En bon adepte de la contre programmation, j’avoue que la tentation de continuer ma petite rétrospective Crossgen a été très tentante. Mais je me suis quand même dit qu’il serait plus sage, eu égard aux lecteurs de passage, de piocher dans ma caverne au trésor pour voir s’il n’y traînait pas une petite perle mettant en scène Superman.
Et, coup de bol extraordinaire, je suis tombé sur le diptyque Superman #168/Detective Comics #756 écrit par Jeph Loeb et Greg Rucka, et dessiné par Ed McGuinness et Coy Turnbull.
L’intrigue se déroule pendant l’époque où Lex Luthor était président des Etats-Unis (en 2001 « en vrai », je vous laisse deviner avec qui un parallèle prémonitoire était possible...). Et il se trouve qu’à l’époque, le machiavélique chauve était aussi en possession d’un anneau en kryptonite, potentiellement fatal pour Superman. Une situation qui ne ravit ni Batman, ni Lois Lane, alors mariée audit Superman.
Le duo va donc échafauder un casse à la Maison Blanche pour récupérer la dangereuse babiole. Seul petit hic : il vont se heurter à Superman lui-même, qui estime que Luthor ayant été élu démocratiquement, il ne faut rien tenter contre lui tant qu’il ne faute pas le premier.
L’intrigue est rondement menée par le duo Loeb/Rucka, avec son lot de rebondissements, une pirouette finale bien trouvée et même quelques gags sympathiques ça et là. Mais surtout ce diptyque condense en 44 pages à peu près tout ce qu’il y a d’intéressant à propos de Superman et de sa relation avec Batman.
On assiste par exemple en ouverture à un dîner en famille chez Clark et Lois, en compagnie de leurs parents respectifs. Et en une séquence Loeb réussit à humaniser son super-héros avec brio (et à caser Krypto, une des obsessions du scénariste). Mais surtout il réussit à faire de Clark et sa vie un peu plus qu’une façade derrière laquelle Kal-El se cache. Il dresse aussi le portrait d’une Lois audacieuse, qui n’a pas peur de prendre des risques pour servir son apostolat journalistique.
L’attitude de Superman est à l’image de ce à quoi le personnage nous a habitué à priori : Mr American Pie, qui respecte les règles même si ça doit lui coûter. Notez que dans cette dernière phrase il y a deux mots particulièrement importants mais sur lesquels je ne peux m’appesantir sous peine de déflorer l’intrigue.
Par contre je peux insister sur la façon admirable dont la relation entre Batman et Superman est mise en scène. En fait, c’est la quintessence de cette relation qui est résumée en deux numéros. Il y a la sincère complicité, l’amitié bien réelle, mais aussi la tension, la méfiance omniprésente et une touche de manipulation. C’était encore plus vrai à l’époque, puisque l’arc de JLA « La Tour De Babel » était encore récent (où Batman jouait un très sale tour à ses coéquipiers, pour faire court sans spoiler). Mais ça reste pertinent indépendamment du contexte et de la continuité.
Artistiquement on est aussi face à une vrai réussite puisque ce sont deux pattes graphiques radicalement opposées qui vont s’entremêler sans heurt (et quel beau parallèle à faire avec les mondes de Batman et Superman, l’ombre et la lumière). On passe en effet sans problème des dessins hyper dynamiques, limite cartoon/manga d’Ed McGuinness au style beaucoup moins flamboyant de Coy Turnbull. Mais surtout il y a un travail génial au niveau des couleurs.
En effet à l’époque Detective Comics était systématiquement coloré par (Wildstorm FX) en utilisant uniquement deux couleurs (ici le rouge et le gris, encore un symbole), qui variaient selon les arcs (j’en avais déjà parlé ici). Mais Superman avait une coloration plus classique. Alors, pour assurer la cohérence graphique de l’ensemble, les coloristes de Superman (Tanya et Richard Horie) se sont mis au diapason de ce qui se faisait sur Detective Comics, mais uniquement pour les passages où Batman est présent. Une véritable trouvaille qui fonctionne parfaitement et donne un véritable cachet au dessin.
Ce diptyque Superman #168//Detective Comics #756 est donc à la fois une très bonne histoire avec Batman dans le rôle d’un Danny Ocean encapé, un aperçu d’un Superman réellement humain, mais aussi et surtout l’illustration parfaite de la relation entre les deux héros. Vous y trouverez synthétisé tout ce qui les rend si géniaux, et leur association plus encore. Et Krypto.