque part, avec l'impossible. Ce qui rend le concept de versus - qui donne à cet édito son titre - tout à fait addictif, non seulement pour les lecteurs, mais aussi pour les créateurs, par essence fascinés par les challenges et la nouveauté. Seulement, et comme la comparaison avec la mythologie le souligne, cet affrontement est vieux comme le monde, et donc forcément usé.
On le remarque assez bien du côté des comics books, sans même parler de leurs adaptations au cinéma. Prenons par exemple le poncif selon lequel une équipe de super-héros commence toujours par s'affronter avant de se former. C'est de la cas dans le premier numéro de la Justice League des New 52 (par Geoff Johns et Jim Lee) comme dans le film Avengers (de Joss Whedon), par exemple. Une utilisation très pratique des affrontements entre super-héros, qui est d'ailleurs encouragée par le format des comic books mainstream, généralement plus tournés vers l'action que vers la psychologie des personnages ou les couches de l'intrigue.
Il n'est pas nécessaire de citer d'autres exemples : je parie que vous en avez déjà des dizaines en tête. Ils témoignent tous d'une chose : ce concept est populaire au sein du genre super-héroïque, et ce, depuis ses débuts. Reste à savoir s'il a encore quelque chose à dire, aujourd'hui. Pour le coup, on considère volontiers que le Civil War de Mark Millar marque l'entrée des comic books dans l'ère post-11 septembre, avec une intrigue et des enjeux intimement politiques, notamment. Dans son histoire, Millar avait donc redonné un sens à cet archétype narratif bien connu des fans de super-héros. Son versus, tout en conservant une sacré dose de spectacularité, avait un sens, et qui plus est, des conséquences.
Car c'est bien tout le problème avec ce retour en force soudain du versus : il se fait dans une époque qui est quelque part redevenue insouciante, et dans laquelle le spectacle l'emporte toujours plus sur le sens. Et j'ai bien peur que 2016 ne vide ces affrontements de toute leur substance. Par le nombre, tout d'abord. Récemment, on a pu énumérer des dizaines de titres portés sur un versus, dans lesquels le concept apparaît même parfois explicitement : Batman v Superman, Batman versus Robin, Justice League vs Teen Titans, X-Men : Apocalypse (le vilain incarné par Oscar Isaac fera s'affronter les mutants entre eux), Captain America : Civil War, Civil War II, Daredevil saison 2 (décrite par son showrunner comme "Daredevil vs The Punisher") et bien d'autres que je ne listerai pas, par respect pour votre confort de lecture.
Pour reprendre l'exemple précis de Batman v Superman : si je me réjouissais il y a quelques mois de voir Warner Bros et Zack Snyder faire s'affronter deux de mes héros favoris, je meurs depuis à petit feu devant une promotion qui ne sait pas quoi faire de cette opposition aussi iconique que lourde de sens. Et si je ne peux pas m'engager sur la qualité du film, je crains qu'il ne fasse passer à la trappe toute la puissance de cette affrontement, au profit de la construction à la va-vite d'un univers partagé et des sirènes du (trop grand) spectacle. Et pour ne pas faire de jaloux, je pourrais également taper sur Captain America : Civil War, qui a de grandes chances d'être aseptisé de son contenu politique et de ses enjeux pour les besoins de la machine Marvel Studios.
Mais puisque l'état des films de super-héros n'est jamais que le reflet de la santé du marché des comics, on ne s'étonne plus de trouver, dans les fascicules qui sortent chaque mois dans les comics shops, de trop nombreux affrontements entre super-héros, qui sont devenus la formule la plus pratique de l'industrie pour gonfler les titres en enjeux et donc, en intérêt. En témoigne la fin d'un Spider-Man #1 sur lequel je me suis arraché les cheveux. A croire qu'il suffit de se servir des personnages de la maison des idées comme d'action figures se mettant sur la tronche pour être scénariste dans les big two de nos jours. Mais à l'heure où des tentpoles s'apprêtent à brasser des millions de dollars en opposant nos héros favoris, pourquoi les auteurs devraient-ils se prendre la tête, après tout ?
Il y a de bonnes raisons pour que cette notion de versus traverse toute l'histoire du genre super-héroïque, voire toute l'histoire de la fiction, si on se réfère à son socle immuable qu'est la mythologie. Elle assure un quotient de spectacle et de psychologie non négligeables, et peut servir de réservoir à bien des réflexions, comme celles, politiques, d'un Civil War. Elle peut également satisfaire les fantasmes des créateurs et de leurs lecteurs ou encore mettre les sempiternels vilains sur le banc de touche le temps de quelques numéros. Il y a mille façons d'utiliser ce concept pour servir une bonne histoire. Hélas, le versus est devenu, popularité exponentielle des super-héros oblige, un prétexte scénaristique, aussi fainéant qu'agaçant, que des films comme Batman v Superman, Captain America : Civil War ou X-Men : Apocalypse pourrait bien couronner comme tel. Mais j'espère encore me tromper.
09 Fevrier 2016
EtahryusMerci pour cet édito. Comme d'habitude, je vous trouve un peu dur avec les adaptations cinématographiques. Si évidemment j'attends que mes comics (main stream ou indé) me poussent à la reflexion sur des sujets de société ou des problèmes éthiques (et me divertissent un peu quand même), j'en attends beaucoup moins de leurs adaptations. Les films sont surtout fait pour le grand public qui n'attend des films de super héros que du divertissement. Je peux comprendre qu'un fan de comics y voit une forme de trahison mais je ne crois pas qu'il soit le coeur de cible des films. Et puis, il y a par ailleurs pas mal d'autres films qui permettent d'aborder des sujets intelectuellements enrichissants pour laisser Marvel et DC nous proposer de mettre notre cerveaux de coté le temps d'un Antman ou Deadpool. Maintenant, je compte aussi sur eux pour profiter de la manne financière apporter par le cinéma pour nous servir du comics de qualité (ce n'est malheureusement pas toujours le cas).
Ceci dit, ce n'était pas le sujet de l'édito. Pour ce qui est du "versus", effectivement c'est devenu monnaie courante mais espéront qu'il trouveront de meilleurs idées pour la(les) suite(s).
09 Fevrier 2016
Kit_Fisto, serial reviewerBel édito sur le versus, gage d'appât sur le lectorat/spectateur...
Certes ce n'est pas à chaque fois garanti de qualité mais...Ca à attire et c'est que veulent les majors du comics et du ciné !
09 Fevrier 2016
War MonarchArnaud : j'crois que c'est DC qui avait commencé ce genre de truc, les team up de Marvel au tout début c'était vraiment juste des team up c'est plus tard qu'il y a eu de la bagarre héros vs héros dedans
alors qu'avec DC on a souvent vu des héros se rencontrer, s'affronter puis s'allier
c'est vrai que c'est totalement un classique dans les comics
08 Fevrier 2016
Arnaud LehueMais le héros vs héros c'est pas la base des team-up Marvel depuis les 60's ? Les héros se rencontrent et commencent par se bagarrer entre eux, avant de s'allier face à un ennemi commun. B v S, avec Doomsday, semble s'inscrire dans cette tradition. Le cliff de Spider-Man #1 aussi (en plus l'opposition entre les deux persos semble partir sur un quiproquo)... On a tendance à voir de plus en plus de véritable héros vs héros depuis Civil War en comics, certes, mais pas mal de fois, ça reste le team-up conventionnel : on se bastonne et on se réconcilie après pour taper du vilain.
08 Fevrier 2016
peter@pokany: Tout à fait, et le problème à terme c'est que leurs adversaires sont trop laissé de côté.
08 Fevrier 2016
pokanyPerso je trouve que les héros vs héros c'est la vraie plaie chez marvel (comics) merci l'ère Bendis :/ .
C'est vraiment une facilité scénaristique pour artistes sans imaginations qui se permettent en plus de violer la mythologie de certains personnages.
08 Fevrier 2016
DoctorVin'sEn soi l'opposition entre héros a toujours été omniprésente (bien qu'amicale aux origines comme les concours entre Superman et Batman). Les adaptations en arrivent aujourd'hui à ce stade et c'est pour cela qu'on en voit de plus en plus arriver. Plutôt que de critiquer un trop-plein de versus, je préfère critiquer une politique d'alignation des médias (Films/Comics/Série Télé/Films animés...) qui nuit parfois aux histoires.
J'ai peur pour les comics Mainstream, quand je vois que les années 2000 ont quand même été du pain béni avec de vrais bons events (House of M, Civil War, Identity Crisis, Brightest Day...), de grands runs (Brubaker sur Cap et Catwoman, Morrison sur Batman), des classiques (All Star Superman,Hush...)