Difficile de passer à côté de l'anniversaire de Batman. Ce cher défenseur du faible et de l'opprimé (et des intérêts de sa multinationale) fête donc ses 75 ans. Trois quarts de siècle à avoir au moins une série (mais le plus souvent une petite poignée de titres se déroulant conjointement) qui publie ses aventures, montrant que le Chevalier Noir ne s'arrête jamais de combattre le crime. Impressionnant, l'homme Chauve-Souris force le respect.
La question étant de savoir désormais, s'il va pouvoir continuer sur cette voie soixante-quinze ans de plus. Forcément, au bout d'un moment il va sentir des douleurs aux articulations et ressentir la vacuité de tout cela pour laisser la place à des plus jeunes. Ou pas, s'il l'on considère déjà que ses jeunes disciples ont la fâcheuse habitude de passer l'arme à gauche, il va avoir du mal à assurer la relève. Si personne n'a la bonne idée de cotiser pour sa retraite, Bruce Wayne va devoir assurer par lui-même, et DC Comics compte bien là dessus.
Déjà parce qu'en dépit de tous les facteurs extérieurs, Batman reste leur titre le plus vendeur, voire le comics le plus vendu de l'industrie. Ils ne vont donc pas se faire prier pour lui assurer un avenir radieux, surtout dans une période où le genre super-héroïque est revenu dans une meilleure forme et où la culture comics semble vouloir s'emparer de l'ensemble de l'industrie du divertissement. Pas évident pourtant, ce genre de période étant temporaire et l'Histoire imprimant un constant recommencement, il faut aussi prendre en compte que le héros à super-pouvoirs risque de lasser sur la longueur, surtout quand le public va avoir besoin d'autre chose qu'une figure tutélaire, en témoigne les difficultés actuelles de Superman à émerger.
Il existe pourtant une différence fondamentale entre les deux figures de proue de DC Comics. Superman, l'aîné, est apparu face à la montée des régimes fascistes et sur les cendres de la Grande Dépression. Si la Seconde Guerre Mondiale permet encore de réunir les dirigeants du "Monde Libre" pour se faire des sourires cordiaux qui n'en disent pas moins, elle reste l'une des dernières guerres idéologiques (même si un pragmatisme certain était déjà à l'œuvre). Ainsi, Sup' est vecteur d'idéaux et d'une morale qui sont difficilement compatibles avec l'époque actuelle. Ce que cela nous dit sur notre monde reste un autre débat, mais quoiqu'il en soit le Dernier Fils de Krypton a tendance à devenir un anachronisme narratif auquel il devient difficile de s'identifier.
En revanche, la création de Bob Kane et Bill Finger est fait d'un autre métal. Forgé sur une menace bien moins éloignée que celle des montées fascistes, il est né de la violence des rues, du crime ordinaire. Sa chrysalide est un double meurtre pour une raison aussi futile qu'un collier de perle. Une absurdité qui reste chevillée à jamais à l'identité du Chevalier Noir et qui est en revanche bien plus proche de notre quotidien. L'essence de Batman en fait un personnage éternel (avec Batman : Eternal, le message de DC est clair). Il affronte une violence du quotidien que nous comprenons tous, avec ses moyens d'être humain qui a poussé ses capacités au maximum pour pallier à ses faiblesses. Un message bien plus compréhensible aujourd'hui que celui de s'en remettre à une figure messianique ayant presque tous les pouvoirs.
Savoir s'il peut donc de nouveau affronter soixante-quinze ans de publication amène forcément à se poser la question de l'universalité de Batounet. C'est un point que l'on répète souvent avec lui : pour chaque auteur il existe un Batman différent. Comme si tout le monde pouvait s'en emparer et en donner sa vision, et qu'à la fin, il reste tout de même Batman. Il est fait de cette argile qui sait se tordre sous les mains de l'artiste pour rester quand même lui-même, il est la sculpture cachée dans le bloc de marbre. En 2089, est-ce que nous lirons encore du Batman ? Peut-être pas, mais il y a fort à parier que de nouveaux films, jeux, ou toute autre œuvre culturelle, continueront à faire perdurer le mythe d'un personnage qui est devenu aussi iconique qu'un Dracula ou un Gulliver. Le genre de héros qui hante constamment l'inconscient collectif.