Les amoureux de trench-coat et d’accent britannique ont vécu la fin de ligne Hellblazer chez Vertigo, pour un transfert en D1 chez Dc Comics, comme une trahison et la fin des haricots. Rebaptisé Constantine pour des raisons d’association plus rapide, ce sont Jeff Lemire, Ray Fawkes et Renato Guedes qui héritent de ce que certains appellent « la patate chaude ». Seulement voilà, préférez-vous l’arrêt net d’une série peu vendeuse ou qu’elle continue de vivre ailleurs? Comme si Buffy saison 8 n’avait pas lieu d’exister en comics et uniquement dans son format d’origine. Rien ne sert de râler quand il faut lire à point.
La règle de base dans un essai magique est qu’il y a toujours une entité démoniaque, plus puissante et dangereuse que la précédente. Cela se règle alors de deux manières, soit par la ruse, soit par un artefact secret qui enfermera le vilain pas beau dans un réceptacle (un arrosoir ou un bilboquet). Simpliste certes, mais c’est que l’on aime; le fameux ressort classique qui dit que "le prochain est plus fort encore", utilisé partout et tout le temps.
Appelez cela sécurité ou conscience mais il est bon d’admettre que Jeff Lemire sait écrire ce genre de titre et que DC Comics ne s’est pas trompé. Le scénariste a l’art de faire passer des dialogues incohérents pour des incantations magiques, c’est tout le flegme et la cocasserie britannique qui ressortent de ses pages. Sautant du coq à l’âne puis de l’âne au chorizo, n’attendez pas non plus une lecture carrée et parfaitement structurée. C’est une marque de fabrique, à la fois de Lemire et de Constantine, faire d’un écrit un jeu de piste et un foutoir magique. Les explications peuvent attendre, Constantine est détective du surnaturel et les réponses n’arrivent qu’à la fin.
La magie a toujours sa part de mystère et Lemire, via ce premier chapitre, la cultive avec grand soin. Un début de numéro flou et nageant dans la brume nous est présenté, sans explication ou même de support pour la continuité. Lâché dans l’immensité de la magie, le lecteur peut être rebuté par ce manque d’intérêt qui lui est porté; « si tu veux rester n’espère pas être guidé ». Et après tout cela n’est pas bien grave puisqu’il suffit de suivre aveuglément le blond mal rasé pour au final être accroché à son récit. Si tout n’est pas toujours clair, le plaisir de lecture est toujours présent, tout est calibré pour aimer Constantine, même le dessin.
Le style tranché de Renato Guedes n’est certes pas parfait mais se distingue tellement du reste de ses pairs, qu’il apparaît comme un choix parfait pour une série qui aimerait tant sauter à pieds joints dans la boue pour se salir intentionnellement.
Ce n’est pas un must en terme d’illustration, l’encrage et la colorisation de Marcelo Mialo pouvant donner quelques réticences, mais il serait absurde de les qualifier de mauvais. Au contraire le titre adopte un concept visuel intéressant et qui une fois repéré prouve que le titre ne s’est pas fait à la légère. John Constantine est toujours au centre de la case, un peu plus clair et détaillé que les autres. Cet aspect «focus» sur le trench-coat pour flouter légèrement l’arrière plan, montre bien l’intention des auteurs. Il n’y a qu’un personnage important : John Constantine, la fin du numéro constatera ces dires.
Les soucis liés au changement n’intéressent vraiment que ceux qui veulent y porter intérêt. Adressé au lecteur qui connaît à peine les frasques de l’anglais, le titre n’est pas introductif mais encore moins mauvais. Il est publié et c’est déjà une victoire en soi, ce alors que beaucoup de ses confrères sont encore au fond du puits. Égocentrique jusque dans le dessin, Constantine #1 est une bonne lecture, attachante et que l’on aura plaisir à retrouver par hasard au milieu de sa pile, à l’instar de Justice League Dark pour ne citer que celui-ci, par pur hasard bien entendu.