Quand Glénat Comics avait annoncé le contenu son catalogue, on avait été plutôt surpris d'y retrouver Superstar. Pas le plus ronflant et clinquant des titres à leur disposition, et pour être honnête, personne ne l'avait encore vraiment en mémoire à l'exception peut-être des amoureux transis des deux auteurs. Pourtant ce choix a une raison d'être, celle de présenter une histoire qui vaut la peine d'être lue. Et pour un éditeur, c'est un peu le nerf de la guerre.
Superstar, c'est d'abord une histoire de publication compliquée. Une série prévue pour un fanzine créé par Kurt Busiek lui-même mais qui ne verra jamais le jour avant de connaître un sursaut chez IDW puis Image. Pas simple donc, mais qui ne doit pas nous faire oublier les qualités du titre. Ce qui est sûr avec le scénariste de Marvels, c'est qu'on sait que ce qu'on lira de lui ne sera jamais bas du front. Il a toujours cette obsession de confronter le héros idéaliste du Golden Age à notre monde moderne, et d'ainsi en dire beaucoup sur notre époque. En fait, c'est en substance toujours la même histoire qu'il écrit. Là où un Mark Waid qui partage la même obsession va pouvoir s'imposer des variantes, Busiek lui explore encore et toujours le même filon. Il prend tout d'abord ce héros lumineux, presque au-dessus de tout soupçon, pour venant d'une époque où tout était plus facile et où le Mal était mauvais et les gentils de vrais bons gars. Ensuite, il va le confronter à une époque où les codes sont plus flous, teintés de gris.
Ici, c'est le prisme de la célébrité et de la starification qu'il utilise pour déstabiliser ce héros presque lénifiant d'idéalisme, développant l'adage qui veut qu'on "doit être connu pour ce qu'on fait, pas faire ce qu'on fait pour être connu". Il vient du Montana dont il aspire sans cesse à retrouver les grands espaces tranquilles et se refuse (à la manière du héros d'Into The Wild) au travail de bureau, qui pousse à la corruption selon lui. Corruption ici symbolisée par son père. On l'aura compris, il est un peu rétrograde et manque de nuance dans son jugement. Là où cela devient intéressant, c'est qu'il va être obligé à son corps défendant d'accepter d'utiliser le star-system, car son pouvoir augmente avec la dévotion des gens. Il va faire le choix de renier certains de ses idéaux afin de pouvoir oeuvrer pour le bien de tous. Jusqu'à ce que son père, qui gère son image publique, aille trop loin et le vende comme un simple objet marketing. Comment ses idéaux, qui ont parfois la naïveté d'un Jean-Jacques Rousseau, vont s'adapter à un monde qui a peut-être un problème mais qui est ce qu'il est ? Tout ça bien sûr en affrontant un vilain qui renforce la métaphore du contrôle des masses.
Pour être honnête, lire du Kurt Busiek, c'est parfois ce confronter à un docteur du Temple. S'il n'est pas passéiste, on remarque tout de même qu'il a beaucoup de mal à adapter son jugement de valeur à l'époque moderne, tel un éternel nostalgique. Bien sûr, tout n'est pas faux dans cette réflexion, à trop accepter les changements on finit par se leurrer sur le bien-fondé de ceux-ci. Mais le problème avec cet auteur, c'est qu'on a parfois l'impression qu'il ressasse le même monologue encore et encore, quelque soit son oeuvre. Comme s'il était fermé au dialogue. Un peu lassant quand c'est la dixième production de son crû à laquelle on est confronté. Même s'il fait preuve de retenue et qu'il est assez intelligent pour, au sein même de son récit, se rendre compte que ses opinions doivent parfois gagner en souplesse. Dans Superstar, il en vient à une semi-prise de conscience, mais il le fait avec tellement de regrets et de difficulté que le final en devient décevant. D'autant plus que dans son amour pour le Golden Age, il en oublie parfois que certains codes scénaristiques sont pour ainsi dire éculés.
Reste que l'on a aussi le droit à cette oeuvre grâce à un génie canadien. Car Busiek aura eu du mal à trouver son dessinateur. Imaginez un peu la scène: "Cela te dit de travailler sur une série où tout est à faire, du chara-design à la mise en page, pour une publication dans un magazine qui n'est pas sûr de voir le jour ?". Il en a vu passer des collaborateurs, Paul Ryan et Alan Davis s'y sont essayé (et d'ailleurs le bonus de l'édition de Glénat leur rend très bien hommage, tant ils ont abattu de travail pour des clopinettes). Un seul aura tenu, Stuart Immonen. Pas la star d'aujourd'hui, mais déjà du talent dans chaque fibre de son corps. D'un design inspiré (où il aura encore dû composer avec le côté obsessionnel de Busiek) à une mise en page dynamique, il éclabousse toute les pages de sa maestria. Avec un coup de crayon très sûr, il dynamite un récit qui aurait pu tomber dans la pire des rigidité pour en faire une histoire pleine d'action et de vie, tout en gardant un côté incroyablement lumineux.