Si Dark Horse a toujours eu une politique de comics d'auteurs, en plus de l'exploitation de ses différentes licences et de la locomotive du Mignolaverse, la récente exposition d'Image Comics leur a permis de mettre plus en avant cette frange de leur catalogue qu'ils soutenaient jusque-là presque à perte. Aujourd'hui, c'est la nouvelle série creator-owned de Paul Tobin, un habitué de l'éditeur au cheval noir, qui nous intéresse.
Paul Tobin est le prototype de ces scénaristes que l'ont connait surtout pour être des "faiseurs" pour les deux grands éditeurs de comics. Ces types qui ont assez de talent pour s'emparer de n'importe quel sujet, héros, histoire, et en tirer un comics lisible à défaut d'être écrit avec passion. Ainsi, après avoir longtemps sévit dans la branche jeunesse de Marvel, Tobin a écrit un nombre de tie-ins, de comics de remplissage, œuvrant à l'accélérationnisme en écrivant tous ces fascicules qui viennent gonfler les étals de comic-shops et dont personne ne se souvient une semaine après les avoir lu. Surtout qu'il ajoute à cela les comics de licence de Dark Horse, de The Witcher au moins avouable Plants vs. Zombies. Pourtant, c'est encore une fois une façade. La partie peu reluisante d'un auteur qui lutte pour se faire une place alors que ce qu'il écrit pour lui, ses vraies œuvres, sont loin d'être dénuées d'intérêt. Surtout que Tobin a deux passions que l'on ne verrait pas aller ensemble a priori, les comics pour enfants (I Was the Cat), pour lesquels il a souvent été nommé aux Eisner, et les comics d'horreur (Colder), qui lui ont valu l'intérêt du célèbre prix Bram Stoker. Son nouveau creator-owned en revanche ne se situe dans aucune de ces catégories.
Mystery Girl présente une jeune anglaise qui va un jour acquérir le pouvoir de tout savoir sur tout, sauf comment elle a obtenu ce pouvoir. Elle ne va cependant pas utiliser ce pouvoir comme on pourrait s'y attendre, façon larger-scale et comics de super-héros, mais elle va plutôt installer son bureau sur un trottoir, bureau qui est concrètement matérialisé par un tapis, une chaise, une pancarte et la cage de son oiseau, et devenir une détective privée pour le voisinage. Concrètement, les gens viennent la voir et lui demandent de les aider avec leurs mystères, qu'elle résout évidemment dans la minute. En dehors de quelques coups de main aux policiers locaux, elle fait surtout dans le coup de main local. Ce côté soutien de la communauté est totalement rafraîchissant, où ce qui importe le plus n'est pas tant son pouvoir que le lien humain qu'elle tisse, la façon dont ce quartier prend vie autour d'elle.
Evidemment, le comics ne se contente pas de présenter l'héroïne, Trine Hampstead, dans ses différentes relations avec les gens du quartier (d'ailleurs, cette série est très bavarde, se construisant essentiellement grâce à ses dialogues). Paul Tobin va peu à peu tisser plusieurs intrigues. L'apparition d'un tueur à gage aux tendances sociopathiques des plus évidentes, sa relation compliquée avec un flic qui ne croit pas en ses pouvoirs et surtout une chasse aux mammouths. Et c'est peut-être là que la série risque de décevoir, car ce qu'implique cette dernière intrigue va éloigner Trine de ce ton feel-good qui fait la force de ce premier numéro. Reste aussi que le plus gros mystère, celui qui n'est pas forcément évoqué mais qui est l'ultime but de cette série, le comment du pourquoi cette jeune londonienne a cette incroyable capacité.
L'aspect foisonnant, plein de vie, de ce quartier de Londres que l'on découvre à mesure que Trine en rencontre ses habitants, devait être rendu certes par le talent de Tobin dans les dialogues, mais aussi par le dessin. C'est là qu'intervient Alberto J. Albuquerque (un lien de parenté avec Rafael ?). Le dessinateur prend visiblement un malin plaisir à donner vie à tous ces personnages criants de vie qui interviennent, à rendre leur personnalité, à vraiment les incarner dans ces pages. De la strip-teaseuse qui adore son boulot à la vieille pakistanaise qui n'arrive pas à se défaire du souvenir de son défunt mari mort au Vietnam en passant par le détective maniéré, tous sont criants de vérité, d'humanité. On aurait presque voulu suivre Trine dans ce quartier pour le reste de la série. Mais il fallait qu'elle parte à la chasse au mystère des mammouths. Ce qui va considérablement l'éloigner des considérations communautaristes.
Mystery Girl n'est clairement pas le comics de l'année. Pourtant, il s'en dégage une impression d'humanité à chaque page, si bien que sa lecture reste un très bon moment. Le risque est que le développement de l'histoire emmène notre héroïne loin de ce qui fait justement toute la qualité de ce premier numéro. À suivre donc.