Dans la (longue) liste des scènes post-génériques qui ne déboucheront sans doute jamais sur une utilisation tangible dans les films de Marvel Studios, on peut penser aux Dix Anneaux du Mandarin et leur étrange provenance, aux personnages d'Hercules et du Conseil des Kang dans Thor : Love & Thunder et Ant-Man & the Wasp : Quatumania... et puis, bien sûr, aux deux séquences présentées dans les crédits du projet Eternals de Chloe Zhao. C'est même une situation assez rare pour être soulignée : théoriquement, le film ne comprend pas une seule post-générique potentiellement inassouvie, mais deux. Avec, d'un côté, le personnage de Starfox (Harry Styles) pour amorcer un éventuel Eternals 2, et de l'autre, le personnage de Blade (Mahershala Ali) et l'apparition de la Ebony Blade de Dane Whitman (Kit Harington). Pour un seul long-métrage, quand même, le bilan est plutôt chargé.
Qu'est-ce qui s'est passé ? Difficile de répondre précisément. Sur le papier, le projet Eternals, piloté par la réalisatrice Chloe Zhao, n'affichait pas grand chose de plus ou de moins que les autres films de Marvel Studios sortis pendant la tristement célèbre Phase 4. Peut-être un peu moins d'humour, une tentative de propos sur le vivant, l'évolution de l'espèce humaine et le rapport de notre peuple aux grands récits fondateurs, autour d'un casting mixte qui embarquait quelques vedettes notables (Harington, Angelina Jolie, Barry Keoghan, Ma Dong-Seok, etc). Et surtout, pas mal de Jack Kirby pour étaler la sauce sur la tartine, surtout du côté de la mythologie des Celestials. Et c'est un peu tout le problème.
Dans la foulée de ce projet, les conséquences de l'apparition des Eternals seront apparues comme un énorme éléphant dans la pièce de l'univers partagé... un éléphant que personne chez Marvel Studios n'a vraiment eu envie de pointer du doigt. Au point de faire évoluer l'univers tout entier en ignorant complètement l'existence d'une statue de titanesque dieu alien au milieu de l'océan pendant... allez, trois ou quatre ans ? Le cadavre du Celestial semé dans la foulée de ce projet sera même devenu l'avatar alpha de l'échec de la Phase 4, au même titre que les conséquences du "Snap" (ou du "Blip" haha, hahaha...) de Thanos, au moment précis où Kevin Feige ne semblait plus en capacité de produire un peu de cohérence au sein de sa propre saga. De fait, puisque toutes les autres productions de cette période semblaient s'être mises d'accord pour ignorer les conséquences des Eternals (et que le film Blade s'engouffrait dans les marécages boueux d'Hollywood) tout le monde pouvait légitimement se dire que celui-ci n'avait simplement... pas eu lieu.
La situation paraît d'autant plus curieuse lorsque l'on sait que Kevin Feige avait sincrèrement l'air de croire dans le potentiel de ce projet en particulier. Le bonhomme avait même comparé le cas d'Eternals au premier volet des Gardiens de la Galaxie. Mais en définitive, cette piste semble avoir été abandonnée pour de bon. Les personnages concernés pourraient sans doute revenir pour Secret Wars, dans la mesure où ce grand point final devrait embarquer le catalogue de Marvel Studios dans son ensemble. Pour le reste, en revanche, difficile d'espérer mieux.
De son côté, Kumail Nanjiani, embauché pour interpréter Kingo dans le film de Chloe Zhao, est revenu sur la déception qu'avait représenté la sortie de ce projet du point de vue de sa propre carrière. L'acteur s'exprimait récemment sur le sujet dans les murs du podcast Working it Out, en expliquant avoir signé pour au moins six apparitions avant que les personnages ne disparaissent des priorités :
"J'avais tourné dans ce film, vous voyez, et c'était un gros film. Il devait sortir après le COVID. Et moi, pendant un an, j'étais enfermé chez moi, à me dire 'quand ça va sortir, ça va être énorme !' Mais ensuite, le film est sorti, et les critiques étaient mauvaises, le projet n'a pas fonctionné aussi bien que prévu. Ca m'a réellement bousillé le moral, je me suis dit qu'il fallait que j'aille en thérapie pour faire le point sur tout ça.
Le film en question s'appelait Eternals. Donc vous voyez, un gros truc de chez Marvel Studios. Moi je m'étais dit que c'était le genre de rôle qui peut vous occuper sur dix ans. J'avais signé pour six films au total. Et même pour un jeu vidéo. Et pour une attraction dans un des parcs de Disney. Ils vous font signer des contrats qui comprennent tous ces trucs là. Alors, tu te dis que ça va t'occuper pendant un long moment, que tu vas faire des films Marvel tous les ans, et qu'entre temps, entre chaque production, tu te dis que tu pourras faire d'autres choses, des projets plus personnels. Et puis... rien de tout ça n'est arrivé."
Sur le papier, avec un plan pour au moins six apparitions (en comprenant qu'Avengers : The Kang Dynasty et Secret Wars étaient probablement déjà prévus au moment de la signature du film Eternals), si l'on prend en compte les productions dérivées dans le genre des séries animées (et là-dessus, on se rappelle notamment que Nanjiani a bien retrouvé le rôle de Kingo pour un des épisodes de la série animée What If...?), on aurait envie de croire que Kevin Feige avait au moins prévu... un Eternals 2 et un Eternals 3. Mais, pour citer le comédien, rien de tout ça n'est effectivement arrivé. Notez bien que la situation n'est pas spécifique au cas précis de ce projet : Shang-Chi n'a pas non plus profité d'une suite dans la foulée de ses premières aventures, pas plus que l'essentiel des séries télévisées montées pendant la Phase 4. En réalité, en dehors des franchises déjà installées (comme Black Widow, spin-off des Avengers, qui accouchera indirectement des Thunderbolts*), l'essentiel des galops d'essai de cette période se seront soldés par des refus d'obstacle pour le reste de la saga.
Encore une fois, c'est un peu dommage : s'il n'était pas forcément mémorable, le film de Chloe Zhao n'en était pas odieux pour autant, et la perspective de quitter un peu la Terre au profit d'une aventure plus cosmique aurait pu mériter d'obtenir une seconde chance de la part des huiles de Marvel Studios. Mais, c'est comme ça. Dès la fin de la pandémie, le cinéma se sera articulé sur de nouvelles réalités (et même dans le présent, on voit mal comment Kevin Feige pourrait envisager l'avenir sereinement compte tenu des chiffres de Fantastic Four : First Steps). Dans le présent, mettons seulement que ce qui est fait est fait.
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