Jerry Siegel et Joe Shuster s'imaginaient-ils, au moment de publier les premières aventures de Superman en 1938 dans Action Comics #1, que leur super-héros deviendrait un emblème international ? Une icône de la pop-culture reconnaissable à son seul symbole, à ses couleurs, porté au regard du grand public par de multiples incarnations multimédias ? Un personnage sur lequel des millions d'êtres humains ont pu échanger avec passion, ou s'écharper avec la plus grande violence, dans des discussions sur ce que l'Homme de Demain doit incarner. Et aussi, qui doit l'incarner ?
Il existe une anecdote amusante que les passionnés de Superman connaissent certainement : en 1933, quelques années avant que le Kryptonien ne fasse ses premiers pas dans la bande-dessinée, Siegel et Shuster avaient publié une nouvelle illustrée, The Reign of the Superman, dans laquelle un homme appelé Bill Dunn se fait berner par un scientifique retors, qui le poussait à prendre une drogue expérimentale. Doté de super-pouvoirs, Dunn profitait de ses capacités pour n'agir que par égoïsme et cupidité, avant que la disparition de ses pouvoirs ne le rendent à sa triste condition. Morale de l'histoire : en gros ? Le pouvoir corrompt.
Une maxime que l'on a pu vérifier à maintes reprises au fil de notre histoire, dans la réalité comme dans la fiction. Mais pourquoi est-ce que je vous parle de ce récit ? Parce que le duo créatif finira par réinventer ce concept au moment de créer leur héros définitif. Et l'une comme l'autre décideront d'opter pour une direction à l'opposé total de leur nouvelle de départ. Leur Superman, celui voué à perdurer sur bientôt quatre-vingt dix ans d'existence, utilisera ses pouvoirs non pour lui-même, mais pour faire le bien autour de lui. Venu d'une autre planète et recueilli par un couple bienveillant, il apprendra à embrasser tout ce qu'il y a de bon chez l'être humain, à mettre ses formidables pouvoirs non seulement au service du bien commun, mais aussi pour pousser les autres à devenir meilleurs. Alors oui : dans le monde réel, personne ne peut voler ou tirer des lasers avec les yeux. Mais tout le monde peut venir en aide aux autres, tenter de se comporter en accord avec ces valeurs précises, ou délivrer une note d'espoir comme le ferait le Superman des BDs.
Fast forward. En 2025, Superman revient au cinéma, après une décennie qui aura été, euphémisme, passablement compliquée. Réintroduit en 2013 avec le Man of Steel de Zack Snyder via le choix (parfait) de l'acteur Henry Cavill dans le rôle titre, l'homme d'acier finira par plier face aux ingérences d'un studio trop impatient de rattraper son retard dans la course aux univers partagés et incapable de trancher sur une vision précise pour cet univers. Et ce, sans compter les perturbations extérieures, les rachats, les fusions une pandémie mondiale, des comédiens en roue libre... En bref, un long et vaste bordel au sortir duquel, plutôt que de vouloir mettre des pansements sur une jambe de bois (ou en l'occurrence, une jambe de bois vermoulu, pourri, bref, c'était foutu les gars), il valait mieux tout reprendre à zéro. Cette lourde tâche aura été confiée à James Gunn, un réalisateur originaire du cinéma de genre, passionné de comics et de super-héros depuis de longues années, et porté par le succès de la trilogie des Gardiens de la Galaxie. Le cinéaste est même mandaté pour une seconde mission : en plus de reprendre Superman pour le grand écran, le film devra également ouvrir la marche d'un nouvel univers partagé. Comment s'accomplir de cette double-mission, plus de dix ans après le dernier essai en date, et alors que la concurrence elle-même, autrefois si victorieuse, tente désormais d'intéresser un grand public de plus en plus réfractaire aux super-héros ?
James Gunn propose une réponse finalement assez simple pour résoudre cette folle équation. Ou tout du moins, un élément de réponse, qui conviendra ou non au public susmentionné : reprendre la base de ce qu'est Superman depuis ses fondamentaux. Assumer la matière comics, dans une démarche presque excessive. Et surtout, prendre le contrepied de certaines habitudes posées dans les adaptations lors de la décennie passée... et notamment, dans la façon dont certains studios ont voulu s'affranchir des messages frontaux portés par les justiciers masqués. Superman, en 2025, est sans aucun doute un pur film de comics, qui renoue aux codes d'un personnage revenu dans ces retranchements les plus superbes... mais aussi les plus absurdes. Au pif : le chien. Le chien avec sa cape. Et en surimpression de ces éléments, se pose l'idée d'un objet qui cherche visiblement à dire quelque chose de son propre public, et de son époque. Un véritable produit de son temps, pourtant obnubilé par le travail de Richard Donner et Christopher Reeve sur ce personnage, avec tous les risques que la démarche peut impliquer.
Et enfin, un film qui assume ses choix artistiques, quitte à surprendre... même parmi les fans les plus fidèles du cinéma de James Gunn. Alors, bilan ? Un "grand film" ? Peut-être pas. Mais un film authentique néanmoins, personne ne pourra dire le contraire. Et maintenant... up up and away ?
Avec Batman et Spider-Man, Superman est certainement le personnage de comics dont tout le monde connaît les origines. La planète lointaine, la capsule, le bébé. Et pourtant, même si le Superman de James Gunn est bien le premier film d'une nouvelle saga sur l'homme de demain, le réalisateur opte pour se passer de ce sempiternel récapitulatif : même pour des gens qui n'auraient jamais entendu parler de Superman, pour une fois, on va se passer de revenir aux bases chronologiques. Non, cette fois, Clark Kent ne va pas avoir besoin de découvrir ses pouvoirs ou de se réintroduire au reste de la planète. D'autres oeuvres s'en sont chargées (et souvent, c'était bien). Gunn ne va donc pas s'embarrasser d'une lente exposition : les faits essentiels sont évoqués en deux minutes (d'un texte qui défile devant les premiers plancs d'un décor glacial). Sur Terre, les méta-humains existent. Et puis c'est tout. Superman est en activité depuis quelques années, et le film démarre au moment où l'être le plus puissant au monde vient tout juste de perdre son premier combat.
Cette introduction in medias res est l'une des grandes forces de ce Superman. Le pari est risqué, oui, dans une époque où les gens aiment qu'on leur surexplique tout, qu'on les prenne par la main, et où le mot "inconnu" terrifie ce grand public trop habitué aux vidéos récapitulatives du web (ou aux requêtes générées par intelligence artificielle, dans le pire des cas). De son côté, James Gunn fait le pari de l'intelligence collective, en assumant de faire ce que les comics ont fait pendant plusieurs dizaines d'années : proposer une porte ouverte, mais sous la forme d'un train que l'on prend en marche. C'est une porte de wagon, si vous préférez. Autrement dit : voici la Terre, un monde dans lequel les super-héros existent. Il va falloir l'accepter, et vous n'aurez aucun souci sur les deux heures suivantes.
Superman assume cette logique de vouloir transporter son public vers un monde déjà bien vivant, mûr, terrain fertile d'aventures déjà bien entamées. En l'espace de quelques minutes, on découvre un (adorable) toutou super-fort doté de sa propre cape rouge, d'une forteresse géante faites de stalactites qui sortent de terre, de robots domestiques armés d'un certain sens du pragmatisme, d'un être qui tire sa force des rayons du soleil, de tunnels qui permettent de se déplacer d'un coin à l'autre du globe, en passant par un univers de poche... Les héros en costumes sont nombreux, médiatisés, au coeur des discussions civiles, et l'aspect comics du film n'en ressort que plus naturel. Quoi de plus normal, à Metropolis, que de passer une soirée en amoureux alors qu'une amibe de l'espace géante se fait rétamer par les super-héros du coin au dessus des gratte-ciels ?
Encore une fois, le réalisateur parie sur l'intelligence de son propre public, et le parti est réussi du début à la fin. Les fans de comics seront ravis de voir cet univers fourmiller de bizarreries sans que rien ne dénote (du moins, sur le principe - sur le visuel, on en reparle après). Et les néophytes ne sont pas laissés sur le carreau : à l'absence de séquence d'exposition, Gunn opte pour des dialogues qui viennent replacer en deux ou trois phrases ce qu'il est nécessaire de comprendre au sujet de ses protagonistes. On peut tiquer sur la méthode (dans la mesure où : ça se remarque), mais le résultat reste assez fluide pour que le spectateur reste les deux pieds dans l'intrigue.
Bien sûr, cette vision de l'univers DC Comics risque de diviser. De fait, même en BD, la saga reste protéiforme, et plusieurs couches de lecteurs se partagent les visions en fonction de l'offre disponible, c'est tout l'intérêt. Mais c'est aussi la force de proposition tranchée : le fait de revenir aux racines participe du charme général. De fait, l'idée (fausse) qui voudrait que DC Comics soit nécessairement associé aux codes noirs et ténébreux des franchises développées par Christopher Nolan ou Zack Snyder nous a déjà permis de profiter d'oeuvres intéressantes par le passé. Seulement, l'univers de Superman comprend aussi quelques données plus légères : de la bonne humeur, des monstres farfelus, une science-fiction colorée, un clébard avec une cape, qui vole, et qui tabasse. D'ailleurs, dans le répertoire, on n'a probablement jamais vu sur le grand écran un fouillis aussi vivant, ce qui reste encourageant pour un univers que l'on ne fait pourtant que découvrir et qu'effleurer dans ce premier film.
L'autre force sur laquelle Superman peut se reposer, c'est la prestance de son casting. Qu'on se le dise, David Corenswet est tout bonnement parfait dans le rôle (et c'est un fan d'Henry Cavill qui vous le dit). L'acteur semble être né pour incarner Clark Kent (et ses airs maladroits) aussi bien que Kal-El. En l'occurrence, pour une version du héros expressive, émotive, loin de la figure monolithique que l'on avait surtout croisé depuis vingt ans dans les salles de cinéma. Ce Superman est humain avant tout, et ça se remarque dans son attitude : sa confiance peut être ébranlée, il souffre, il doute, il pleure, il se réjouit. James Gunn comprend toutes les composantes du héros, jusque dans ses nuances, et dans sa candide naïveté, qui ressort particulièrement lors de la scène (brillante) de l'interview.
Superman se voit confronté aux conséquences géopolitiques de ses actions (le film démarre au moment où celui-ci vient d'empêcher un pays, la "Boravie", d'envahir l'un de ses voisins), alors qu'il ne comprend pas pourquoi on remet en question ses actes puisqu'il considère qu'il a "empêché une guerre", et qu'il ne répond de toutes façons "que de lui-même". La puissance et les responsabilités de Superman sont donc interrogées, par le prisme d'une Lois Lane revenue dans ses pompes de journaliste pugnace et intransigeante, superbement incarnée par la merveilleuse Rachel Brosnahan. Lorsque Lois et Clark se partagent l'écran, se dégage du duo une intensité palbable, dans la complicité des deux comédiens, mais aussi pour les autres personnages qui les accompagnent (on compte sur vous pour les blagues bizarres sur le web, vous comprendrez le moment venu). Dans l'ensemble, toute la troupe du Daily Planet participe à porter cette logique d'une rédaction des temps modernes, vivante, certainement idéalisée en comparaison de la réalité de la presse contemporraine, mais toute aussi charmante dans son aspect purement idéaliste.
Et que dire de Lex Luthor ? Personne ne doutait de Nicholas Hoult compte tenu de son parcours émérite, mais l'acteur se transcende ici pour ce qui, espérons le, ne sera pas son unique apparition dans cette nouvelle saga. Ce Luthor est aussi menaçant qu'il peut être pathétique lorsqu'il laisse voir ses motivations, dans une version qui tire autant de références des comics (All-Star Superman notamment) que les véritables industriels milliardaires du monde réel. De fait, l'actualité s'accorde bien avec cette incarnation de la vilénie dans le présent, allumez la télé' ou internet si vous n'avez pas encore eu le temps de vous en convaincre.
Maintenant, sur l'accusation qui va naturellement planer au-dessus de ce projet, en reflet de cette même actualité : dans les faits, Superman a toujours été "woke", pour peu que ce terme signifie quoi que ce soit dans les arts ou la vie quotidienne. Depuis Action Comics #1, lorsque le héros combattait un sénateur corrompu, un mari violent, deux chefs d'état responsables d'une guerre, et un patron qui maltraitait ses ouvriers. Ou plus tard, dans son feuilleton radio', en 1946, lorsque le personnage allait se savater avec le Ku Klux Klan. Non, Superman n'a pas attendu James Gunn pour devenir un super-héros du progrès social, armé d'un message politique net et précis Les exemples sur le sujet ne manquent pas, et cette accusation en dit certainement davantage sur le rapport qu'entretiennent les sociétés modernes sur les valeurs de solidarité et d'entraide que sur un pauvre personnage de fiction pétri d'intentions louables.
Et même si le cinéaste reste limité de ce point de vue, difficile de ne pas lui trouver un certain courage dans le sous-texte de son propre film, avec un discours contre la xénophobie, et sur l'état des conflits actuellement en cours sur la planète - et notamment, sur le génocide qui sévit actuellement dans la Bande de Gaza. Là-dessus, compte tenu du processus de production du film, il est même hallucinant de voir comment Gunn se sera fait rattraper par la réalité.
Quant au scénario en tant que tel... difficile de le mettre en mots sans trop en dévoiler, en dehors du postulat de départ évoqué plus haut. L'intrigue reste assez bien équilibrée dans son alternance entre les scènes d'action et les moments de temps calme, quelques passages sont un peu trop évidents (et on peut reprocher à Gunn l'épaisseur de certaines ficelles). Mais de façon générale, l'aventure reste suffisamment rythmée pour que l'on ne s'ennuie pas (ou peu), même si quelques passages seront plus difficles que d'autres. Et que le destruction porn (bien que non provoqué par Superman) finira tout de même par faire irruption à l'écran.
Pour en revenir aux personnages secondaires, nombreux, ils sont également assez bien interprétés par les acteurs et actrices choisis par Gunn (qui montre d'ailleurs sa loyauté à ses amis en allant récupérer bon nombre de ses collaborateurs/rices, même de Marvel Studios, pour leur donner un petit rôle), mais n'ont pas énormément de place pour exister. Nathan Fillion est une évidence pour camper Guy Gardner, le Green Lantern le plus idiot qui soit, dans une prestation digne des meilleurs épisodes de Justice League International ; Hawkgirl est quelque peu effacée et Mr. Terrific est peut-être celui à qui le film donne le plus d'importance.
Edi Gathegi s'en sort bien avec ce qu'on lui donne de faire, son personnage étant peut-être celui qui se prend le plus au sérieux, quand bien même l'univers dans lequel il évolue ne s'y prête pas tout le temps. Krypto occupe son rôle de mascotte et est dépeint avec un vrai comportement de toutou, avec tout ce que ça implique de maîtrise ou non d'une situation, et il faut reconnaître qu'il occupe parfois un peu trop de place, ou qu'il est un peu trop utilisé pour désamorcer le sérieux. Rien de dommageable, même si cela peut donner l'impression que le film peine à trouver le juste équilibre dans sa tonalité. Solaire et emprunt d'optimisme, Superman a sûrement du mal à faire croire à la gravité de tous les retournements de situation, mais on lui pardonne ces trébuchements au vu de tout ce qui est fait avec amour des personnages, de ce qu'ils signifient, et de la sincérité de la démarche.
Ce qui ne veut pas dire que Superman est un film parfait (c'est une chose qui n'existe de toute façon pas), loin de là. Si l'on reste sur les personnages secondaires, on pourra critiquer la présence de Metamorpho, qui n'est ici vraiment que rélégué à sa fonction, et qui est au coeur d'une séquence assez longue et visuellement la moins réussie du film - avec une sorte de bébé alien proprement hideux. Cette séquence vient rappeler que DC Studios aura donc aussi droit à son lot d'effets spéciaux plus ou moins disgrâcieux, et si mis à part cette séquence du bébé, il n'y a rien qui soit particulièrement horrible à regarder, certains plans ou choix d'angles laissent apparaître des effets spéciaux qui ont déjà mal vieilli au moment où le film sort.
De quoi aborder la mise en scène, et la direction assez particulière que James Gunn a voulu pour long-métrage. Probablement le gros point de débat à l'horizon. Notamment, dans l'utilisation constante de plans en grand angle, un parti pris graphique revendiqué, et qui permet au réalisateur de couvrir un maximum d'espace autour de ses personnages (particulièrement la caméra tourne autour d'eux). Malheureusement, ce choix n'est pas des plus élégants. Il profite à quelques scènes - avec Mr. Terrific et ses T-Spheres, notamment. En revanche, ce que l'on gagne en dynamisme se perd dans la lisibilité générale. De nombreux combats aériens, des séquences de vol, oui, là-dessus le contrat est rempli... sauf que l'on s'aperçoit vite que Gunn n'a jamais été un expert pour la démonstration de puissance de la part d'un justicier de cette nature. En dehors de ça, le choix du format, et une palette chromatique réhaussée, participent à construire la personnalité de ce Superman, en insistant sur l'angle rétro', pour aller chercher le héros du Silver Age, en mettant la naïveté de l'époque de côté.
Mettons aussi que ces choix sont très "comics". Superman déconcerte sur certaines choses qui passent évidemement mieux en BD, moins bien à l'écran. Les cris de guerre de Hawkgirl sont rapidement agaçants, la matérialisation des pouvoirs de l'Ingénieure restent assez quelconques - même si une séquence qui les fait intervenir permet à Gunn de revenir, par un biais détourné, à son ancien amour du fluide façon Troméo ou Slither. Il faut bien admettre que Superman est un pur produit de son auteur, et de fait, cette donnée risque bien de faire débat. Mais vous savez ce que l'on pense ici : on préférera toujours un film bancal avec une vraie personnalité plutôt qu'un produit lisse, sans aspérité, qui ne voudra froisser personne.
Ce qui nous amène au vrai point noir de Superman, et d'ailleurs le seul aspect où Gunn s'efface réellement : la musique. Comme d'habitude, les chansons préexistantes sont là, et c'est bien normal, on connaît la formule de routine du cinéaste. En revanche, John Murphy n'est pas du tout inspiré sur le reste de l'habillage musical, parasité en totalité par le thème de John Williams, créé pour le film de Richard Donner et repris ici dans le plus simple appareil. Et ce n'est pas le seul renvoi au premier long-métrage avec Christopher Reeve (vous verrez, dès l'ouverture). Alors, d'accord : on comprend la démarche de James Gunn. L'hommage, son envie de retrouver cette impression d'un film capable de faire "croire qu'un homme peut voler" au spectateur moyen. Sauf qu'en définitive, cette volonté de se placer sur les épaules du géant d'hier allourdit le résultat final. Le thème de Williams vient parasiter les images, parce qu'il ne colle tout simplement pas à ce qui nous est montré. Il nous rappelle que Gunn n'est pas Donner et qu'il n'a aucune raison de vouloir le devenir, dans la mesure où cette sauce ne prend pas.
Le film perd de sa personnalité à vouloir évoluer dans cette ombre pesante... alors qu'il mise sur une toute autre proposition, légitime pour exister par elle-même. N'aurait-il pas été intéressant, au contraire, de vouloir écrire le nouveau "thème de John Williams" pour les nouvelles générations ? De la même façon que tout le monde a encore en tête les compositions de Hans Zimmer pour Man of Steel ou la trilogie des Dark Knight ? Imaginez d'ailleurs si les films de Nolan avaient été accompagnés d'un réarrangement du thème de Danny Elfman ? L'hommage, c'est bien joli, mais la partition musicale ici nous rappelle plutôt le souvenir douloureux de ce qui a été fait sur Justice League, version cinéma...
Concernant les autres défauts, encore une fois, on pourra revenir sur l'aspect ouvertement explicite et "coup de projecteur intentionnel" sur certaines répliques, certaines décisions des personnages. Ceci étant... dans un présent où l'interprétation reine permet aux agitateurs de placarder leurs lectures tronquées d'oeuvres de fiction (au détriment total de la démarche ou de l'intention des auteurs), on aurait tendance à penser qu'un réalisateur n'a pas forcément tort de vouloir gueuler son message dans l'oreille du grand public, par sécurité. Superman est un film de son époque : à l'heure où les simples faits sont contestés, transformés en "opinions militantes", James Gunn n'a plus envie de prendre de manches pour rappeler ce à quoi sert Superman depuis bientôt quatre-vingt dix ans.
Mais généralement, quand on aime voir des héros s'éloigner d'un canon, c'est aussi parce qu'on est attaché à ce canon. Prenez Injustice par exemple : si tant de monde a adoré voir ce Superman s'égarer pour devenir un dictateur sanguinaire, c'est parce que l'on sait à quel point ce caractère est aux antipodes de ce que Superman est censé être. Et quelle que soit la démarche de Warner Bros. Discovery et DC Studios, dont le but est bien sûr en premier lieu de gagner des sous en exploitant une marque qui a été arrachée à ses créateurs il y a bien longtemps, il n'est pas vain d'utiliser ces studios pour raconter, avec une icône de la pop-culture, une histoire qui nous parle d'un migrant venu de très loin et qui, malgré ses pouvoirs et la tentation de basculer, a toujours souhaité être bon. Dans sa fausse naïveté, ce Superman peut encore nous faire croire à de meilleurs lendemains, et c'est peut-être tout ce qu'il y a à lui demander.
Superman ouvre en grands les portes d'un univers composite de dieux, de monstres et d'humains, en pariant sur la volonté de grnadir d'un public qui n'a plus besoin d'être pris par la main. Et de ce point de vue, James Gunn va à fond dans les codes du bizarre, l'authenticité embrassée d'un matériau qui forme la structure bizarre et inhabituelle de son format d'origine. Dans la plupart des cas, le réalisateur s'en sort bien. Porté par un casting principal sans fausse note, le film va chercher l'essence des comics pour la retranscrire sur le grand écran, avec une note explicative très simple - factuelle, au final ? - sur ce qu'est Superman. Un message d'autant plus important qu'il peut paraître vain, dépassé, illusoire dans un monde où il est bien plus facile de céder au cynisme ou à la moquerie. Oui, il manque à ce Superman de la grandeur ou de l'iconisation pour en faire un objet d'Art avec un grand A, mais au vu de ce qu'a été DC sur le grand écran depuis plus de dix ans, on ne peut être qu'excités par les perspectives offertes par ce Superman et son univers partagé. L'été des super-héros s'ouvre sur une belle promesse, un film perfectible, mais qui fait rudement plaisir en l'état. Il est temps de rentrer à la maison, Krypto.