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L'interview de Mike Carey (The Unwritten, X-Men Legacy, Lucifer...)

L'interview de Mike Carey (The Unwritten, X-Men Legacy, Lucifer...)

InterviewDc Comics

Rencontré à la Comédie du Livre à Montpellier, le talentueux auteur britannique (et parfait gentleman) a accepté de nous accorder une interview par mail. Il y nous y parle entre autres de The Unwritten, revient sur ses runs sur les X-Men et Lucifer, et évoque son avenir.

Pour commencer pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs et nous parler un peu de votre carrière ?

Bien sûr. J’ai commencé par travailler pour des éditeurs de comics indépendants, d’abord au Royaume Uni puis en Amérique. J’ai fait ça pendant pas mal d'années, et j’ai envoyé mon travail aux éditeurs de DC à mesure qu’il était publié, jusqu’à ce qu’Alisa Kwitney m’invite à proposer des idées pour The Dreaming, l’une des nombreuses suites du Sandman de Neil Gaiman. A la suite de ce processus, j’ai fini par écrire la mini-série The Sandman Presents Lucifer, puis plusieurs petits projets individuels pour Vertigo. Jusqu’à ce que je réalise mon rêve de me voir offrir une série régulière mensuelle, Lucifer.

Depuis les comics ont été au centre de ma vie professionnelle. J’ai écrit exclusivement pour DC pendant de nombreuses années, puis pour DC et Marvel, et maintenant il semble que je sois de retour chez DC. En chemin j’ai écrit pour de nombreux autres éditeurs. J’ai aussi commencé à écrire des romans, des scénarios pour la TV et des films, des jeux vidéo, des émissions de radio et des nouvelles. J’aime écrire pour différents média. Je pense que ça permet de garder de la fraîcheur, en tant que créateur, de se diversifier comme ça.

En ce moment je n’écris qu’un seul comic de manière mensuelle : The Unwritten. Mais j’ai une mini-série qui sort chez Raw Studio l’année prochaine, et un autre pitch chez Vertigo qui pourrait être accepté.

The Unwritten Mike Carey comicsblog interviewCommençons donc par The Unwritten. Comment la série est-elle née ? D’où vous est venue l’idée ?

Beaucoup de chose ont été réunies. Peter [Gross, dessinateur de Lucifer] et moi avions très envie de retravailler ensemble depuis la fin de Lucifer. En fait, même avant, nous proposions des idées à Vertigo et essayions de lancer une nouvelle série. Mais rien n’a pris, et après un moment on s’est éloigné et on a fait d’autres choses. Peter a travaillé avec Mark Millar sur American Jesus. J’ai fait Crossing Midnight et X-Men.

Puis on s’est vus à la San Diego Comic Con, il y a environ cinq ans, et on a fait un brainstorming – nous deux et Pornsak Pichetshote, un éditeur de Vertigo. J’avais une idée à propos d’une trompette dans la mythologie Hindu qui annonce le début d’une nouvelle Yuga, une nouvelle ère pour la Terre. Et Peter avait l’idée de suivre deux fois l’histoire de la même personne, d’abord dans le monde réel puis dans une histoire où quelqu’un en aurait fait un personnage de fiction.

Et, comme ça, tout a fini dans la même histoire, avec en plus l’ingrédient magique Christopher Milne –qui est le Christopher Robin des livres Winnie L’Ourson. Nous avions clairement son histoire à l’esprit quand nous avons mis en place le pitch de The Unwritten. C’était un homme qui portait le fardeau d’être le personnage de fiction de quelqu’un d’autre, et qui a beaucoup essayé de se définir par lui-même, mais qu’on a toujours plus connu comme l’enfant héros des livres de son père. C’est évidemment très pertinent par rapport au dilemme de Tom [Taylor, le héros de The Unwritten].

On peut aussi dire sans risque qu’il y a aussi des références très claires aux livres Harry Potter à travers les aventures fictives de Tommy Taylor, surtout au début de la série. Quand cet « ingrédient » a-t-il été ajouté, et pourquoi ?

On voulait- je pense qu’on avait besoin- d’avoir un archétype iconique au début de l’histoire, que tout le monde reconnaîtrait immédiatement et auquel s’identifier. L’ « enfant sorcier », vu dans de nombreux récits de fantasy, y compris Harry Potter, nous a fourni un bon point de référence. Mais ce n’est vraiment pertinent que pour le dilemme existentiel de Tom, et on s’est éloigné très vite de ce modèle. C’est triste que certains lecteurs aient pensé qu’on ne faisait QUE pasticher Harry Potter, et nous ait condamnés pour ça.

C’est vrai qu’il y a beaucoup de clins d’œil et références littéraires dans la série, dans des registres très différents (Le Léviathan de Thomas Hobbes, Moby Dick, Frankenstein…). Comment choisissez-vous à quels auteurs ou livres faire référence ? Est-ce que ça dépend de la façon dont ils font écho à l’histoire que vous voulez raconter ?

Oui, beaucoup. Souvent on choisit des histoires qui fonctionnent comme des métaphores pour un élément clé de notre histoire. Frankenstein et Harry Potter sont tous deux des analogies pour Tom, de manières différentes. La symbolique de la baleine fonctionne différemment, mais, à travers le Léviathan de [Thomas] Hobbes, se rattache à un autre genre de méta-commentaire sur le pouvoir de la volonté collective ou de la croyance collective.

Mais parfois on inclut juste quelque chose parce qu’on l’aime. Moby Dick aurait été inclus qu’on puisse faire marcher le symbole de la baleine ou pas. Et pareil pour Beatrix Potter [écrivain du début du XXème siècle connue pour ses livres destinés à la jeunesse]. On avait déjà une histoire des « Willowbank Tales » [pastiche des écrits de Potter] en tête avant d’avoir l’idée de Pauly Bruckner [un vilain de The Unwritten] et de son odyssée tragi-comique.

The Unwritten Mike Carey comicsblog interview 

Seriez-vous d’accord pour dire qu’au fond, The Unwritten est une histoire à propos du pouvoir des histoires ? Et est-ce un thème auquel vous aviez déjà pensé ? (Notamment dans Lucifer #70 où le personnage nommé Martin parle de la magie des histoires et de leur capacité à changer la perception du monde.)

Oui, c’est le thème clé de The Unwritten – Et je suppose que vous avez raison de dire que c’était présent dans mon travail de manière sous-jacente depuis longtemps. Dans Lucifer et Crossing Midnight il y avait des numéros où les personnages racontaient des histoires à tour de rôle au cours de l’histoire principale. Dans Crossing Midnight, le récit faisait partie d’un sort, et les histoires qui en résultaient – surtout la dernière – avaient une sorte de pouvoir performatif. Quand les histoires avaient été racontées, les relations entre les personnages avaient changé irrévocablement.

J’ai de plus en plus l’impression, en vieillissant, que Wallace Stevens [un poète Américain] avait raison quand il disait « les mots du monde sont la vie du monde ». Les histoires définissent nos perceptions, et nous vivons en fait dans nos perceptions, plutôt que dans la réalité basique. Nous ne sommes pas bien adaptés pour voir et interagir avec la réalité. Alors à chaque niveau, du psychologique au cosmique en passant par le politique et social, nous meublons le monde avec les histoires dont nous avons besoin pour survivre.

En parlant de thèmes récurrents, Tom Taylor comme Lucifer luttent contre ce que leur père a voulu faire d’eux, contre leur destin. Ils essaient tout deux de se réaliser par eux-mêmes. De même que Rogue dans X-Men d’une certaine façon (moins l’histoire du père évidemment). Est-ce que cette lutte est quelque chose qui vous attire particulièrement en tant qu’auteur ?

Je suis obsédé par les relations parents-enfants, et par les familles en général je suppose. Je pense que les familles sont le contexte dans lequel nous sommes faits ou défaits – d’où viennent tous nos atouts et nos faiblesses. Alors j’écris beaucoup sur les familles. Et j’écris à propos de l’influence que les parents ont sur leurs enfants. La façon dont on doit en quelque sorte lutter contre ses parents, pas dans un sens Freudien, mais dans un sens plus réel et concret, pour devenir soi-même. Vos parents verront toujours l’enfant en vous, même s’ils respectent l’adulte que vous êtes. Il y a un moment dans la vie ou vous devez leur proposer une autre définition, ou continuer d’être cet enfant.

X-Men Mike Carey comicsblog interviewPour passer à un autre sujet, comment en êtes vous arriver à écrire les X-Men ?

C’était essentiellement du bon timing. J’avais un contrat d’exclusivité avec DC à l’époque, et j’essayais d’écrire pour l’univers DC. J’ai proposé des histoires pour Superman, Batman et Firestorm, et même écrit des scripts pour tous ces personnages, mais aucune de ces histoires n’est jamais sortie. C’était évident que je n’irais nulle part dans l’univers DC.

Mais cet été (celui de 2005, je pense) je suis allé à la San Diego Comic Con et j’ai rencontré beaucoup d’éditeurs Marvel, dont Michael Marts et Axel Alonso. Ils m’ont dit de les contacter quand mon contrat d’exclusivité se terminerait, si je voulais écrire pour Marvel. Alors je l’ai fait. J’ai pris contact avec eux vers la fin de l’année, et entamé le dialogue. Et Mike Marts, le moment venu, m’a proposé de faire un pitch pour les X-Men. Le pitch se présentait comme un roster pour l’équipe et quelques notes sur les personnages. J’ai choisi une équipe très étrange – Rogue, Mystique, Iceman, Cannonball, Sabretooth, Lady Mastermind, avec Cable et Omega Sentinel comme ajouts ultérieurs. J’avais l’idée d’une équipe très instable avec beaucoup de potentiel pour des conflits internes.

Et Mike a approuvé le pitch, et on est parti.

Utiliser des personnages peu connus, ou des personnages dont on ne se serait pas attendu à ce qu’ils soient des X-Men, a en effet été votre marque de fabrique pendant votre run (Legion, Frenzy…). Pourquoi avoir choisi ce genre de personnages ?

Je ne faisais pas exprès de choisir des personnages obscurs – Je cherchais juste des personnages dont je pensais qu’ils avaient besoin d’être revisités. Omega Sentinel était un exemple type. Chris Claremont avait fait une mise en place superbe avec Karima [Omega Sentiinel], puis il a semblé que personne d’autre ne voulait l’utiliser. C’est un des effets secondaires de la taille du casting des X-Men.  Certains personnages sortent de la lumière, et se perdent. J’aime les déterrer, les épousseter un peu et les remettre sur le devant de la scène. Et l’opposé est vrai aussi : je n’étais pas très attiré par le noyau de personnages qu’on voyait dans tous les autres titres X-Men. Il ne semblait pas y avoir grand intérêt à donner plus d’exposition à des personnages comme Wolverine, Cyclops et Emma – même si je n’ai pas manqué de les utiliser quand l’histoire le réclamait.

Et pourquoi avoir fait de Rogue le personnage central du titre ?

Il y a beaucoup de réponses différentes à cette question, mais celles qui comptent le plus sont que j’adore le personnage et que je pensais que je pourrais faire des choses intéressantes avec elles dans une série mettant en scène une équipe. J’ai beaucoup, beaucoup apprécié sa compagnie, et quand j’ai quitté la série, je pensais avoir encore des histoires que je voulais raconter à son propos.

Je suppose qu’une de ces choses intéressantes a été de la faire réussir à finalement contrôler ses pouvoirs. Est-ce que contredire ce qui était devenu un truisme des comics (que ne pas pouvoir toucher les autres était ce qui définissait Rogue en tant que personnage) a été une décision difficile ?

Non, vraiment pas. C’était quelque chose que j’avais franchement très envie de faire, exactement pour la raison que vous venez de mentionner. C’était un concours de circonstances qui avait fini par définir Rogue en tant que personnage, et ça ne me plaisait pas. Je voulais lui faire franchir ce goulot d’étranglement et la mettre dans de nouvelles situations. Et les éditeurs des titres X m’ont totalement soutenu pour ça. En fait, je pense que Daniel Ketchum, mon éditeur, y tenait autant que moi.

Vous avez parlé d’avoir encore des histoires à raconter à propos de Rogue : y a-t-il un espoir de vous voir revenir sur le personnage ?

J’adorerais. La seule raison pour laquelle j’ai arrêté d’écrire X-Men Legacy c’est parce que j’avais une tonne de travail sur des romans et scénarii à terminer, et j’avais des problèmes de deadline. Dans un an et des poussières, ce serait très chouette de revenir vers ces personnages et d’ajouter quelques chapitres à leur histoire.

L’un des grands plaisirs dans l’écriture des X-Men c’était le sentiment d’être comme un maçon qui construit une partie d’une gigantesque maison qui s’élève tout autour de vous pendant que vous travaillez. Il y a un plan général, évidemment, mais on contrôle plus ou moins la zone où on travaille – et il y a un grand sentiment de fierté et d’accomplissement quand on prend du recul et qu’on voit l’énorme échelle de la chose – de l’édifice – auquel on a participé.

Lucifer Mike Carey comicsblog interviewEn parlant de fierté et d’accomplissement, quel est le travail dont vous êtes le plus fier ?

Le travail dont je suis le plus fier… Si je dois choisir une chose, alors Lucifer. On a fait à peu près tout ce qu’on voulait avec cette série, et les pièces se sont assemblées d’une façon qui nous a semblé juste.

Mais j’adore aussi les trucs plus légers que j’ai pu faire à l’occasion – My Faith In Frankie, et Re-Gifters.

Et la graphic novel Hellblazer,All His Engines, pour laquelle l’incroyable Leonardo Manco a assuré les dessins.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire Lucifer ? Etiez-vous un fan de l’interprétation de Neil Gaiman du personnage ? Du Paradis Perdu de Milton ?

J’étais un très gros fan de Sandman – et énormément influencé par l’écriture de Neil, de multiples façons. Mais j’ai aussi étudié Milton et [William] Blake [un poète anglais, contemporain de Milton] à l’université, et mon interprétation de Satan/Lucifer a été très influencée par ces études – surtout par ma lecture de Blake. Dans Le Mariage du Ciel et de l’Enfer, Blake sépare Lucifer de toute considération morale et le voit comme l’incarnation de « l’énergie » ou de la volonté. Si Dieu est le pouvoir qui dit « Tu ne feras pas », Lucifer est le pouvoir qui répond « Oh que si je ferai ». C’est devenu central pour la façon dont on l’a représenté dans la série.

Et finalement, pouvez vous nous parler de vos projets futurs ? De la mini-série pour Raw Studios ? Ou peut-être un peu du pitch pour Vertigo que vous avez mentionné plus tôt ?

La mini-série est une histoire de loup-garou, qui se passe sur une île Ecossaise à l’écart, au début du XIXème siècle. Le personnage principal est un homme qui chasse pour vivre, mais il chasse pour les zoos et les collectionneurs, et ramène les animaux vivants. Et quand il arrive sur cette île – complètement par hasard, pour ce qu’on en sait – il est engagé par le chef de la milice locale pour trouver les loups qui s’en prenaient au bétail et attaquaient les humains. Mais il y a anguille sous roche le concernant et concernant le travail qu’on lui a confié.

Le pitch Vertigo en est à une étape très peu avancée, alors je ne veux pas trop en parler. S’il est approuvé, il pourrait encore beaucoup changer pendant son développement.

Mais on a aussi de gros projets prévus liés à The Unwritten – l’un d’eux dans le cadre de la série principale, l’autre indépendant et légèrement différent. 2013 sera une grosse, grosse année pour la série.

Et à côté de ça, je travaille sur deux romans, un jeu et un scénario de film, alors ma vie est bien remplie.

Merci encore à Mike Carey pour son temps et sa gentillesse.

Propos recueillis par Jeffzewanderer pour Comicsblog.fr

Jeffzewanderer
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