Malgré une baisse de régime
significative de mon activité comicsbloguienne qui a valu à Jeffzewanderer de s'occuper quasi-intégralement des Reviews Express
ces dernières semaines, ce grand homme a tout de même eu la bonté
de me laisser sa rubrique pour la deuxième fois et je l'en
remercie !
Trêve de bavardage. Venons-en au trésor de
la semaine. Habitué que je suis à crier mon amour inconditionnel
pour les travaux de Jeff Lemire et Rick Remender, j'ai décidé de
changer de registre et de présenter à ceux qui seraient passé à
côté un petit bijou que l'on doit à Eric Powell : Chimichanga.
Histoire présentée sous forme de conte cartoonesque, burlesque et
complètement barré, Chimichanga ravira les plus jeunes (sous
réserve qu'ils lisent l'anglais, l'œuvre n'ayant pas été traduite
chez nous à ma connaissance) et les plus vieux.
A
l'origine publié sous la forme d'une mini-série de 3 épisodes en
noir et blanc chez Dark Horse, Chimichanga est maintenant plus facile
et plus intéressant à se procurer sous sa forme hardcover. Ce petit
ouvrage qui vous coûtera 15$ regroupe l'ensemble de la mini ainsi
qu'une histoire courte supplémentaire, le tout colorisé par Dave
Stewart (Goon, Hellboy, DC : The New Frontier, Lex Luthor :
Man of Steel...) et accompagné d'un sympathique sketchbook en bonus.
Alors, Chimichanga, de quoi ça parle ? Des dangers de
la nourriture mexicaine ? Pas vraiment. L'histoire suit les
déboires de Lula, une jeune fille à barbe issue d'un cirque
ambulant aux personnages plus colorés les uns que les autres. De Gene le clown indifférent à Ezmeralda et son incroyable chèvre à
deux yeux en passant par Heratio, le poisson au visage de garçon,
l'ensemble des personnages secondaires fait sourire de par sa seule
existence.
A l'heure du iPhone, ces losers itinérants ont du
mal à joindre les deux bouts. Alors qu'elle s'en va faire un tour
pour déguster une délicieuse Chimichanga, Lula tombe sur une
sorcière accablée de problèmes gastriques plutôt dérangeants qui
lui offre un gros caillou violet contre quelques poils de son menton
garni. Le caillou s'avère être un œuf duquel émerge très vite
une grosse bête à poil que Lula nommera Chimichanga, en hommage à son plat
favori. De là démarre une odyssée moderne et fantaisiste dont il
vous sera certainement impossible de décrocher avant la dernière
page.
Ceux qui lisent The Goon retrouveront ici ce qui a fait
le succès de la série et plus encore. Derrière des dessins ronds,
fluides et enfantins, le sens de la réparti de Powell insuffle une
profondeur déconcertante à son casting. Chaque intervention de la
petite Lula a manqué d'avoir ma peau tant j'ai souvent manqué de
m'étouffer de rire (j'exagère à peine). La visite du cirque et la
découverte de ces habitants fait figure de véritable abîme de
créativité. Chaque idée, chaque concept, semble évident tant la
progression de l'histoire ne souffre d'aucun accroc. Vous rigolerez
pendant 50 pages, serez indigné le temps des 10 suivantes pour enfin
retrouver le sourire pour le reste de la journée après avoir
atteint la conclusion parfaite de ce récit sans faille.
Au-delà
de son humour inter-générationnel implacable, Chimichanga a aussi
la prétention d'expliquer les ressorts de l'industrie pharmaceutique
et du capitalisme sauvage aux plus petits. A travers l'incursion de
l'innocence de Lula dans ce monde où le sens moral a laissé sa
place au pouvoir du billet vert, Powell livre une vision aussi
grossière qu'indiscutable des ressorts de l'économie moderne et de
ses dures exigences. Un portrait d'une réalité qui fera sourire
amèrement les plus vieux et donnera matière à réflexion aux plus
jeunes comme savent le faire les meilleurs contes.
Humour, aventure, réflexion, émotions... L'histoire de Chimichanga offre tout ce qu'on peut attendre d'un bon comic, d'un conte moderne. Côté graphique, le hardcover offre la chance de retrouver le duo qui a fait le succès de The Goon. Le trait si particulier de Powell retrouve ainsi les couleurs de ce génie de Dave Stewart, l'homme qui sait adapter sa palette à des style si diamétralement opposés que ceux de Darwyn Cooke et Lee Bermejo. Autant rien n'est à jeter dans Chimichanga, autant on n'oserait pas en demander plus tant l'impression d'avoir entre ses mains un objet parfait se fait forte. Recommandé à tous et aux autres !