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Édito #25 : La figure du super-héros est-elle suprémaciste ?

Édito #25 : La figure du super-héros est-elle suprémaciste ?

Chronique

L'une des principales et plus virulentes critiques que l'on entend à l'égard du genre super-héroïque, genre majoritairement représenté par les comics, est qu'il s'agit d'une littérature qui aurait des tendances suprémacistes. Le super-héros serait une figure absolue qui servirait de base à une philosophie prônant la loi du plus fort sur le plus faible, ces encapés capables de soulever des immeubles étant l'allégorie d'une idée qui incite à croire que nous, pauvres hères, sommes dépendants d'êtres plus puissants, naturellement plus aptes à faire régner l'ordre et la justice. Michel Gondry, qui était en pleine promotion pour Green Hornet, s'était même permis cette sortie : "Il y a une imagerie fasciste associée à l'idée des super-héros".

Des propos puissants, qui ont fait grincer bien des dents. Surtout que ces paroles rentrent en conflit direct avec l'histoire même du super-héros, Superman ayant été conçu par deux Juifs lors de la montée du fascisme en Allemagne, alors qu'Hitler annexait la Tchécoslovaquie avec l'approbation silencieuse du reste du monde. Comment un genre né de la lutte contre le fascisme pourrait être ainsi assimilé à ce qu'il est censé combattre ? Surtout que les valeurs morales exposées dans bons nombres de comics sont on ne peut plus éloignés de celles qu'avaient en têtes les fascistes de tous crins.

Pourtant, en y repensant un peu, il est vrai que ces hommes et femmes ont tout pour être les parfaits porte-étendards de théories suprémacistes. Rien que par leur apparence, ils sont généralement des parangons de la salle de sport, statues grecques n'affichant aucun défaut visible, de parfaits aryens. Quand Billy Batson devient Shazam, il passe du corps d'un enfant chétif à celui d'un héros qui n'a rien à envier à ceux qui parcourent les pages des récits d'Homère. Pire exemple, quand le brillant mais pas bien fort Bruce Banner devient l'incarnation du fantasme viril en devenant Hulk. À cette sculpturale apparence, on est obligé de citer une croyance inoxydable dans leurs valeurs, qui sont souvent celles de la justice rendue par soi-même, en dépit des lois auxquelles se soumettent la plèbe. Ces êtres supérieurs n'ont donc pas à se plier devant les lois qui régissent les simples mortels du fait de leur seule puissance.

Ce sont donc des surhommes, au-delà de la simple humanité. Rien de plus facile donc d'y voir une figure suprémaciste, affirmant leur supériorité sur le genre humain par une condition naturelle supérieure. Fi donc de l'égalité des êtres ? Pourtant, à bien y repenser, cela ressemble à la même erreur d'interprétation que celle que firent les théoriciens du nazisme quand ils ressortirent le concept de Surhomme des écrits de Nietzsche. Ce concept qu'il va définir dans les pages d'Ainsi parlait Zarathoustra fût une des bases pour justifier l'aryanisme. Ils avaient pourtant, sciemment ou non reste encore une question qui peut être soumise à débat (mais ne négligeons jamais le cynisme des penseurs politiques), interprété de travers les propos du philosophe allemand. Son concept de Surhomme ne se définissait pas en terme de nature, nul ne nait surhumain, mais le devient.

Ainsi, chez Nietzsche, le Surhomme est celui qui est animé par la Volonté de Puissance au plus haut point. Encore une fois, ce concept fut soumis à des interprétations dangereuses, car il n'est soumis à aucune règle morale, cette dernière étant une création humaine. La Volonté de Puissance, c'est ce qui pousse l'humain à voir au-delà de sa condition biologique, à devenir plus. Pour l'auteur du Gai Savoir, ce concept implique que l'on devient ce que l'on peut devenir mais que seule la volonté permet d'aller au-delà de la simple nature biologique. Là où le concept est dangereux, c'est qu'il justifie tout acte qui exprime cette volonté, même si celle-ci s'affirme dans la violence ou l'écrasement des autres. Elle n'entre dans aucune case idéologique puisqu'elle reste individuelle, même si on reste persuadé que son expression la plus accomplie est celle de la culture, cette dernière étant l'apanage de l'être humain.

De plus, le Surhomme s'entend aussi dans le sens où il est celui qui a atteint l'Éternel Retour. Autre concept fondamental de la pensée nietzschéenne, il définit que s'il l'on proposait aux hommes le soir de leur mort de revivre exactement à l'identique leur existence ou de retourner au Néant, la plupart choisirait les ténèbres inconnues du trépas, ce que Nietzsche appelle alors le nihilisme incomplet, en opposition à celui qui anime le surhumain, qui lui est animé du nihilisme complet, puisqu'en pleine possession de sa Volonté de Puissance, parcelle de celle qui compose l'univers, il n'hésiterait pas à embrasser cet éternel recommencement. Oui, encore cette foutue spirale.

Cet écart métaphysique n'est pas une errance de l'esprit, mais permet de démontrer que le super-héros en tant qu'incarnation fictionnelle du Surhomme ne pas pas être plus éloigné du fascisme. En fait, l'expression de sa puissance ne se fait encore une fois qu'individuellement, s'il se fait justice par lui-même, c'est qu'il répond à sa volonté qui lui intime de protéger ce en quoi il croit. En cela, le genre super-héroïque peut en revanche poser de nouvelles questions d'ordres éthiques, puisque le Surhomme nie toute forme de politique ou de morale humaine, si jamais celles-ci entrent en contradiction avec sa propre Volonté de Puissance, ce qui donnera d'ailleurs des récits comme Civil War, pour l'aspect schématique, ou The Dark Knight Returns, où l'on voit tout le côté "dérangeant" que peut avoir le Surhomme. Si jamais il n'obéit pas aux lois humaines, puisque ses aspirations sont désormais métaphysiques, n'est-il pas alors un ennemi à la société ? La question qui découle alors tout de suite est : Et si la société ne permet pas à l'humain d'exprimer son plein potentiel, celle-ci ne serait-elle pas inhumaine ? Question autrement plus intéressante, qui est souvent posée par des non-lecteurs de cette littérature qui plus est, que de savoir si des personnages, qui sont là pour propager des valeurs comme l'entraide ou l'acceptation de l'autre, seraient des figures suprémacistes. N'en déplaise à Michel Gondry, qui devrait pourtant avoir passé assez de temps avec Noam Chomsky pour savoir faire la part des choses entre la Fabrication du Consentement et de la littérature de loisir.

Illustration de l'auteur
Alfro
Commentaires (12)
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Avatar de Kit_Fisto, serial reviewer

Très bon édito comme d'hab' !!! Chapeau Alfro !!!

Avatar de GTkillbill

11 Septembre 2014

GTkillbill

Les schroumpfs c'est suspect quand même.

Avatar de GTkillbill

11 Septembre 2014

GTkillbill

Ca m'impressionne toujours des débats comme ça a propos de comic books! C'est pour ça que je lis du Hickman! Bravo vos éditos sont passionnants! Bah comme vous le dites la réflexion est menée par les comics eux-même ce qui les rend intéressant. Et puis il y a les X-men quoi!

Avatar de mercury

10 Septembre 2014

mercury

@Ziderm Le debat datant des années 50 ; Marvel n'existait pas encore ... il s'agit au depart d'un débat entre communistes et pro américains, chacun attaquant l'autre sur ses symbôles culturels et les accusant de suprémacisme ou d'imperialisme. Rien a voir avec Sentry .
Ce débat est le sujet de la revue "les temps moderne" publié par Jean Paul Sartre, numero 118, octobre 1955

Avatar de eddyvanleffe

10 Septembre 2014

eddyvanleffe

Tout d'abord bravo pour cet article. J'ai souvent critiqué l'aspect "Cinéma-cinémma" du site pour ne pas applaudir quand je lis un article de fond sur mon sujet favori.
C'est marrant cette idée suprémasciste du super héros parce que souvent, mon entourage assimile plutôt le genre à une sorte de symbole d 'immaturité à base de théories de Freud très mal digérées ( nous sommes de petits garçons qui ne savons pas faire face à nos problèmes et qui symboliquement décidons de nous y soustraire en nous identifiant à des mâles alpha hyper musclés, musclé. Tout ça, c'est sexuel!) Ce qui n'est pas mieux d'ailleurs, comme image sociale.
Les thèmes suprémascistes ne sont d'ailleurs pas esquivés. On ne compte plusaventures où les héros bifurquent jusqu'à dévier complétement (Kingdom Come, Injustice, Titans Tomorrow, le monde Marvel post civil War, The Authority) et franchement que je sois damné si ces aventures versaient justement dans la complaisance à ce sujet. Au contraire! Moore posait la question Who watches the Watchmen? Et puis ceux qui analysent les super héros, prennent aussi les schtroumps pour un glorification du totalitarisme et des tournantes!

Avatar de Ziderm

09 Septembre 2014

Ziderm

Beaucoup ne le savent pas, mais ces débats autour des concepts de suprématie super-heroïque, de loi du plus fort et tout le blabla du genre on en fait était inventé par les têtes pensante de Marvel, afin d'envoyer ce personnage de merde surpuissant qu'est Sentry dans l'espace afin qu'il réfléchisse à tout ça, se pose plein de questions et évite de nous faire chier sur terre au premier cross-over venu.

Sinon sans déconner c'est un débat sur lequel on peut discuter des jours entier, je me souviens l'avoir eu en cours d'ailleurs. Le genre SH est forcément souvent pointé du doigt pour ça parce qu'il est hyper exposé, mais la question se pose dans tous les domaines, dans toutes les histoires, sur tous les supports. Au delà du physique, c'est juste une question de pouvoir, un grand pouvoir implique t'il de grandes responsabilités ? Si tu penses que non t'agis pas et tu seras un lâche pour certains, et si t'agis tu seras un dictateur qui impose son pouvoir pour d'autres, et il n'y aura jamais de juste milieu qui contentera tout le monde.
Donc bon, débat sans fin.
Le physique c'est un détail, si t'es fort, t'es musclé, tant que c'est pas un truc genre tous blond aux yeux bleus m'voyez...

Avatar de jeez

09 Septembre 2014

jeez

j'avoue ne pas avoir bien saisi cet édito. D'après ce que j'ai pu comprendre, dire que le genre SH aurait des tendances suprémacistes serait une erreur d'interprétation analogue à celle commise par les Nazis à propos du Surhomme de Nietzsche afin de justifier le fascisme. Mais ensuite, on dit que le super-héros est un Surhomme mais pas un fasciste parce qu'il agit individuellement selon sa propre volonté. (au passage on confond désormais superhéros/Surhomme et suprémacisme/fascisme ce qui me semble à double titre contestable). La figure du super-héros ne fait pas la promotion des thèses suprémacistes parce que celui-ci n'aurait ni Dieu ni Maître, ce serait la conclusion ? Et alors Apocalypse (des X-men) c'est quoi, un surhomme ? Il a l'air de répondre aux critères, il agit librement, sa volonté est la seule source de ses actes. Certes ce n'est pas un super-héros, mais qu'est-ce qu'un super-héros sinon quelqu'un qui agit pour le Bien, concept humain (trop humain). En ne poursuivant pas le Bien, mais ses propres buts, Apocalypse semble réunir les conditions d'existence du Surhomme, or comme chacun sait, c'est le suprémaciste par excellence....

Avatar de mercury

08 Septembre 2014

mercury

Un debat vieux comme le monde et precedent, largement Nietzsche puisque on peut associer ce débat a l'utilisation de la Mythologie romaine et de ses heros pour assimiller les cultures conquises en cherchant bien loin.
Cependant ce debat sur le supremacisme des super heros americains date des années 40/50 ou au nom de sa detestation des ideaux americains et de sa vision idéalisée du communisme Stalinien, Sartre pubiait en france la "seduction de l'innocent" de Wertham (pourtant lui même faciste admirateur de Hitler, mais quand ça soutient son propos, autant taire les vrais intentions de l'auteur) .
J'ai toujours trouvé ce débat aussi ininteressant que de savoir si la veste en tweed de Haddock dans untel case de tintin, n'etait la signification cachée d'un desir homosexuel refoulé.... Si l'on peut douter des intentions d'un auteur dans son utilisation des heros , le heros est le vaisseau de l'intention, mais pas l'intention elle même, jugeons des auteurs mais surement pas le genre lui même. Et rappellons tout de même que les premiers super heros ont été créé par des juifs, surement pas des nazis...Ce que leur reprochait d'ailleurs les nazis et collabos pendant la guerre.

Avatar de Brutal Destr0y333r

08 Septembre 2014

Brutal Destr0y333r

@J0k3r J'ai l'impression que ton commentaire n'a aucun rapport, suis-je passé à côté de quelque chose ?
Sinon c'est marrant ce petit édito qui part effectivement sur une idée assez répandu par les non lecteurs de comics: les super héros sont fascistes parce que je passe au dessus des lois, je me fais justice moi même, on doit suivre les puissants puisque nous sommes faibles. Alors qu'ils sont sensés inspirer les hommes à leur échelle, dans le monde réelle comme dans le monde des comics puisque Superman lui même s'interdit d'intervenir dans certains conflits pour que les gens s'inspirent de ses actes plutôt que d'attendre qu'ils les sauvent.
Le but ultime du super héros est quand même de ne plus avoir a existé, que le peuple se passe de lui et évolue vers le meilleur, chacun à sa manière certes, parfois c'est complètement taré mais le concept même c'est effectivement l'opposé absolu u fascisme. Enfin c'est comme ça que je le perçois.

Avatar de fëanor curufinwë

08 Septembre 2014

fëanor curufinwë

"Comment un genre né de la lutte contre le fascisme pourrait être ainsi assimilé à ce qu'il est censé combattre ? "
Tout simplement parce que, en temps de paix, les pseudo intellectuels, l'intelligentsia culturelle bobo internationale, ne supporte pas les distractions populaires, ne les comprend pas (elle ne cherche pas à comprendre de toute façon), et ce qu'elle considère indigne de sa personne, elle fera tout pour le diaboliser, afin de préserver "nos chères têtes blondes".
Et bien sûr, quoi de plus efficace que la loi de Godwin, aussi absurde et hors de propos fût-elle, pour pousser un genre à la diabolisation ?

Avatar de Mr.No

08 Septembre 2014

Mr.No

Si l'article est intéressant dans sa réponse, j'ai toujours trouvé que la critique du comics en super-héros = fasciste terriblement feignante. Ça permet vraiment de justifier de manière facile qu'on aime pas le genre... Sachant surtout que le comics de super-héros s'interroge lui-même sur ces questions là depuis un bon bout de temps (Watchmen, TDKR, toute l’œuvre de grant morrison ?). Après il y a des questions beaucoup plus intéressantes, à mon sens, à adresser au genre super-héroique et notamment comment les deux majors DC et Marvel marche sur la corde raide entre ambition artistique et capitalisme forcené par exemple...

Avatar de J0k3r

08 Septembre 2014

J0k3r

Je pense que la majorité des gens qui lise des comics cherche une image de super héros virile ou hironique mais j'ai du mal a voir un homme aussi virile que thor en femme et que le playboy milliairdaire de tony stark entouré de femme casserais le mythe du drageur psq je le voie mal dragué 4 meuf en meme temps ... bref je trouve que non ce n'est pas du matchiste si il veulent faire de nouvel serie avec des feme en perso original certe , MAIS ne touché pas au base du comics !!!!!!!